Читать книгу Petits princes et petites princesses : contes historiques dédiés à la jeunesse - Eugénie Foa - Страница 13

Оглавление

IV.

Table des matières

CALAIS.

Au commencement du mois de mars 1396, madame de Courcy entra un matin inopinément dans la chambre d’Isabelle, et trouva cette jeune princesse assise sur son lit, à demi vêtue et plongée dans des réflexions dont ne l’arracha qu’avec peine la voix d’Éléonore.

«Grande nouvelle! madame Isabelle, lui dit-elle, n’apportant que peu d’attention à la tristesse répandue sur les traits de la princesse; les ambassadeurs d’Angleterre viennent d’arriver à Paris. Il paraît que votre royal fiancé est pressé d’achever cette union: il a envoyé, avec l’ambassade, ses deux oncles, les ducs de Lancastre et de Glocester. Ils sont munis d’une procuration dont voici à peu près la teneur. J’étais auprès de madame la reine quand monseigneur le roi est venu lui en donner connaissance.»

Et, comme Isabelle, les yeux distraitement fixés sur la jeune dame d’honneur, avait l’air d’écouter, celle-ci continua:

«Pour faire cesser la cruelle effusion du sang humain et les innombrables désordres de la guerre; pour parvenir plus tôt à un bon traité de paix; pour rendre le repos, non-seulement aux royaumes, terres, seigneuries et sujets des deux partis, mais aussi à toute la chrétienté ; pour le bien et l’union de l’Église catholique; pour la confusion des infidèles, ennemis de la foi chrétienne, Richard, roi d’Angleterre, a donné pouvoir de conclure son mariage avec madame Isabelle, fille aînée de son cousin le roi de France. Les ambassadeurs sont aussi autorisés à contracter les fiançailles par parole de futur, et le mariage par parole de présent, de la manière la plus convenable et la mieux séante, ainsi qu’à accepter le consentement de ladite dame.

«De son côté, le roi de France, votre père, a donné sa procuration aux ducs de Bourgogne et de Berri, dans laquelle se trouvent exposés les mêmes motifs et désirs d’alliance et de paix entre les deux royaumes. Votre dot est ainsi réglée: vous voyez que je n’ignore rien, ma chère princesse: on vous donne huit cent mille francs, dont trois cent mille francs payables sur-le-champ, cent mille francs du moment où vous irez habiter avec le roi d’Angleterre, puis cent autres mille francs d’année en année. Il est aussi stipulé que les enfants provenant de ce mariage ne pourraient prétendre à aucun droit à la couronne de France; et, de plus, il a été convenu que monseigneur votre père serait tenu de vous habiller, vous parer de joyaux et vous faire conduire et accompagner à ses dépens, honorablement et selon votre condition, jusqu’à Calais, où le roi d’Angleterre doit vous recevoir. Le contrat se signe ce soir, la noce se fait demain. Permettez que je sois la première à rendre hommage à la reine d’Angleterre, ajouta madame de Courcy en s’agenouillant, moitié riante, moitié cérémonieuse, devant la jeune fille, et prenant la main de la princesse qu’elle porta à ses lèvres.

— Quelle gaieté ! quelle joie! dit Isabelle tristement; et elle dit qu’elle m’aime!

— Oh! quand vous ai-je donné le droit d’en douter, madame? reprit Éléonore d’un ton de doux reproche.

— Aujourd’hui, ingrate, où tu te réjouis de me quitter.

— Mais je ne vous quitte pas, madame Isabelle, je vous suis à la cour de votre royal époux.

— Puisses-tu y aller seule!

— Comment! que dites-vous?

— La vérité, Éléonore; ce mariage me tue!... Écoute, oh! j’ai si peur de ce roi Richard!

— Chassez ces inquiétudes, chère princesse, croyez-moi; le roi votre père consentirait-il à ce mariage s’il ne devait être aussi heureux pour vous qu’il est utile au bien de l’État? Allons, laissez-vous parer, laissez relever vos beaux cheveux blonds, et vous mettre en état de recevoir dignement ces nobles ambassadeurs de votre royal époux.»

Isabelle se tut et se prêta volontiers à toutes les fantaisies de toilette que la jeune dame d’honneur inventait pour la faire belle, à quoi la beauté naturelle de madame Isabelle aidait merveilleusement. Puis elle la mena triomphante dans l’appartement de la reine, où le contrat se passa. Les noces eurent lieu le lendemain. Pour la pompe et les superfluités, elles furent magnifiques: les rois et les princes s’envoyèrent de merveilleux présents; mais il fut décidé que la remise d’Isabelle à son époux n’aurait lieu que lorsque le trousseau serait achevé... Alors le roi de France devrait se rendre à Saint-Omer avec la princesse, pendant que, de son côté, le roi d’Angleterre viendrait l’attendre à Calais.

Tout étant ainsi convenu, la France et l’Angleterre rivalisèrent de luxe, d’élégance; ce fut une lutte d’ouvriers à qui perfectionnerait les plus riches pièces d’orfévrerie, les plus brillants bijoux, les plus merveilleuses étoiles. Toutefois, malgré le zèle des orfévres et des brodeurs, les préparatifs se prolongèrent jusqu’au mois d’octobre, où Richard, lassé d’attendre, partit le premier pour Calais, ce qu’il fit savoir à Charles VI. Mais celui-ci, qui voulait suivre la procession le jour de la fête de saint Denis, patron de la France, retarda encore de quelques jours.

Ce ne fut que le 14 octobre, après avoir fait ses dévotions à Notre-Dame et à Saint-Denis, que la jeune reine d’Angleterre, le roi et la reine de France, se mirent en route. Leur suite était nombreuse et illustre. Entre autres grands personnages, on y voyait le duc de Bretagne, qui était venu à Paris pour célébrer les fiançailles de son fils avec madame Jeanne de France, seconde fille du roi.

Sur la limite des deux États, entre Calais et Ardres, on avait dressé deux camps: celui du roi de France était composé de cent vingt tentes en charpentes et en draperie; celui du roi d’Angleterre ne lui cédait en aucune manière. Le 27 octobre, les deux rois s’étant rendus chacun dans leur camp, les ducs de Lancastre, de Glocester et le comte de Rutland vinrent prendre les ordres du roi de France sur les cérémonies qu’il fallait observer, sur les habillements qu’il fallait porter. Le roi les reçut gracieusement et leur donna à chacun un diamant. Pendant que cette scène se passait, une autre du même genre avait lieu dans le camp d’Angleterre: c’étaient les ducs de Bourbon, de Berry et de Bourgogne qui remplissaient le même message auprès du roi d’Angleterre. Celui-ci répondit:

«Que la paix et l’amitié ne se prouvaient point par des robes magnifiques; qu’il ne fallait pas de cérémonies pour une entrevue toute cordiale.»

Un pieu avait été planté à distance égale des deux camps. Or, le 28 au matin, à la même heure, les deux rois sortirent chacun de leur tente. Le roi de France était suivi de quatre cents chevaliers, les premiers du royaume, et précédé de son cousin, le comte d’Harcourt, portant l’épée de France et remplissant l’office de connétable en l’absence du comte d’Eu, parti pour la croisade . Arrivé à une certaine distance du pieu, il descendit de cheval, et, ses chevaliers ayant aussi mis pied à terre, il leur dit:

«Mes bons amis, je vous prie de ne point me faire repentir du choix que j’ai fait de vous pour m’accompagner; comportez-vous bien selon mon ordonnance et votre devoir. »

Le roi d’Angleterre avait, de son côté, observé les mêmes formalités. Charles VI était vêtu d’une robe courte qui ne lui venait qu’aux genoux et d’un simple chaperon de velours. Le roi Richard portait sa robe plus longue, mais moins ornée.

Les deux rois, s’apercevant, se mirent à marcher l’un au-devant de l’autre jusqu’à ce qu’ils se fussent rencontrés. Là, en présence de toute leur suite, qui avait mis genou en terre, ils se prirent la main et s’embrassèrent cordialement; puis ils résolurent qu’en ce lieu, et en mémoire d’une si touchante union, il serait élevé une chapelle à Notre-Dame de la Paix.

Alors les ducs de Lancastre et de Glocester s’avancèrent vers le roi de France et lui offrirent un drageoir plein d’épices, ainsi qu’une coupe de vin, en même temps que les duc de Bourgogne et de Berri en présentaient autant au roi d’Angleterre. Puis les deux rois se firent à chacun des présents: Charles VI offrit à Richard une tasse d’orfévrerie à mettre la bière, et un pot à l’eau; et celui-ci, à son tour, présenta au roi de France un flacon et une aiguière.

Un grand mouvement se faisait remarquer dans le camp des Français: c’était un nombre infini de litières, de chariots dorés, de chevaux superbement harnachés qui se mettaient en marche, et s’avançaient vers les deux rois: on ne voyait que guirlandes d’or, perles, diamants, qui reluisaient au soleil. Madame Isabelle, montée sur une belle haquenée blanche, s’avançait en tête, les yeux baissés et le visage pâle. Sa robe, toute brodée de fleurs de lis, descendait jusqu’ à ses pieds; sa tête charmante semblait plier sous le poids d’une couronne d’or, à laquelle était attaché un voile court à franges d’or, que le vent du matin faisait flotter gracieusement sur son cou de cygne.

Lorsque sa haquenée s’arrêta, les ducs de Bourgogne et de Berri allèrent à la princesse et lui offrirent la main pour descendre. Aussitôt qu’elle eut mis pied à terre, les duchesses de Lancastre et de Glocester, accompagnées de plusieurs dames anglaises, s’avancèrent et lui firent leur révérence. La jeune reine la leur rendit; puis, conduite toujours par ses oncles, elle marcha vers le roi d’Angleterre, devant lequel elle s’agenouilla.

«Mon fils, dit le roi de France au roi Richard, c’est ma fille: je vous l’avais promise, je vous la donne et vous la laisse; promettez-moi de l’aimer comme votre femme.

—Je vous le promets de grand cœur, mon père, dit Richard prenant la main d’Isabelle pour l’engager à se relever; et vous, madame, ajouta-t-il, promettez-vous de m’aimer comme votre époux?»

Isabelle se laissa relever; mais, gardant toujours ses yeux baissés desquels de grosses larmes tombaient, elle ne répondit point.

«Regardez-moi, Isabelle, dit Richard, la voix si caressante, que la jeune reine, émue déjà de cette voix qu’elle croyait reconnaître, leva lentement les yeux, et demeura saisie en retrouvant dans le roi Richard le nécromancien et l’inconnu dé la forêt!

— Oh! mon petit bracelet rouge! dit-elle presque avec une joie d’enfant, vous m’avez bien porté bonheur!»

En vue des deux camps et du roi de France qui examinait cet à parte d’un air inquiet, Richard prit sa jeune femme dans ses bras et l’embrassa tendrement.

Le reste, chers lecteurs, est plus triste: Isabelle prit congé de son père et de ses oncles, les larmes aux yeux; et, sans être suivie d’autres dames françaises que de la dame de Courcy, elle fut remise aux duchesses de Lancastre et de Glocester. On la plaça dans une litière, et elle partit pour Calais.

Quatre ans après, Henri de Lancastre montait sur le trône d’Angleterre sous le nom de Henri IV, et madame Isabelle de France, ramenée à Calais avec les mêmes honneurs royaux qui l’y avaient accompagnée, rentrait en France seule et en habit de deuil: Richard Il venait de mourir empoisonné dans la tour de Londres, par l’ordre de Henri.

Et cependant elle n’avait pas perdu son petit bracelet de velours rouge!

Petits princes et petites princesses : contes historiques dédiés à la jeunesse

Подняться наверх