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PREMIÈRE PARTIE
IV
L'ANGE DES TOMBEAUX

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La nuit enveloppait depuis longtemps Paris endormi. Non pas une de ces nuits transparentes sous leur voile, qui font rêver du ciel et de ses voies étoilées, non pas même une nuit au lourd manteau noir, dont pas un filet de l'éther ne traverse la couche opaque.

Le ciel, bizarrement envahi par des montagnes obscures, lançait çà et là par leurs trouées des clartés blafardes, qui prêtaient aux objets des aspects fantastiques.

Au palais, tout reposait, comme à la ville. Les corps de logis de la grande cour du Louvre se profilaient sur ce ciel douteux, sans que la lueur d'une veilleuse apparût derrière les vitrages plombés de quelque fenêtre. Seulement, sur les déchirures du ciel, les crêtes des hauts étages, les créneaux des tourelles, les aiguilles des guérites de pierre des bastions du bord de l'eau de la porte de Saint-Germain l'Auxerrois se dessinaient en silhouettes accentuées, pareilles aux découpures de ces châteaux magiques construits sur les flancs des nuages par de méchants enchanteurs.

La Grosse-Tour eût acquis alors des proportions gigantesques pour l'œil d'un visiteur, si quelqu'un se fût trouvé assez hardi pour la considérer sans un frisson. Sa tête disparaissait dans l'ombre, et sa masse noire se dressait comme un monument funèbre, écrasant une hécatombe immense.

C'était l'heure et le lieu de se rappeler les légendes fabuleuses qui peuplaient les mémoires; cette vue sans perspective, cet horizon sans lumière, ce môle sinistre rendaient vraisemblables les plus incroyables récits. Cette enceinte devait être hantée par des esprits en harmonie avec elle. S'il est des repaires où les spectres prennent leurs ébats, celui-ci en était un.

C'était sans doute en une circonstance pareille que le bouffon royal avait assisté à l'apparition dont il avait, quelques jours auparavant, entretenu la cour.

Son récit n'avait produit qu'une impression passagère, on s'en était occupé quelques heures. Le soir, peut-être encore, deux ou trois gentilshommes, une ou deux dames, plus curieux que les autres, avaient mis l'œil à leur croisée pour regarder si le fantôme ne leur donnerait pas une représentation; puis, fatigués bientôt d'une vaine attente, ils avaient quitté la partie, se moquant d'eux-mêmes et des hallucinations de messire Triboulet.

Ils eussent changé d'avis, et l'eussent reconnu pour leur maître, si, plus persévérants, ils se fussent tenus en observation au jour où nous sommes arrivés.

Oui, de l'un des angles de la cour carrée surgit tout à coup, nous ne saurions dire comment, une ombre plus noire que les silhouettes des tourelles, plus grave que les murailles de la Grosse-Tour, plus solennelle en sa démarche que les nuages fantastiques qui roulaient leurs cohortes au ciel.

On devinait sous cette enveloppe une forme humaine, mais on ne la distinguait pas. On n'entendait ni son souffle ni ses pas.

Elle avançait, morne et muette, sans regarder derrière elle, sans agiter les plis du linceul où elle était drapée.

C'était bien celle que le fou du roi avait déjà vue, car elle suivait le même itinéraire, marchant en ligne droite vers l'arcade de Charles V, au bord du fossé de la tour centrale, dont le pont-levis, rigoureusement retiré, ne permettait plus l'accès.

Où allait-elle donc et qu'espérait-elle? Les fantômes ont-ils des secrets pour passer où ne passent point les vivants? La pierre et les murailles offrent-elles des issues à leurs formes insubstantielles? Se transportent-ils, malgré leur apparence matérielle, à la manière des esprits subtils?

Il faut le croire, puisque celui-ci se fut à peine approché de l'un des massifs de la maçonnerie, qu'il parut ne faire plus qu'un corps avec elle, ou plutôt qu'il fut absorbé, englouti dans ses flancs granitiques.

Ce phénomène était si prodigieux qu'il arracha un cri de surprise à une autre créature, accourue là sur les traces de l'apparition.

Pour que rien ne manquât, en effet, à cette fantasmagorie, derrière le spectre s'était avancé un gnome, c'est-à-dire un être bizarre, aussi grotesque que le premier était imposant, quelque chose entre l'homme et le singe, un corps sans jambes, ou des jambes sans corps, avec une tête énorme, sans proportions avec le reste de sa structure.

Cette chose avait jailli d'un perron sur les traces du noir promeneur, et s'était attachée à lui, en roulant comme une boule, en rampant comme un lézard, toujours dans les ombres les plus opaques de la cour, de manière à n'être pas même visible pour l'œil du fantôme.

Lorsque le premier s'était approché de l'arcade de Charles V, le second avait hâté sa poursuite, et déjà il étendait sa main crochue pour saisir le pan de son manteau; mais fantôme et manteau s'évanouissaient à sa vue, comme ces visions de nos rêves qui échappent à notre toucher, et ce prodige arrachait au nain une exclamation de colère et d'effroi.

Cet observateur déçu dans son espoir demeura un moment immobile de stupeur, puis il tressaillit en apercevant, à travers une des longues et minces meurtrières percées çà et là dans les assises de la tour, un filet lumineux, qui passa rapide comme l'éclair et ne revint plus.

Il conçut la conviction, sans qu'il eût pu expliquer pourquoi, que la disparition du noir promeneur sur le bord du fossé, et le jet de cette lumière à travers la tour, avaient la même cause et appartenaient au même objet.

Alors, au paroxysme de l'exaltation, il se mit à palper un à un les blocs de pierre du pilier mystérieux, il gratta les interstices avec ses ongles, essaya d'en percer le ciment avec le fer d'un poignard, frappa du manche de celui-ci sur chaque point; – ses ongles se cassèrent, sa lame s'ébrécha, et le pilier rendit un son mat et brut, qui ne révélait aucun vide dans la maçonnerie.

Le nain secoua ironiquement sa grosse tête rousse, et s'en alla se blottir en face de la poterne, dans l'angle d'un épais contrefort du palais, l'œil attaché sans relâche sur ce pilier qui ne voulait pas lui livrer son secret.

Plus favorisés, il nous sera permis d'en traverser les blocs.

L'apparition au noir vêtement descendit d'abord un escalier en spirale, dont la cage étroite la meurtrit plus d'une fois. Cet escalier comptait trente marches, au bas desquelles s'offrait une galerie, dont la voûte humide et visqueuse laissait filtrer des gouttes d'eau glacée qui formaient de place en place de petites mares sur le sol spongieux.

Un sentiment de froid pénible vous saisissait dans ce conduit, au-dessus duquel régnait le fossé de la tour.

Le personnage que nous y suivons n'échappa point à cette impression: un frisson le parcourut de la tête aux pieds; ce fut le premier, l'unique mouvement qu'il eût encore manifesté.

Il n'en ralentit pas cependant sa marche, devenue plus hâtive que dans la traversée de la cour, et il atteignit le bout de la galerie, qui se terminait brusquement par un pan de maçonnerie.

Mais il n'eut qu'à étendre le bras, à toucher une saillie des pierres du bout des doigts, l'obstacle disparut, la muraille s'effaça, comme s'était effacé le pan du pilier de Charles V, et le promeneur inconnu pénétra dans une petite pièce carrée évidemment creusée de main d'homme dans l'épaisseur des fondations de la Grosse-Tour.

Avant que sa voix eût appelé, un gardien se présenta, tenant à la main une lumière qui éclaira à peu près ce réduit. Jusqu'alors, l'apparition, marchant à l'instar des fantômes, s'était orientée à travers les ténèbres les plus épaisses.

– C'est bien, maître, dit-elle; conduis-moi.

Ce guide était un vieillard aux cheveux gris, mais grand et encore vigoureux. Il portait à sa ceinture de cuir deux objets particulièrement remarquables: un anneau de fer contenant un énorme trousseau de clefs grossières et rouillées, et un poignard dans une gaîne solide.

Sans se faire répéter l'ordre, il ouvrit une porte bardée de traverses assujetties par de gros clous, et éclaira de sa lampe trois marches à monter pour accéder dans une galerie autrement longue que la première.

A droite et à gauche de celle-ci régnaient de nombreuses portes massives, toutes munies d'énormes verrous extérieurs.

Ces portes donnaient sur autant de cellules; ces cellules étaient des fosses.

Lorsqu'on était déposé dans un de ces cabanons, on ne savait plus quand on en sortirait, ni si l'on en sortirait. Le premier venu n'y était pas admis… on les réservait aux prisonniers de distinction.

Les grands vassaux, traîtres à leur foi ou redoutables pour leur influence, en avaient longtemps connu les tortures… aujourd'hui, d'autres coupables y croupissaient. Le premier ministre y tenait à sa merci les novateurs les plus fougueux, les écrivains réformistes qui n'avaient pu échapper à temps.

Le guide ouvrit successivement chaque cellule, et successivement l'apparition s'approcha des captifs, leur adressa une parole consolatrice, leur donna une lueur d'espérance, s'assura que leur condition misérable n'était pas encore aussi affreuse qu'elle eût pu le devenir, sans les subsides généreux qu'elle laissait aux mains du geôlier.

Au bout de cette galerie funèbre, le verrou de la dernière porte tiré, l'apparition se tourna vers le vieillard:

– Laisse-moi, lui dit-elle, je te rejoindrai.

Il s'inclina et obéit.

Sa compagne poussa la porte et entra.

Ce cachot était un peu moins horrible que les autres. Une lampe, suspendue par un anneau de fer à la voûte, en éclairait l'intérieur; la couche ne manquait pas de couvertures; une table et quelques ustensiles en garnissaient le fond.

La porte refermée, l'apparition écarta son long voile d'étoffe épaisse; mais le prisonnier n'avait pas attendu pour s'élancer vers elle, avec l'acclamation du mourant qu'on rappelle à la vie.

– Marguerite!..

Et, réunissant ses deux mains dans les siennes, il les couvrait d'ardents baisers.

Oui, c'était elle, la Marguerite des marguerites, la perle des perles, comme disaient les poètes. Son beau et mélancolique visage, pâle à l'égal d'un marbre de Paros, se détachait sur ses vêtements de deuil, et semblait, aux rayons de la lampe, refléter une auréole.

– Oh! c'est bien moi, mon Jacobus, dit-elle d'un ton d'ineffable tendresse; et quand vous aurez fini d'embrasser mes mains, vous m'apporterez votre front, que je vous rende vos baisers.

– Marguerite! Chère et bien-aimée Marguerite!.. répéta le prisonnier, qui semblait avoir mis toute son âme dans ce nom.

– Tu m'accusais peut-être, ingrat!.. Le temps t'a semblé long, mon ami cher… moins long, qu'à moi, va!.. Oh! cette cour, cette étiquette, ces jaloux, ces espions!.. Depuis trois jours, je n'avais pu m'y soustraire. Il semblait qu'un réseau d'Argus haineux m'enveloppât… Et je ne voulais pas qu'on pût surprendre notre secret… Non pas pour moi, qui défie la haine et la rancune de ces serpents; mais pour toi, mon âme, qu'un de leurs dards empoisonnés atteindrait aisément!..

– Oh qu'importe!.. ne pensons plus au passé, au temps perdu, aux persécutions, aux persécuteurs… Le présent seul existe; et le présent, c'est le bonheur, puisque je te vois, puisque je t'entends, puisque tes lèvres ont touché mon front…

Elle s'était assise sur une escabelle près de la table, et il se tenait agenouillé devant elle.

– Es-tu belle ainsi! reprit-il avec passion, sous ce costume triste et sombre, tes yeux brillent comme les diamants noirs de l'Orient, et ton visage dépasse en ravissement celui des anges.

Elle lui mit sa main sur le front, pour le placer sous la pleine clarté de la lampe, et s'étant mirée longtemps dans la silencieuse contemplation de ses traits:

– Je ne sais si je suis aussi belle que tu dis, mais, au monde je n'ai vu chevalier plus gracieux que toi, mon Jacobus; la poésie et l'intelligence brillent sur ton front, la bonté et le courage sur tes lèvres et dans tes regards, la grâce et la noblesse dans ton maintien… Mon beau gentilhomme, je suis fière de toi, et je te sauverai, car je t'aime!..

– Assez! assez! ce mot-là me suffit!.. Me sauver, à quoi bon; j'ai suffisamment vécu! Ah! l'on devrait mourir à l'heure d'une pareille joie; car le reste de la plus longue vie ne peut en fournir une si grande.

Va! je ne suis pas ingrat!.. mon adoration pour toi n'a d'égale que celle que j'adresse à Dieu; elle est si puissante… devrais-je le confesser? qu'elle me fait parfois oublier jusqu'à mon père!..

– Ton père, répéta Marguerite avec des larmes dans la voix; ce noble vieillard que je respecte et que j'aime sans l'avoir vu, à cause des vertus de son fils et de la tendresse qu'il a su lui inspirer…

– Oh! merci, chère dame! Non, tu n'es pas une femme commune, tu comprends tous les sentiments généreux; merci, mon amour s'augmenterait encore, s'il était possible, de ton estime pour mon père…

Pauvre père, soupira le prisonnier; j'étais l'enfant de sa vieillesse, l'enfant du miracle, disait-il; je n'ai pas vingt-six ans, et il ne s'en faut que de quelques années qu'il ait accompli son siècle!.. Et quel homme que ce patriarche! Initié à toutes les sciences; plus habile en métaphysique que pas un chercheur du grand œuvre; plus perspicace en médecine que pas un docteur, il a tout embrassé, tout pénétré…

Pauvre père!.. Où est-il, que fait-il à cette heure?.. Persécuté à cause de moi, sans doute!.. mort de m'avoir perdu peut-être…

Et le prisonnier se cacha le visage de ses mains, pour dissimuler ses larmes.

Se roidissant enfin contre cette émotion légitime, que la princesse respectait:

– Chère et illustre dame, reprit-il, trésor de miséricorde, vous que les captifs et les infortunés appellent l'ange des tombeaux quand vous descendez dans cet enfer anticipé, n'avez-vous donc encore pu découvrir ce qu'est devenu mon père?..

– Je ne veux pas te tromper, mon cher Jacobus; jusqu'ici il ne m'a pas été possible de recueillir aucun renseignement précis ou satisfaisant. Tout ce qu'on a pu me dire, c'est qu'aussitôt après ton arrestation à Meaux, ton père a disparu de son logis. Je crois être sûre qu'il n'a pas été pris parmi les réformistes car il ne s'occupait guère de ces matières théologiques; je serai d'ailleurs très prochainement en mesure de connaître les noms de tous les prisonniers…

– Merci de vos soins secourables, ma noble et chère dame, soupira le captif. Hélas! je le sens, mon père est perdu pour moi!..

– Pourquoi donc abandonner ainsi tout espoir? reprit avec un doux reproche, la princesse; je vous dis d'espérer, au contraire; j'ai détaché à sa recherche Michel Gerbier, le plus sûr de mes serviteurs, mon père nourricier; il saura bien me découvrir ses traces. Je vous le répète encore, pour lui comme pour vous, mon cœur est plein de confiance.

– Si vous voulez parler de ma délivrance, reprit le jeune homme en agitant mélancoliquement sa tête expressive, en vérité je ne suis pas pressé de la voir venir. C'est dans ce cachot que j'ai connu le bonheur de vous aimer; ce cachot est un palais que votre pensée embellit sans cesse; et qui sait, à supposer que vos projets se réalisent, si je retrouverai, libre, les joies ineffables que j'aurai goûtées captif!..

– Chère âme, prononça Marguerite en lui faisant un collier de ses deux bras, que tu mérites bien d'être aimé!..

Elle disait vrai, la belle Marguerite. Dans ce Louvre dont les superbes murs pesaient de tout leur poids sur ce captif, elle eût vainement cherché un gentilhomme qui valût celui-ci non pour les titres, il y en avait de plus de quartiers sans doute, non pour la beauté et la distinction, quoiqu'il possédât un visage séduisant, quoique sa tournure fût irréprochable; mais pour cette noblesse qui ne se lègue pas par héritage, mais pour ces qualités de l'âme que l'éducation ne donne pas, car elles sont une faveur directe d'en haut.

Jacobus, ou plus vulgairement Jacobé de Pavanes, était un jeune homme de grand mérite, érudit et lettré, élevé à l'école de l'évêque de Meaux, dont il était le disciple favori.

C'était chez ce prélat qu'il avait eu occasion de rencontrer madame Marguerite de Valois, que ses tendances réformistes portaient à fréquenter monseigneur Guillaume Briçonnet, chef de luthéranisme en France.

L'estime que le prélat faisait de Jacobus, l'attention qu'il accordait à ses discours, une attraction naturelle, rapprochèrent de lui la princesse, et bien certainement ils s'aimaient, sans avoir osé se l'avouer l'un à l'autre, quand la persécution surexcité par Antoine Duprat éclata sur la petite église de Meaux et sur ses adhérents, avec la rapidité et la violence de la foudre.

Jacobus de Pavanes avait commis un acte de rébellion capitale, aux yeux du chancelier, non moins qu'à ceux de la Sorbonne.

Oubliant que Clément Marot n'avait pu trouver grâce, en dépit de ses hautes protections, pour sa traduction versifiée des psaumes, condamnée solennellement et détruite par la main du bourreau2, méprisant l'arrêt rendu par la Sorbonne, consultée par le parlement sur l'opportunité d'octroyer à Pierre Gringoire, écrivain en grande réputation en ce temps, la permission d'imprimer les Heures de Notre-Dame, translatées en français, Jacobé de Pavanes avait osé traduire la Bible!

Il résulta naturellement de cette rigueur que la curiosité publique, stimulée, s'attacha avec plus d'impatience à la connaissance de la lecture qu'on lui interdisait, et que le mouvement en fut accéléré au lieu d'en être ralenti.

En France, toujours sous l'impulsion de Duprat, la Sorbonne, consultée par le parlement sur la requête de Pierre Gringoire dont nous venons de dire un mot avait donc rendu le décret stipulant «que de pareilles traductions, tant de la Bible que d'autres livres de religion, étaient pernicieuses et dangereuses, parce que les livres ont été approuvés en latin; et doivent ainsi demeurer».

Mais, nous ne sommes ici que pour constater les faits, et celui que nous signalons présentement, c'est la captivité de Jacobé de Pavanes dans les fosses de la Grosse-Tour du Louvre; c'est la miséricorde de la sœur du roi vis-à-vis de tous les prisonniers de religion, et particulièrement de l'élève de prédilection de l'évêque de Meaux.

Jusqu'au jour où le malheur s'était abattu sur lui, la princesse Marguerite s'était tenue à son égard dans une réserve qui ne laissait rien voir de ses sympathies intimes; elle savait sans doute, – les femmes ont pour cela un sens particulier, – que ce beau gentilhomme, ardent en toutes choses, chez lequel la passion débordait par tous les pores, la trouvait belle, et recherchait sa présence.

Mais, par une retenue qui n'est pas rare en un véritable amour, elle évitait de lui fournir aucune occasion de manifester ce sentiment, soit dans ses discours, soit dans les vers qu'elle ne laissait pas de tourner avec art.

Ce fut donc seulement lorsqu'il lui apparut malheureux, prisonnier, accusé d'un crime entraînant des peines terribles, que les hésitations de son cœur se fondirent soudain, et qu'elle laissa échapper dans le cachot du Louvre l'aveu qu'elle avait su contenir au sein des splendeurs.

Un geôlier, gagné à prix d'or, servait de complice à ces entrevues, et avait livré à la comtesse le secret du pilier de Charles V, connu de lui seul.

Le lecteur comprend donc, sans que nous insistions, l'ardeur de cette passion cimenté par les persécutions, stimulée par le péril, entretenue d'une part par une reconnaissance sans bornes, de l'autre par les instincts les plus généreux, par l'abnégation la plus sincère.

Marguerite était heureuse et fière de se sentir l'unique but, l'unique pensée, l'unique providence de celui qu'entourait sa tendresse. La poésie de son âme, l'ardeur de son sang, ce sang royal qui coulait aussi dans les veines de François Ier s'épanchaient dans ses entrevues avec le chevalier de Pavanes, en sorte que l'heure était loin déjà qu'ils se croyaient encore à leur premier baiser.

Des coups discrètement appliqués à la porte de la cellule les rappelèrent à la vérité.

Le temps avait marché, c'était le moment des adieux.

Marguerite promit de revenir bientôt; on échangea un de ces longs embrassements où les âmes et les sens se confondent, puis la porte se referma. L'ange des tombeaux se disposa à regagner le monde des vivants.

Le captif se jeta sur sa couche, et tenant à deux mains ses tempes enfiévrées de joie, les yeux clos pour ne pas être distrait par les objets extérieurs, il continua son rêve de bonheur, en savourant le souvenir de ses moindres détails.

Assurément, Marguerite, forcée de songer aux précautions de la retraite, était plus à plaindre que lui.

Elle renouvela ses recommandations et ses libéralités auprès du geôlier, lui fit entendre que le chevalier de Pavanes n'attendait que le retour du roi pour obtenir son élargissement, et qu'alors elle et lui proportionneraient leur générosité à ses bons offices.

Cet homme, qui détestait le chancelier comme tout le monde ne demandait qu'à servir une cause où il trouvait tous les avantages rassemblés, bons traitements et profits.

Marguerite reprit donc sa route accoutumée, et le pilier complaisant de la grande arche la rendit bientôt au plein air.

Drapée dans son manteau noir, le visage caché dans son coqueluchon rabattu, elle se dirigea tout droit vers une porte basse de l'aile méridionale des bâtiments.

La nuit n'avait fait que s'épaissir depuis son premier trajet; autour d'elle il ne se produisait aucun mouvement, il ne retentissait aucun bruit.

Cependant un être informe avait jailli de l'angle d'un contre-fort, où il accomplissait sa veille infatigable; et rampant dans l'obscurité, il s'arrêta seulement à quelques pas de la porte, où il laissa la princesse pénétrer sans obstacles.

Puis, cette porte retombée, cette créature sans nom agita, en signe de contentement, ses longs bras décharnés, et poussa un cri de hibou en belle humeur, qui fit grincer les girouettes du palais sur leur verge rouillée.

2

Quelques années plus tard, Marot fut arrêté avec la plupart des gens de lettres de Paris, pour avoir mangé de la chair en carême. Ils furent cités devant le parlement, et Marot ne dut son élargissement qu'à la caution de Marguerite de Valois, qui le fit réclamer par son secrétaire, en séance de ce redoutable corps devenu politique, judiciaire et religieux.

Les Mystères du Louvre

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