Читать книгу Petits princes et petites princesses : contes historiques dédiés à la jeunesse - Eugénie Foa - Страница 12
ОглавлениеLA CHASSE AU SANGLIER.
De joyeuses fanfares avaient réveillé, au soleil levant, les nobles habitantes de l’hôtel Saint-Pol, et la cour était remplie de superbes coursiers qui piaffaient, impatients, en attendant les cavaliers ou les amazones qui devaient les monter. Bientôt le roi, les princes ses oncles, et les ambassadeurs, se montrèrent prêts à partir; alors la reine, ses enfants et ses dames et écuyers parurent sur le perron.
Deux haquenées, blanches comme la neige, furent amenées à madame Isabeau et à madame Isabelle. Au moment où cette dernière sautait sur la selle, elle crut remarquer, dans celui qui lui présenta le genou pour l’aider à monter, le même seigneur anglais dont le regard avait une si profonde expression. Mais sans doute elle s’était trompée, car, une fois en selle, elle jeta les yeux sur son écuyer; la vision avait encore disparu: à sa place, elle n’aperçut, debout près de sa haquenée, suivant chacun de ses mouvements, les épiant presque, que la longue et triste figure du comte de Northampton. La naïve et superstitieuse enfant serra son petit bracelet rouge avec dépit, et comme pour conjurer tout mauvais présage.
La journée était superbe. Le cortége partit en ordre de Paris; la plus sévère étiquette en avait ordonné l’arrangement; mais, lorsqu’on fut arrivé dans la forêt, la chasse s’anima, l’harmonie se rompit peu à peu, et Isabelle ne tarda pas à se trouver en compagnie seulement du grave comte de Northampton et de quelques vieilles dames de la suite de la reine. Quel cortége pour une jeune et joyeuse enfant! En vain elle appelait de ses vœux madame de Courcy, sa bonne et indulgente Éléonore; en vain voulait-elle faire presser le pas à sa monture pour la rejoindre, elle ou quelques autres des demoiselles de la reine: son cérémonieux voisin se penchait aussitôt à l’arçon de sa selle s’enquérait de ce qu’elle désirait, l’engageait à modérer l’ardeur de son coursier, étant, lui, comte de Northampton, ambassadeur du roi d’Angleterre, responsable des dangers que pouvait courir sa future reine.
Le comte répétait pour la vingtième fois son observation avec le même ton grave, la même inflexion de voix creuse, le même geste compassé, lorsque soudain un sanglier traqué par les chiens se jeta à la traverse des chevaux et du discours de l’ambassadeur anglais, et répandit l’effroi dans la troupe.
Soit qu’Isabelle eût eu peur, et que, par un brusque coup d’éperon, elle eût forcé son cheval à se cabrer, soit que le cheval eût été effrayé par le sanglier, ou soit encore que la jeune fille eût voulu profiter du désordre répandu dans son cortége pour s’éloigner de son roide chevalier et rejoindre le gros de la société, sa haquenée, lancée par elle au galop, ne tarda pas à prendre le mors aux dents.
Emportée à travers les allées et contre-allées de la forêt avec une vélocité incroyable, Isabelle eut toutes les peines du monde à se tenir en selle. A chaque nouvel élan elle se sentait désarçonnée, près d’être jetée à terre et brisée contre les pierres ou les arbres du chemin; mais son petit bracelet rouge qu’elle sentait toujours à son bras soutenait ses forces: l’idée qu’avec lui il ne pouvait pas exister de danger lui donnait non-seulement du courage, mais de la présence d’esprit, qui en sert bien souvent, si elle ne double pas celui que l’on a. Elle arriva ainsi, sans malencontre dans un endroit solitaire de la forêt, où son cheval s’arrêta de lui-même, comme s’il eût atteint le but de sa. course.
Le premier besoin d’Isabelle fut de respirer, car le vent qui s’engouffrait dans sa poitrine, à chaque soubresaut du cheval, l’avait oppressée; puis elle se mit à réparer le désordre de ses vêtements, occasionné par la rapidité de sa course. Ce soin rempli, elle examina le lieu où elle se trouvait: c’était une solitude sombre et sauvage; la main de l’homme ne se voyait nulle part; le chêne gigantesque y déployait à son aise ses branchages touffus; l’herbe, que n’avait encore ployée aucune trace humaine, s’y élevait verte et serrée; les fleurs des champs, mêlées aux fraises rouges des bois, y réjouissaient la vue, en même temps que leur parfum embaumait l’air; la fauvette et le rossignol semblaient fêter cet endroit en y faisant entendre leurs plus joyeux ramages.
Le calme de ces lieux, si différent du bruit de la ville, auquel Isabelle était accoutumée, répandit dans son âme cette paresseuse langueur qui fait que les membres se détendent d’eux-mêmes et cherchent le repos. Pliée en deux sur sa haquenée, qui broutait tranquillement l’herbe dont les épis venaient d’eux-mêmes s’offrir à sa bouche, la jeune fille rêvait, elle pensait à son mariage, à ce roi Richard auquel elle allait jurer soumission et fidélité, à ce roi qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’avait même jamais vu le portrait. Depuis la veille, vingt fois elle aurait voulu questionner sur lui ses compagnes, et, chaque fois, comme une crainte pudique l’en avait empêchée. Puis elle cessait de penser à son royal fiancé pour s’abandonner en enfant gâtée au charme de la solitude où elle se trouvait, pour écouter le rossignol et respirer avec délices les émanations enivrantes qui l’enveloppaient.
Le pas d’un cheval qui s’approchait la tira désagréablement de sa rêverie; ce ne pouvait être que celui du cérémonieux chevalier auquel son père l’avait confiée. Elle tourna la tête avec dépit de ce côté ; mais, bien que le cavalier fût encore loin, elle ne reconnut ni l’encolure du vieil Anglais ni celle de son long cheval: c’était un très-jeune homme monté sur un élégant coursier. Ce cavalier portait le costume des écuyers de l’ambassadeur; mais sa bonne grâce prêtait à ce costume un charme que les autres écuyers n’avaient pas. Sa figure, qui ne lui apparaissait encore qu’imparfaitement, rappela à la princesse ces portraits d’anges blonds que madame Valentine, sa tante, avait apportés de Milan, et qu’elle conservait dans son oratoire.
En entrant dans le bosquet, le cavalier mit pied à terre; et, découvrant respectueusement sa tête, il leva sur la princesse des yeux qui la fixèrent à sa place.
C’était encore sa vision: ces yeux avaient l’expression mystérieuse du regard du nécromancien; ils avaient la douceur magique du regard du seigneur inconnu et de l’écuyer du matin. Isabelle chercha son bracelet rouge et le serra avec émotion.
«Madame, dit l’inconnu, et sa voix avait la douceur de ses traits, nombre de seigneurs chevauchent après vous dans la forêt; les uns cherchent leur princesse de France, les autres leur future reine d’Angleterre; puisque c’est moi qui, le premier, ai eu le bonheur de vous retrouver, accordez-moi l’honneur de vous remettre en votre route.»
Isabelle salua pour réponse, et, reprenant les guides de sa haquenée, elle sortit du bocage, non toutefois sans jeter un coup d’œil de regret sur la solitude charmante qu’elle quittait.
Le jeune écuyer s’élança sur son cheval; et, mesurant son pas sur celui de la monture de la princesse, ils chevauchèrent un moment en silence sous les grands arbres.
Isabelle ne parlait pas, non qu’elle fût intimidée par sa position, elle avait trop la conscience de son haut rang et de sa dignité de princesse pour craindre de se trouver seule avec un inconnu au beau milieu d’une forêt: c’était peut-être aussi cette même fierté superbe qui lui faisait garder le silence.
L’inconnu le rompit le premier.
«N’avez-vous point eu frayeur, madame, de la course précipitée de votre beau coursier? Bien que je ne fisse pas partie du cortége, mes yeux ne vous ont pas quittée depuis le commencement de la chasse...»
Et, voyant que la princesse ne répondait pas, il reprit:
«N’aurez-vous pas regret, madame, de quitter ce tant beau pays de France?
— Je ne sais, milord, répondit Isabelle; depuis hier tant d’événements se succèdent dans mon existence, que j’en suis encore tout étourdie, et n’ai vraiment pas eu le temps de réfléchir.
— Quoi! pas même à ce roi Richard, votre heureux fiancé ?
— C’est peut-être sa pensée qui me préoccupe à ce point,» dit Isabelle.
Puis elle reprit avec cet abandon d’enfant qui s’alliait si bien à ses traits mignons et charmants:
«Vous le connaissez, milord, le roi Richard; est-il bon?
— On le dit, madame.
— Et... est-il beau?
— On le dit encore, madame.
— Tant mieux, dit Isabelle étourdiment; il me fera moins peur.»
Le jeune cavalier sourit.
«Ainsi, reprit-il à voix basse, et comme s’il eût craint que d’autres n’entendissent son discours, bien qu’il fût seul dans la forêt avec la princesse; ainsi, madame, vous irez vers lui sans ennui? Votre cœur, si jeune, ne laissera à la cour de France rien qu’il doive regretter?
— Et monseigneur mon père, milord, et madame ma mère, et ma chère Éléonore, madame de Courcy?
— Et voilà tout?... demanda l’inconnu.
— Je le crois, milord, dit Isabelle avec candeur, et cependant je n’oserais l’affirmer, car, au moment de s’éloigner pour toujours, les objets indifférents, mais qui nous entourent, prennent à nos yeux un caractère tout particulier; ainsi, depuis hier, il me semble que j’aime davantage toutes mes demoiselles.
— Et, parmi tous ces jeunes lords anglais, dites, madame, n’en avez-vous remarqué aucun auquel vous souhaiteriez que votre royal époux ressemblât?»
Isabelle comprima un éclat de rire en répondant:
«Ce ne serait, pas, à coup sûr, au comte de Northampton.
— Le voici au détour de cette allée,» dit l’inconnu, désignant du doigt un groupe de seigneurs qui s’avançaient vers eux; et, piquant des deux, il disparut par un petit sentier avant qu’Isabelle eût pu deviner son intention de la quitter.
La jeune princesse rejoignit la chasse toute soucieuse; la curiosité lui harcelait le cœur; elle aurait voulu savoir quel était ce jeune Anglais, qui parlait français comme un Français. A ses manières polies, ainsi qu’à son ton dégagé, ce ne pouvait être qu’un seigneur d’importance; mais pourquoi se tenait-il éloigné d’un lieu où, sans nul doute, son rang lui permettait de figurer? Elle eut beau interroger tous les visages qui l’entouraient, aucun ne lui présentait l’image de cet inconnu, aucun ne possédait ce regard si fier et si doux à la fois.
Quelques jours après, les ambassadeurs anglais retournèrent en Angleterre avec une réponse favorable et la promesse qu’on leur conduirait la princesse au printemps prochain.