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PREMIÈRE PARTIE
VI
L'HOROSCOPE

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On nous permettra, avant d'aller plus loin, de présenter au lecteur, avec quelques détails, Louise de Savoie, duchesse d'Angoulême. Cette princesse exerça la régence durant la plus grande partie du règne de François Ier, que son esprit d'entreprise, ses aventures et ses luttes guerrières détournaient des affaires de l'État.

Nous avons, dans un précédent chapitre, montré cette princesse entourée de sa cour. Elle avait alors près de cinquante ans; mais, grâce à l'art des cosmétiques, grâce à son maintien superbe, à la noblesse de sa taille, c'était encore une femme belle et qui ne manquait pas de charmes.

L'habitude du pouvoir, une énergie innée, des instincts indomptés, avaient en outre marqué leur sceau sur son front, qui respirait le besoin d'autorité et la volonté rigide.

Ses passions avaient plongé la France dans l'abîme où elle se débattait depuis plusieurs années.

Son avidité d'argent causa particulièrement d'immenses malheurs; mais le fol amour dont elle s'éprit, à l'âge de plus de quarante-quatre ans, pour le duc de Bourbon, connétable de France, eut aussi d'irréparables conséquences, et fut en réalité l'origine de la défaite de Pavie et de la prise du roi.

Le connétable, beaucoup plus jeune qu'elle, était fier, et prétendait ne devoir sa fortune qu'au roi. Il repoussa ses avances, et se voyant disgracié à la suite du refus qu'il avait fait de lui servir d'amant ou même d'époux, il entra au service de l'empereur.

C'était, a dit un historien, un de ces hommes nés pour décider du sort d'un État par le parti qu'ils embrassent. Le sort de la France fut en effet tranché par sa désertion.

Nous ne rappellerons pas ces désastres.

Il nous suffit de donner un regard à la situation de la cour et du pays à l'époque qui nous occupe.

La France était toujours sous le coup de la consternation où l'avait jetée l'échec de Pavie. François Ier était jeune, généralement aimé, admiré de l'Europe. On avait la certitude que bien d'autre sang allait succéder au sang déjà répandu, et la France, entamée, se sentait menacée d'une condition pire encore par les efforts extraordinaires qu'il fallait tenter après tant d'autres efforts perdus. On songeait aux sommes immenses qu'il était indispensable de trouver, et l'on se demandait où les prendre.

Plus on racontait des merveilles de la vaillance déployée par le roi à Pavie plus on était touché de sa situation; et tout le monde à la cour imputait ces maux à la duchesse d'Angoulême et au chancelier Duprat.

L'écho de ces plaintes, de ces accusations, n'était pas sans arriver jusqu'à ces grands coupables.

Le chancelier s'en vengeait en poursuivant comme novateurs ceux qu'il supposait ses ennemis; mais la régente paraissait fort assombrie par la grande responsabilité qui pesait sur elle et par l'affection, nous devons insister sur ce point, qu'au milieu de ses égarements, de ses vices, elle portait à son fils et à la princesse Marguerite.

Depuis les événements qui avaient atteint ce fils bien-aimé, elle se montrait particulièrement en proie à des accès d'anxiété de mélancolie, qu'elle n'était plus maîtresse de dissimuler.

Poursuivie par une idée fixe, dont elle ne se confiait à personne, elle se livrait à des pratiques religieuses exagérées, qui l'entraînaient flottante du catholicisme au luthéranisme, – son esprit inquiet demandant par alternatives à l'une et à l'autre de ces croyances, laquelle était la plus efficace pour calmer les esprits malades… les remords, peut-être!..

La captivité du roi suffisait-elle pour justifier un si grand trouble moral? On en doutait; mais quelle autre faute la duchesse d'Angoulême avait-elle donc à expier?

Entachée des idées nouvelles, elle ne croyait ni à l'efficacité des fondations monastiques ni à celle des indulgences. Son intelligence supérieure ne se pouvait persuader que, parce qu'il avait plu au sort de la placer dans une condition où elle était en mesure d'acheter ses faveurs, elle pouvait ainsi satisfaire à la justice divine.

Elle en vint à des expédients qui trahissaient le trouble de sa conscience. Ce fut alors qu'elle adressa à diverses reprises au parlement (voyez Dulaure) des remontrances sur le luxe des habits. Elle prétendait qu'il était l'heure de s'humilier devant Dieu, de réformer cet éclat, d'abandonner les étoffes de soie pour en prendre de laine de couleur jaune, noire ou gris foncé, et de ne plus célébrer de noces somptueuses.

L'avocat général, Charles Gaillard, répondit fort sagement à ces remontrances, que la cour du roi devait donner l'exemple de cette réforme; que ses pompeuses superfluités, trop exactement imitées par les sujets, causaient la ruine d'un grande nombre.

On eût cru que la princesse toute-puissante allait s'offenser de cette franche déclaration, lorsque, à la surprise générale, on la vit s'y ranger en adoptant, pour un temps du moins, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une autre fantaisie eût succédé à celle-là, des vêtements médiocres, tels qu'elle eût voulu en voir à tout le monde.

On pense bien aussi que, grâce aux idées superstitieuses du temps, alors même qu'elle s'adressait au ciel, toute femme supérieure qu'elle fût, elle ne dédaignait pas des pratiques qui sentait fort le soufre et la corne d'enfer.

Pénétrant donc, – le jour qui suivit la visite de Triboulet à Antoine Duprat, – dans l'appartement de la duchesse régente, nous la trouvons en compagnie de sa fille Marguerite et d'un troisième personnage, auquel elle paraissait porter une extrême attention.

La duchesse d'Alençon, assise à l'écart, rêveuse, les yeux fixés sur le ciel, dont on entrevoyait un lambeau par la croisée entr'ouverte, errait évidemment loin de ce qui occupait si fort la régente.

La mère et la fille avaient chacune leurs soucis.

La première se tenait près d'un guéridon d'ébène, ayant en face d'elle le personnage que nous avons indiqué et dont elle étudiait avec une anxiété singulière les gestes et la physionomie.

C'était un homme de cinquante ans, vêtu d'une longue robe noire d'une extrême simplicité. Ses traits creux, son front chauve et ridé, ravagé par l'étude plus que par l'âge, inspiraient une défense instinctive. On sentait de prime abord, rien qu'à la façon dont son œil observateur se portait sur le vôtre, que cet homme exerçait sur le commun une supériorité réelle.

Corneille Agrippa était en effet un habile et profond docteur; ce n'était qu'avec beaucoup de peine que Louise de Savoie avait pu l'attacher à sa personne et à celle de François Ier en qualité de médecin. Toutes les cours le lui avaient disputé; aussi était-il l'homme de France le moins courtisan, et le plus prompt à la réplique lorsque sa puissante protectrice le contrariait en quoi que ce fût3.

Il n'était guère permis alors à un médecin de demeurer étranger à l'alchimie ni à l'astrologie judiciaire.

L'anatomie était une science à peine soupçonnée; la dissection d'un corps humain passait pour un acte sacrilége. Charles-Quint consultait les théologiens de Salamanque pour savoir si, en conscience, on pouvait disséquer un corps afin d'en étudier la structure.

D'une part, les métaux entraient pour beaucoup dans la médication; de l'autre, on attachait à la marche des astres une influence prépondérante sur la climatérique terrestre et sur l'organisme humain. Par une conséquence qui se comprend, si l'on se reporte à l'état des intelligences, qui sortaient à peine des nuages mystiques du moyen âge, les hommes les plus éclairés ne dédaignaient pas de considérer cette influence comme s'étendant aux choses morales.

Ainsi, étant admise cette vertu des astres, et leur marche étant connue, il n'était pas illogique de chercher à devancer celle-ci, pour les interroger sur les événements qui pouvaient découler de leur conjoncture avec d'autres mondes célestes ou avec les saisons.

Corneille Agrippa possédait, comme ses confrères, cette science hypothétique; mais plus éclairé ou plus circonspect, il est avéré qu'il n'y avait recours qu'à la dernière extrémité, ou quand la régente ne lui laissait pas la licence d'un refus formel.

Nous le trouvons dans un de ces instants, courbé sur le guéridon, absorbé par les supputations de chiffres dispersés sur une large pancarte, au milieu de cercles, d'angles, de carrés cabalistiques.

Après avoir fait et refait un calcul qui ne répondait sans doute pas à son désir:

– Madame la duchesse, dit-il, Votre Altesse me pardonnera, mais il m'est impossible de réussir aujourd'hui cet horoscope.

– Parlez-vous sans feinte, messire? répondit Louise de Savoie en l'interrogeant de son regard méfiant et scrutateur. Ne serait-ce pas plutôt que vous hésitez à me révéler le résultat de ces hiéroglyphes où vous lisez comme dans le ciel? Exprimez-vous avec franchise, vous ne sauriez m'annoncer rien de pis que ce que j'ai déjà enduré!

– S'il faut donc vous obéir, madame, ces chiffres et ces signes rebelles ne veulent en effet se combiner pour rien de satisfaisant…

Il s'arrêta en remarquant la pâleur et l'émotion qui envahissaient le visage de sa noble cliente.

– Achevez donc, messire, lui dit-elle.

– Je recommencerai demain ces supputations qui doivent être fautives; mais, puisque vous l'exigez, sachez, madame, qu'elles ne contiennent que de fâcheux présages, pour Votre Seigneurie, notre sire le roi, votre royale famille et la France.

– C'est-à-dire, fit la régente, les lèvres serrées de dépit, qu'elles annoncent le triomphe de nos ennemis, et la glorification du pire de tous, du connétable de Bourbon?

– Vous l'avez dit, madame.

– Et le moyen de conjurer ces prétendues calamités, votre science ne vous l'indique-t-elle point?

– Hélas! ma science peut prévoir, elle ne saurait empêcher…

– Il suffit, messire. Je vous rends grâce de vos efforts, et je vais me mettre en quête d'un médecin qui ne se contente pas d'annoncer la maladie, mais qui sache la guérir.

– Assurément, répondit-il sans se déconcerter, Votre Seigneurie ne manquera pas de fourbes qui en feront promesse; moi, je ne promets que suivant mes moyens.

– Nierez-vous donc l'art des envoûtements, par lesquels on prévient les coups de ses ennemis, en les frappant eux-mêmes des plaies d'enfer?

La physionomie du docteur s'assombrit à cette proposition sinistre.

– Je crois la science humaine fort bornée, et je ne me targue pas encore de la posséder toute; quant à ces pratiques mystérieuses, que Votre Grâce ne compte point sur moi pour les entreprendre; de telles arcanes dépassent mes forces, et si la volonté d'en haut est de favoriser le connétable, je ne me sens pas de poids à lutter contre elle.

– Or çà, ma chère fille, dit la régente en élevant la voix pour arracher Marguerite à son indifférence apparente, prêtez-nous donc votre attention. Ceci vous intéresse tout comme nous; voici ce docteur mécréant qui nous prédit à tous une série de calamités, et qui refuse de nous fournir le moindre talisman pour nous en préserver.

– N'est-ce que cela, ma mère, repartit avec une grande douceur la princesse, ne violentez pas messire Agrippa dont j'estime le savoir. Rien n'est plus aisé que de vous procurer une amulette, un charme, une mandragore.

On ne s'entretient plus, depuis quelque temps, que de l'habileté merveilleuse d'un vieux nécroman, Gaspard Cinchi; je crois qu'il loge à deux cents pas de ce palais, dans une des ruelles qui confinent aux Tuileries. Il est déjà en possession de la plus belle clientèle de votre cour. Vos filles d'honneur mêmes ne se font pas faute de le consulter en cachette.

– Entre confrères, on se connaît quelquefois, dit la régente avec un peu d'ironie à Agrippa; messire, avez-vous des données sur ce Gaspard Cinchi?

– Quelque charlatan de bas étage, affublé d'un nom italien!.. grommela le médecin froissé de cette apostrophe.

– Charlatan, peut-être, répéta Marguerite souriant malgré elle à cette boutade, mais meilleur courtisan que tel docteur morose de ma connaissance. Il a fait des prédictions couleur de printemps à la plupart de ces demoiselles; jusqu'à assurer à votre favorite, ma mère, la petite d'Heilly, qu'elle détrônerait une reine…

– Si cela est, fit vivement la régente, c'est en effet un grand homme, car il a dit vrai…

– Hein?.. vous pensez, ma mère?..

– Silence sur ceci!.. L'avenir éclaircira toutes choses.

Le docteur ne chercha pas à comprendre; mais la princesse, plus curieuse, essaya de descendre dans la pensée de sa mère; pensée profonde, où germait déjà le dessein de faire supplanter dans la faveur royale la comtesse de Châteaubriant qui lui portait ombrage, par sa protégée la demoiselle d'Heilly, qui fut, en effet, plus tard la duchesse d'Étampes.

– Je vous deviens inutile, madame, prononça avec une politesse froide le docteur; me permettrez-vous de me retirer?

– Je ne vous retiens plus, messire, dit la régente, et je vous rends la liberté après laquelle vous soupirez bien fort.

Il s'en alla sans insister, en homme qui compte ne plus revenir, et en adressant aux deux princesses un salut respectueux mais glacé, auquel la régente répondit à peine.

Le lendemain, il quittait le Louvre pour rejoindre cet autre terrible disgracié qui s'appelait le connétable de Bourbon, dont il avait prévu les nouveaux succès.

La duchesse d'Angoulême le laissa partir sans essayer de le rappeler, et cependant son regard fixe, longtemps attaché sur la portière qui venait de retomber derrière lui, trahissait son regret en même temps que son mécontentement.

La princesse Marguerite essaya de l'arracher à cette angoisse.

– Oubliez cette homme et ses paroles, ma mère. Ces pratiques de magie sont vaine superstition; les esprits vraiment forts s'en affranchissent. Maître Agrippa, que je tiens pour savant d'ailleurs, est sujet à se tromper comme les autres; et je penche à croire qu'il emprunte ses pronostics plutôt à ses sympathies qu'aux révélations extra-naturelles.

Mais la sentence du docteur, puissamment corroborée par sa démarche et son départ, avait porté à l'esprit de la régente un coup trop sérieux pour s'effacer devant ses affectueuses remontrances.

– Non, non! fit-elle en agitant péniblement la tête; les arrêts de ce physicien ne sont pas de ceux qu'on peut impunément dédaigner… Il ne dit rien dont il ne soit convaincu; et il est si bien persuadé des calamités qui nous menacent, qu'il déserte sans hésiter notre cour, pour chercher, j'en jurerais, la faveur de nos ennemis florissants. Ainsi les gens sensés s'éloignent d'une maison qui s'écroule…

– Nous trouverons cent docteurs pour un, ma mère.

– Qu'importe, s'ils sont impuissants, si le malheur doit venir? Il ne faut pas mépriser le savoir de ces hommes, ma fille; ai-je besoin même de vous rappeler que vous eûtes pour eux maintes fois plus d'égards…

– C'est vrai, ma mère; quand l'esprit, quand le cœur souffrent, se désespèrent, quand ils sont épuisés de s'être inutilement adressés à Dieu, placé trop haut pour abaisser ses yeux sur nos infimes douleurs, alors, on va quelquefois à toutes les portes. Le cerveau humain, inquiet malade se laisse facilement attirer par l'espoir d'un appui surnaturel, d'une lumière, d'une influence fatidique; quand on souffre dans le présent, on demande à l'avenir de nous soutenir en nous consolant… Hélas! déceptions et chagrins!..

– Cependant, ma fille, ces calculs astrologiques ne sont pas toujours vains, qu'il vous suffise de le savoir; ce que vous m'avez dit tout à l'heure sur la petite d'Heilly est le décret de l'avenir, et, je vous l'affirme, c'est vérité. Je veux consulter aussi, moi, ce vieux Gaspard Cinchi dont la science a trouvé cela… Dès demain, je le verrai… Ne serez-vous pas curieuse de m'accompagner?..

– Excusez-moi, ma mère, répondit avec embarras la princesse; je n'ai plus foi en ces pratiques… j'aime mieux ne pas voir ce nécroman.

– Marguerite, dit la régente avec intérêt, vous souffrez plus que vous ne voulez l'avouer! votre âme est livrée au trouble et à la crainte!..

– Ne m'interrogez pas, ma mère. Vous fûtes toujours bonne pour moi; prêtez-moi votre aide dans le dessein que j'ai conçu, sans chercher à savoir quel il est, ni pour quel objet je vous implore.

A cette prière, le cœur maternel de la régente se réveilla.

– Mon appui? mais il est à toi, ma fille, à toi tout! entier. Qui donc oserait en vouloir à ton bonheur?..

– Ma mère, n'est-ce pas aujourd'hui que le grand chancelier vous remettra cette liste des prisonniers de religion, sur laquelle nous devons désigner ceux que nous souhaitons voir absoudre et renvoyer?

Quoique cette question ne répondît pas aux assurances affectueuses qu'elle venait d'adresser à sa fille, et que celle-ci l'eût formulée sur un ton plus léger en apparence que ses précédentes paroles, la régente ne s'y trompa point; elle comprit qu'il existait un rapport absolu entre elles.

– Je ne vous demande pas votre secret, chère fille; je ne veux même pas le savoir. Mais si d'aventure il tient à la délivrance d'un de ces captifs, foi de régente du royaume, sauf le cas de haute trahison, ce captif sera mis en liberté.

La princesse fut sur le point de se jeter au cou de sa mère puis un scrupule, une crainte subite la retint, et avant d'épancher sa reconnaissance:

– Foi de régente, c'est parole de roi, ma mère, je retiens donc la vôtre, et vous me servirez, même contre messire Antoine Duprat?..

Ce nom, prononcé avec cette solennité et rapproché de son serment, fit pâlir la duchesse d'Angoulême.

– Le grand chancelier?..

– Hésiteriez-vous, ma mère?

– Non, sans doute, mais pourquoi mêlez-vous le nom du grand chancelier à ceci?..

– Ah! c'est là mon secret, et vous avez promis de ne pas chercher à le connaître.

– Il est vrai; mais ce prisonnier auquel vous portez intérêt a donc commis un attentat plus grave que le délit commun aux autres novateurs, que vous prévoyez une résistance venant de la part du premier magistrat du royaume?

– Je vous atteste ceci, ma mère, c'est que je ne redouterais pas cette résistance, si ce magistrat était aussi, comme il devrait être, le plus homme de bien du royaume.

– Décidément, murmura la duchesse en retombant dans l'abattement peu habituel à une nature de sa trempe, ce physicien avait raison, une maligne influence pèse sur ce palais et sur notre famille!

Marguerite se redressa avec la majesté qu'elle possédait aux occasions décisives:

– Je croirai à mon tour qu'il en est ainsi, madame et souveraine, si vous me refusez, lorsque je ne réclame que miséricorde et justice.

– Seigneur! s'écria la duchesse en s'adressant à un crucifix suspendu au fond de sa chambre, Seigneur, vous êtes terrible en vos arrêts: vous m'avez repris un de mes enfants, et voici l'autre qui est prête à me renier!

– Calmez-vous, ma mère; souvenez-vous seulement que vous êtes la maîtresse, et que mon existence est en vos mains.

– Silence!.. on vient… C'est le chancelier, soyez prudente.

– Ah! que j'ai besoin de mon courage!.. fit la princesse, retombant sur son siège pour mieux cacher son émotion.

L'idée qu'Antoine Duprat apportait la liste des prisonniers et que le sort du plus aimé d'entre eux allait être résolu, avait serré d'une étreinte pareille à un pressentiment suprême cette poitrine si puissante dans les périls, mais si faible dans l'amour.

Duprat, annoncé avec fracas par l'huissier, semblait alerte et rajeuni. Sa démarche avait la vivacité d'un jeune homme, sa prunelle aux inclinaisons tortueuses dardait des lueurs étincelantes, le timbre même de sa voix avait changé ses notes graves et sèches en vibrations nettes et incisives. Satan fait homme aurait de ces aspects dans ses heures de triomphe.

La princesse, emportée par sa nature généreuse, fut tentée de voir dans cette métamorphose un indice favorable.

Mais la régente connaissait mieux l'homme; il était de ceux dont la joie cache une noirceur; elle eût été bien plus rassurée de le voir soucieux.

D'un signe imperceptible elle avertit sa fille de se tenir sur ses gardes.

L'entrée de Duprat, sa façon de saluer les princesses tenaient du conquérant.

Marguerite ne perdit rien de sa dignité; sans cesser de se montrer gracieuse comme il était dans son caractère, elle conserva la supériorité que lui assignait son rang.

Sa mère, au contraire, cette femme impérieuse jusqu'à la violence, hautaine jusqu'à la dureté, implacable dans ses haines, se courba involontairement; sa rigidité se sentait fléchir sous la domination que le ministre exerçait sur elle, comme le reptile sur une proie qu'il a su fasciner.

Mais, en ce moment, ce n'était pas pour elle-même qu'elle éprouvait ce malaise. Elle étudiait l'expression avec laquelle Duprat considérait sa fille, le sourire faux, les éclairs ardents qui luisaient sous ses épais sourcils. Et par instants, lors, par exemple, qu'il s'approchait ou se penchait vers celle-ci, de manière à effleurer sa main ou ses vêtements, on eût pu croire, si l'on eût observé cette scène, que la duchesse transformée en lionne allait s'élancer sur lui.

Occupée par ses propres soucis, Marguerite cherchait à amener ce subtil adversaire sur le terrain désiré, sans trahir son impatience.

Coupant enfin court aux compliments fleuris dans lesquels il affectait de se tenir:

– De grâce, messire, n'épuisez pas les ressources de votre esprit à me tresser des couronnes hyperboliques. Les choses sérieuses conviennent mieux à un homme grave comme vous êtes; n'allez pas sur les brisées de nos pauvres poètes. Si vous me parlez lyrisme, ils seraient capables de me parler politique. A eux les chansons, à vous les affaires.

– Pardonnez-moi, madame, mais la poésie et la louange viennent toutes seules quand on s'adresse à Votre Altesse. De quoi souhaitez-vous, d'ailleurs, que nous traitions?

– Eh mais, votre mémoire est-elle si oublieuse que vous ne vous rappeliez plus votre promesse touchant ces pauvres réformistes?..

– Ces réformistes, ces novateurs?.. En effet, je me souviens très-bien de votre souhait et de mon engagement.

– Alors, vous venez le remplir? Voyons, où est cette liste?

– Votre Seigneurie et madame la duchesse m'excuseront…

– Ne l'apportez-vous point?

– J'y comptais, messire, dit assez sévèrement la régente.

Mais Duprat ne parut même pas remarquer cette observation, et répondant à Marguerite seule:

– Le retard ne provient pas de mon fait; Votre Altesse aurait déjà ces tableaux, s'il ne m'en manquait encore un, celui de la tour du Louvre. Il appuya sur ce mot en plongeant son œil faux dans le regard effrayé de la princesse.

J'ai pensé que vous ne voudriez rien décider sans ce complément; et demain, pour le sûr, je pourrai vous le communiquer avec les autres. Si pourtant, fit-il en feignant de chercher des papiers dans sa poche, Votre Altesse ne jugeait pas cette liste nécessaire, je lui remettrais les autres…

Marguerite eut une vague intuition du piège.

– C'est inutile, messire, répondit-elle en refrénant sa colère et son mépris; il serait injuste de ne pas tenir compte des captifs de la Grosse-Tour dans cette amnistie. Ma mère et moi attendrons à demain, confiantes en votre foi.

– Je ne dois pas vous dissimuler encore, reprit le chancelier, que la Sorbonne redoutable de sévérité, et que ces cachots du Louvre renferment particulièrement des prévenus auxquels elle attache une grande importance… à ce point que, pour ne pas me faire une méchante affaire avec elle, j'ai dû, ce matin même, changer tout le personnel des gardiens.

– Vous avez changé les gardiens? intervint la régente, qui remarqua le trouble de sa fille, et jugea nécessaire de lui éviter une réplique qui y eût ajouté encore. Les anciens ne remplissaient-ils pas bien leurs fonctions?

– Leur service laissait à désirer, Altesse. On craignait qu'ils n'eussent pour les prisonniers des accommodements dangereux. Leurs successeurs, au contraire, sont incorruptibles; de vrais dragons gardant la grotte sacrée; impossible à un profane d'y pénétrer.

– On aurait pu, ce me semble, me consulter à cet égard… dit la régente.

– Mais non, ma mère, interrompit Marguerite avec un peu d'amertume, c'est fort bien fait; un serviteur infidèle mérite d'être puni. Seulement, je pense que les prisonniers ne seront pas assujettis aux mêmes rigueurs que les coupables ordinaires, et qu'on aura pour eux des égards… Je prétends y veiller d'ailleurs, et, s'il le faut, en référer à mon frère, le roi, notre maître à tous; prisonnier lui-même, il saurait compatir aux maux qu'il endure.

– Que Votre Altesse se rassure, elle pourra se convaincre, quand il lui plaira, que les prisonniers de la Grosse-Tour sont traités comme elle le veut; ses souhaits sont des ordres.

La duchesse d'Alençon comprit la portée perfide de ces demi-mots, lâchés avec une feinte indifférence. Le chancelier possédait le secret de ses excursions nocturnes et de ses intelligences avec les geôliers de la Grosse-Tour. Le remplacement de ceux-ci par des gens aux gages et à la dévotion de Duprat, rendait impossibles ses visites mystérieuses au prisonnier.

Le tyran avait décoché son trait venimeux; il jugea sa journée suffisamment remplie de ce côté, et, se retirant avec de faux semblants de respect, il songea à aller comploter de nouvelles noirceurs avec son odieux complice.

De son salut cauteleux et de son dernier regard, il enveloppa la princesse comme un faucon envisageant sa proie.

Aucun de ces détails ne trompa l'attention vigilante de la duchesse, qui, restée seule avec sa fille, lui saisit la main comme si elle avait craint un moment de la perdre, ou qu'elle la retrouvât après un danger.

– Cet homme est amoureux de vous, lui dit-elle en lâchant la bride à son émoi, et qui pis est, sait votre secret.

– Amoureux de moi!.. répéta Marguerite en commençant un sourire qu'elle n'acheva pas.

Le coup d'œil qu'elle avait surpris à sa sortie lui revenait à la pensée et lui faisait froid dans la poitrine.

– Ma fille, insista la duchesse, je suis sûre de ce que j'avance. Je connais la physionomie et l'humeur de messire Antoine Duprat. Il m'a aimée aussi, moi, et le jour où il me l'a dit, il m'avait regardée comme je l'ai vu vous regarder tout à l'heure…

– Vous, ma mère!..

Louise de Savoie n'ignorait pas que sa fille était initiée à une partie de ses intrigues de cœur; c'était d'ailleurs l'époque par excellence des dames galantes et ces erreurs ne tiraient pas à conséquence dans cette société licencieuse.

La régente ne chercha ni excuses, ni circonlocutions: ce qu'elle avait dit, elle avait voulu le dire.

Mais elle ajouta:

– Retenez ceci, Marguerite, l'amour de cet homme est fatal!..

– Ah! il m'aime, murmura la princesse sans écouter davantage sa mère. Ah! j'ai charmé ce puritain hypocrite qui trafique de sa religion et de sa patrie!.. Puissiez-vous ne pas vous abuser, ma mère! Oh s'il m'aimait, comme je vengerais ses victimes! Comme je le ferais souffrir!

3

Il existe de Corneille Agrippa quatre volumes de lettres très curieuses, écrites en latin, dans lesquelles il parle de ses ennuis à la cour de France. C'est à cette source que nous puisons le sujet de cet épisode de notre livre.

Les Mystères du Louvre

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