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PREMIÈRE PARTIE
VIII
LA MÈRE ET LA FILLE

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Sans partager entièrement la sévérité de quelques historiens vis-à-vis de François Ier, et tout en rendant justice à ce qu'il fit de grand et de beau, tout en rejetant sur la faiblesse de son caractère, facilement exploitée par des courtisanes et des intrigants, une large partie de ses fautes, il faut encore reconnaître que celles-ci furent nombreuses et souvent sans excuses.

Louis XII, son prédécesseur, avait ouvert en France l'ère des belles-lettres et des arts, que les Médicis, à Florence, et Léon X, à Rome, protégeaient et glorifiaient. Il suivit d'abord cet élan et il en est rejailli sur son règne un éclat si grand, que pour les esprits superficiels ses erreurs sont demeurées dans l'ombre.

Il fut cependant plus d'une fois exact de dire que cette protection qu'il accorda aux gens de lettres, ainsi qu'aux artistes, eut principalement pour objet son propre agrément, sa propre glorification. Il les considérait comme une partie du luxe dont il était avide, mais il les sacrifiait sans regrets, sans remords, dès que sa fantaisie ou son intérêt se portaient vers d'autres idées.

Son manque de sincérité religieuse ne fut pas une des moindres sources des malheurs et des violences que la postérité sera toujours en droit de lui reprocher. C'était à la fois un esprit facile et une nature égoïste et stoïque; il servait le fanatisme de ses ministres sans le partager. Sa croyance incertaine, vacillante, sujette à des intermittences, revenant aux doctrines inquisitoriales de Duprat après avoir applaudi aux vues novatrices de sa sœur Marguerite, indique assez qu'entraîné par les plaisirs de sa cour, distrait par les guerres et les fêtes, il n'avait jamais eu l'énergie nécessaire pour se faire une conviction.

Avec cette propension tyrannique aux jouissances matérielles, il transforma la cour honorable et vertueuse de Louis XII en une école de galanterie. Il lâcha par son exemple, par ses encouragements, la bride à la dissolution, et se composa un entourage aussi brillant, aussi fastueux que démoralisé.

Avant lui, une certaine quantité de femmes aux mœurs faciles, d'aventurières avérées, étaient tolérées à la suite de la cour, dans les alentours des résidences où celle-ci allait s'installer. C'était assez triste déjà, mais du moins ces créatures, tenues à l'écart, n'étaient à la disposition que de ceux qui allaient les trouver4.

Ce roi chevalier inaugura le commerce de la galanterie au sein même de la cour. A ces courtisanes de profession, il substitua des femmes de qualités, et, comme le dit Dulaure, prostituant la noblesse, il sembla vouloir anoblir la prostitution. En revêtant la débauche de formes séduisantes et gracieuses, en l'illustrant par le prestige de l'opulence et du pouvoir, il en augmenta les dangers, et contribua à infiltrer plus vite et plus sûrement son fatal poison dans le corps social tout entier.

Ces quelques mots étaient indispensables pour aller au-devant d'une objection que nous voyons poindre aux lèvres de nos lecteurs et surtout de nos lectrices, sur les aveux singuliers échangés entre Louise de Savoie et la duchesse d'Alençon. La mère n'avait pas dissimulé à sa fille ses anciennes complaisances pour le chancelier, et la fille n'avait pas hésité un instant à s'ouvrir à sa mère de sa passion pour le chevalier de Pavanes.

Dans cette cour où la galanterie était à l'ordre du jour, un amant n'était pas un péché, mais un honneur.

Mais si la régente n'attachait aucune conséquence à la révélation d'un fait, sans doute déjà connu de sa fille, il est vraisemblable que, son exaltation assoupie, elle eût voulu ressaisir l'aveu autrement compromettant arraché à son trouble.

Cependant, en cette minute, Marguerite paraissait céder moins à l'impression de ce cri terrible, qu'à l'excès de la fatalité appesantie sur le plus tendre, le plus sincère amour qu'elle eût encore éprouvé.

Un long silence avait succédé à cette scène tumultueuse, à ces emportements de langage.

La duchesse d'Alençon, anéantie, restait enfoncée entre les coussins du grand fauteuil sculpté où elle s'était jetée, en sentant ses forces défaillir. Ses paupières closes, sa tête pâle, ses lèvres décolorées, entr'ouvertes comme pour exhaler un dernier souffle, ses mains blanches immobiles, se détachaient sur l'étoffe noire de son deuil, comme ces profils d'ivoire incrustés dans du marbre brun par les sculpteurs mosaïstes.

La régente restait assise non loin d'elle, devant la table où se trouvait encore la liste des prisonniers, avec le nom de Jacobus de Pavanes, sillonné par la plume de Duprat d'une large raie noire pleine de menaces.

Elle se tenait silencieuse et immobile aussi, mais son œil perçant allait par alternatives de ce papier à sa fille, évitant toutefois de s'arrêter sur elle, par crainte d'être surpris dans ses investigations, et épiant le réveil de son affaissement.

Elle attendit longtemps, puis enfin la princesse secoua sa torpeur par un léger mouvement de tête.

Elle voulut essayer ses jambes qui l'avaient trahie tout à l'heure, mais elle se trouva brisée; alors, ses longs cils s'étant soulevés avec une morbidesse touchante, son premier regard vint rencontrer, suspendu au-dessus d'un dressoir d'ébène resplendissant de raretés artistiques, le portrait du roi.

Tout le monde connaît cette toile, aujourd'hui placée dans la grande galerie du Louvre, et l'un des chefs-d'œuvre du Titien, le peintre des rois, le roi des peintres. C'est celle qui représente à mi-corps François Ier presque de profil, à l'époque où, jeune encore, il avait laissé croître sa barbe et rasé ses cheveux. Le successeur de Louis XII ne s'y rencontre pas sous les traits plus mignards et gracieux que nous offrent la plupart de ses autres portraits; mais on sent instinctivement, avant même de savoir le nom du peintre, qui est une garantie d'exactitude, que cette figure est vraie.

Ce portrait est digne de l'artiste par lequel Charles-Quint se fit peindre trois fois, et auquel il disait en relevant son pinceau tombé à terre:

– Vous m'avez rendu trois fois immortel.

En revoyant ces traits, en retrouvant fixé sur elle ce regard toujours bienveillant pour ses moindres désirs, elle sentit plus amèrement la perte de cet appui généreux, le seul sur qui elle eût pu compter sans crainte de déception.

– O mon frère, mon frère bien-aimé, s'écria-t-elle avec des sanglots dans la voix, en tendant ses mains jointes vers lui, où êtes-vous?.. On opprime votre sœur, le sang de votre sang, le cœur de votre cœur, et ses plaintes n'arrivent pas jusqu'à vos oreilles!.. Il ne me restait que vous pour famille, pour défenseur, et vous n'êtes plus ici pour me soutenir de votre main, pour me protéger de votre parole, pour me ranimer au souffle de votre tendresse.

La duchesse d'Angoulême prêtait à ces invocations saccadées et douloureuses une attention singulière; elle semblait, à voir la fixité de sa prunelle sombre, entretenir un muet dialogue avec l'image de son fils.

Cependant, Marguerite, oubliant quelles oreilles l'écoutaient, poursuivait avec une énergique et plaintive éloquence:

– Si vous saviez, noble frère, de quelles tortures on accable cette sœur qui vous chérit à l'égal de Dieu, dont vous avez pour elle la clémence et la mansuétude; si vous saviez ce qu'on fait de votre beau royaume et de votre bon peuple pendant votre absence!.. Ne tardez plus, sinon vous ne retrouverez pas votre sœur, et la ruine de vos sujets sera complète…

Cette perspective fut un coup de fouet qui excita sa fougue; elle se dressa devant sa mère avec l'autorité d'une reine qui ordonne et commande:

– Si le roi était ici, madame, je n'eusse pas réclamé deux fois le salut du chevalier de Pavanes… Je ne veux pas savoir quels liens odieux enchaînent votre volonté à celle du premier ministre; je suis votre fille et non votre juge. Que vous ayez ajouté un mystère sanglant à ceux qui peuplent déjà les murs de ce Louvre maudit, c'est une affaire entre votre conscience et Dieu…

Mais je ne veux pas qu'un meurtre soit ajouté à ces meurtres, un deuil à ces exécutions!.. Et puisque vous ne pouvez rien pour moi, madame, à tout prix… à tout prix, entendez-vous, il faut que le roi revienne!..

Puissance merveilleuse d'un cœur loyal sur une nature corrompue, l'altière duchesse d'Angoulême ne se révolta pas contre cette sortie pleine de tempêtes et d'imprécations.

Son amour pour ses enfants, sa seule vertu, suffit-il pour la retenir, ou plutôt, la conscience, le remords de ce pacte exécré qui la rendait la vassale de Duprat, lui causa-t-elle en cet instant une humiliation si grande, qu'elle n'osa relever sa tête assombrie?

Toujours est-il qu'elle ne quitta de vue le portrait de son fils que pour s'absorber dans une méditation dont les calculs faisaient passer sur ses joues des lueurs empourprées, ou venaient contracter les plis de son front.

La princesse, étonnée à son tour, la contemplait avec une vague terreur. Une voix secrète lui disait qu'il devait sortir de là quelqu'une de ces machinations violentes par lesquelles sa mère conjurait ou provoquait, suivant ses intérêts, les coups d'éclat. Cette voix, qui s'appelle intuition ou pressentiment, lui disait encore qu'il s'agissait d'elle surtout dans les plans qui bouillonnaient sous ce volcan.

Lorsque la duchesse se décida à la regarder, la tempête avait disparu de ses traits; elle était calme, maîtresse d'elle-même; sa voix n'indiquait pas la moindre altération.

– Ainsi, dit-elle en accentuant chaque mot de manière que la princesse n'en perdît pas un, vous souhaitez par-dessus toutes choses le retour du roi?

– Auriez-vous trouvé le moyen de le racheter?.. s'écria Marguerite emportée déjà par son espoir, par sa confiance dans les grandes capacités de sa mère.

Celle-ci poursuivit froidement:

– Je suis convaincue comme vous que la grâce que je ne puis accorder, il la signerait, lui, sur votre prière…

– N'est-ce pas, ma mère, vous en êtes sûre aussi!

– Donc, j'ai conçu un projet…

– Dites!..

– Le roi ne pouvait, sans perdre cet honneur qu'il a retiré sauf de la défaite de Pavie, souscrire aux conditions de l'empereur… Celui-ci, après m'avoir jadis appelée sa mère, n'a pas eu assez de magnanimité pour comprendre la lettre où je le lui rappelais… Eh bien, je vais, moi, envoyer des propositions à l'empereur.

– Je n'ai jamais douté de votre génie, ma mère!.. Et ces propositions…

La régente appuya toute la puissance de son œil noir et grave sur celui de sa fille, dans les veines de laquelle ce rayon pénétra comme un fluide magnétique.

– Ce n'est pas l'heure de vous les expliquer. Mais quelles qu'elles soient, si dures qu'elles vous paraissent, dût votre personne s'y trouver engagée, me jurez-vous d'y souscrire pour ce qui vous concerne?..

La princesse sentit la menace d'un malheur planer sur sa tête; cependant sa résolution ne faiblit pas.

– Si je fais ce serment, le roi reviendra? demanda-t-elle.

– Le roi reviendra.

– Et Jacobus sera sauvé?..

– Votre illustre frère ne vous a jamais rien refusé: il vous devra sa délivrance, et vous lui demanderez celle du chevalier de Pavanes.

– Jacobus sera sauvé!.. répéta tout bas la princesse, sans songer en rien que le salut de son amant devait peut-être la perdre.

Elle aspira une grande bouffée de l'air qui manquait à sa poitrine oppressée, ses narines se dilatèrent, son front s'éclaira d'un sublime rayon de courage et d'amour. Elle étendit par un geste solennel sa main qu'enviaient les rois et qu'elle aimait à donner à un homme de génie, devant le portrait de son frère.

– Faites et agissez selon que bon vous semblera, ma mère!

La duchesse d'Angoulême jeta sur elle un long regard empreint de commisération, au moins singulier, venant d'elle et s'adressant à son enfant chérie.

Qu'avait donc rêvé son imagination? Allait-elle tirer sa fille d'un chagrin pour la plonger dans un abîme? Son projet était-il si redoutable qu'elle en éprouvât des remords?

Toujours est-il qu'elle s'éloigna sans rien ajouter, pour s'enfermer dans son oratoire, non pas avec son secrétaire, mais avec Guillaume Parvi, le confesseur du roi, en qui elle avait toute confiance.

Ils demeurèrent longtemps ensemble, la régente dictant et le prêtre tenant la plume.

Elle dicta ainsi quatre énormes pages, article par article, sans hésitation, sans rature, tant ses idées coulaient limpides et arrêtées. Quand elle arriva au protocole des salutations, Guillaume Parvi ne put s'empêcher de traduire ainsi son opinion:

– Si ce message est remis discrètement à l'empereur par un envoyé fidèle, il est impossible, à mes yeux, que notre honoré sire le roi, votre auguste fils, ne nous soit restitué sur-le-champ.

– J'y compte bien, mon père… répondit-elle, et s'il plaît à Dieu de vous donner ce courage, c'est vous qui irez de ma part trouver l'empereur, car il importe que cet écrit, non plus que ce qu'il contient, ne sorte d'entre nous deux que pour passer aux mains de celui auquel il est destiné.

– Votre Altesse ne veut pas même en dire un mot à monseigneur le chancelier?

– A lui moins qu'à personne!..

– Le prêtre s'inclina, et, comme il allait ajouter un mot pour remercier la duchesse de la confiance qu'elle mettait en lui, leur attention fut éveillée en même temps par un bruissement qui se produisit vers la porte.

La régente s'y élança, et l'obscurité, qui commençait à envahir le fond de l'oratoire où la tenture était placée, ne lui permit pas de s'apercevoir que les plis en paraissaient encore agités, quoique aucun souffle d'air ne pénétrât dans ce lieu. La porte était d'ailleurs close, ni la princesse ni son confident ne songèrent à donner un regard dans la galerie voisine, où peut-être ils eussent encore distingué les traces d'un frôlement rapide le long des murailles.

– Rien! dirent-ils ensemble.

– Et messire Guillaume Parvi, ayant scellé le message qu'il plaça dans sa poitrine, ajouta:

– Demain, au point du jour, je me mettrai en route. Si Votre Altesse a un supplément d'instructions à me donner, jusque-là je serai sur pied, à ses ordres, toute la nuit.

– Merci mon père, et que notre sire Dieu vous conduise.

Elle lui tendit sa main à baiser et s'agenouilla sur son prie-Dieu pendant qu'il s'éloignait. Le point caractéristique de cette époque était cette alliance d'une fausse dévotion avec les actes les plus répréhensibles. On bravait le ciel tout en l'implorant.

Quant à Marguerite, elle n'était pas demeurée longtemps seule. Elle avait trouvé chez elle sa fidèle amie, Hélène de Tournon, qui l'attendait, inquiète de sa longue conférence avec la régente.

Quoique la princesse n'eût pas de secrets pour Hélène, elle ne lui avait dit que quelques mots sur ses chagrins. Mais celle-ci avait pénétré le surplus.

N'est-ce pas, en effet, le mérite de la vraie amitié de comprendre nos peines sans nous en imposer la cruelle confidence?

Elle épiait donc avec anxiété son retour, s'efforçant d'espérer le succès de sa démarche sans oser y compter. Aussi fut-elle plus affligée que surprise en lisant dans son attitude la nouvelle de sa déception.

Les paroles, l'assurance de sa mère avaient bien, pour quelques minutes, galvanisé son énergie, surexcité sa confiance; on embrasse si aisément la chimère qu'on poursuit! Mais, sa mère partie, ses doutes étaient revenus; le secret dont il fallait entourer, vis-à-vis d'elle-même, un projet qui l'intéressait si particulièrement, éloignait son espoir; le découragement était le plus fort, parce que le péril était évident et le salut inconnu.

– Messire Antoine Duprat n'a pas tenu sa parole? lui dit dès l'abord sa confidente.

– Impitoyable! inflexible!.. Que faudra-t-il donc pour toucher cet homme?..

Mademoiselle de Tournon ouvrit la bouche pour lui répondre, mais son regard ayant rencontré le visage pâle de sa chère princesse, elle ne se sentit pas le courage de lui faire cette révélation. Elle préféra chercher un autre tour pour l'entretien.

– Madame la régente ne saurait-elle donc prendre sur elle de vous accorder cette satisfaction suprême?

– Ma mère!.. répondit la princesse, à laquelle l'aveu de celle-ci se présenta plus horrible en ce moment de désespérance, ma mère!.. Tu ne sais pas, chère Hélène, l'affreuse découverte que je rapporte de cette entrevue?..

– Vous me désolez et m'effrayez, madame.

Elle se pencha vers mademoiselle de Tournon, pour que les murs eux-mêmes ne l'entendissent pas.

– Ma mère est à la discrétion de cet homme.

– Un ancien commerce de galanterie… toute la cour sait cela… Une vieille histoire!

– Non pas! un secret, un pacte infernal, quelque chose de monstrueux, d'innomé, accompli entre eux… il faut bien répéter le mot, un crime, dont le chancelier détient les preuves, et par lequel il gouverne ma mère!..

– Qu'avez-vous dit!..

– Comprends-tu?..

– Je comprends, répondit mademoiselle de Tournon, dont l'amitié augmentait la clairvoyance, je comprends qu'il y a un secret entre le chancelier et madame la régente, et que, si vous pénétriez ce secret, vous seriez à vous seule plus puissante qu'eux tous!..

– Oui, mais comment y parvenir?.. Et puis, qui sait, ne serait-ce pas perdre ma mère!

– Maîtresse du secret, vous le seriez aussi de ne point vous en servir.

– Ton idée m'épouvante… D'ailleurs, je le répète, qui me mettrait sur la voie? De quoi s'agit-il? Les premières notions me manquent.

– Croyez-en mon dévouement pour vous, Altesse; si jeune que je sois, j'ai assez l'expérience des cours pour savoir que les crimes des grands sont de ceux que leurs auteurs ne parviennent jamais à cacher si bien qu'il n'en reste trace quelque part.

– Ma pauvre Hélène, dit la princesse avec un sourire mélancolique, tant de profondeur me prouve ton affection, car nous voici bien loin de nos tournois poétiques, et des joûtes de galanterie dont j'avais commencé à écrire un si beau livre.

– Ces heureux jours reviendront, ma chère princesse, et pour hâter leur retour, profitez de mes avis.

– Mais je ne t'ai point tout dit. Ma mère a conçu un grand dessein, auquel je me suis engagée de souscrire aveuglément; un dessein qui doit amener la délivrance du roi, au prix de quelque sacrifice de ma part, mais qu'importe! pour sauver Jacobus, pour embrasser mon royal frère, je m'immolerais de bon cœur.

– S'il en est ainsi, reprit simplement Hélène, si vous comptez sur le plan de madame la régente, pourquoi vous donner tant de mal, vous créer tant de peine?

– Ah! c'est que la foi en ma mère me manque! c'est que mon amour pour mon cher chevalier n'aura de contentement que quand je le saurai hors de la portée de ce chancelier maudit, qui ne le hait tant…

– Que parce qu'il vous aime lui-même.

C'était l'aveu que mademoiselle de Tournon avait retenu au début, mais qu'elle n'hésitait plus à lancer maintenant.

Il atteignit la princesse comme un dard en pleine blessure, mais il lui rappela qu'elle l'avait déjà entendu dans la bouche de sa mère.

– Hein!.. s'écria-t-elle, tu sais cela, toi aussi! C'est donc vrai, bien vrai?..

– Il m'a suffi de voir le chancelier vous baiser la main et vous regarder deux fois pour en être sûre. Si j'eusse gardé un doute, sa haine pour le chevalier de Pavanes l'aurait écarté.

– Tu as raison; tout serait sauvé si je découvrais le secret… Mais par quel moyen humain?..

– A côté des moyens humains, insinua Hélène, Votre Altesse n'a-t-elle jamais ouï dire qu'il en existât d'autres?..

– Desquels veux-tu parler?..

– Votre Altesse ne m'a-t-elle pas raconté comment madame la duchesse avait congédié maître Corneille Agrippa qui ne confectionnait pas un horoscope à son gré?

– Prétendrais-tu lui demander le mien?

– Non certes: maître Corneille Agrippa a quitté le Louvre et probablement la France; mais il n'était pas le seul savant que possédât Paris.

– Extravagance!

– Mon Dieu, sans doute, à première vue tout le monde s'écrie comme Votre Altesse: Extravagance! Puis, de curiosité ou de désespoir les plus fiers s'y résignent.

– Je gage que tu t'es laissé prendre aux jongleries de quelqu'un de ces devins?

– Écartons ma personnalité, Altesse, je vous en prie, elle n'est d'aucun poids. Mais si je vous affirmais que, pas plus tard qu'hier, madame la duchesse régente a fait mander et a consulté en grand mystère un nécroman du nom de Cinchi?..

– Je connais ce nom, je l'ai entendu en effet prononcer plusieurs fois, et moi-même en ai parlé chez ma mère…

– Un personnage étrange, dont les prédictions et les révélations confondent les plus incrédules. Que vous en coûte-t-il d'essayer? Cette démarche ne saurait nuire au plan entrevu par madame la duchesse; au contraire, car si elle-même a consulté l'astrologue pour combiner ses projets, est-ce leur nuire que de le consulter sur leur réussite? Ah! si Votre Altesse allait requérir des philtres et des charmes!.. Mais un simple horoscope?..

– Il me semble que c'est tenter Dieu… murmura Marguerite visiblement ébranlée.

– Si Dieu vous fait défaut…

– Ne blasphème pas, ma mie! J'ai toujours évité de telles pratiques, elles répugnent à ma foi. Hélas! j'aurais bien besoin pourtant que quelque chose me vînt en aide.

Et, couvrant son beau visage de ses mains, elle laissa filtrer des larmes qui roulèrent comme des perles sur la soie noire de sa robe.

– Comme vous souffrez!.. soupira Hélène. Que faudrait-il donc pour alléger vos chagrins?

– Ce qu'il faudrait? D'abord me rendre, ne fût-ce qu'un instant, les baisers de Jacobus; dès que je cesse de le voir, il me semble que c'est pour toujours.

– Ne pouvez-vous descendre auprès de lui?..

– Sous le regard des espions du chancelier!..

– C'est vrai, ce serait hâter, provoquer sa perte… Mais, fit-elle, frappée d'une inspiration, il doit exister d'autres moyens… Ne désespérez de rien; je mettrai, s'il le faut, le feu au palais, mais vous reverrez le chevalier sans témoins, sans espions!..

– Que médites-tu? que vas-tu faire?

– Ne m'interrogez pas, espérez!

Et elle sortit afin de ne pas perdre un instant.

Qui eût considéré Marguerite lorsque l'éloignement de son amie la livra de nouveau à l'empire de son désespoir, n'eût guère reconnu, comme elle l'avait dit elle-même, dans cette jeune femme courbée par l'adversité, dans ce beau visage décoloré, dans ces yeux obscurcis et cernés d'une empreinte bleuâtre, la brillante princesse, l'astre de son siècle, le génie badin qui devait livrer à la postérité ces fabliaux que ses successeurs en poésie ont traduits et imités dans toutes les langues.

On n'eût pas deviné davantage, il est vrai, dans cette jeune fille grave et attristée, qui se dévouait pour abréger ses tortures, l'amie enjouée, rieuse, coquette et folle, qui partageait ses ébats poétiques, et dont les saillies donnaient l'élan à sa muse.

Cependant, lorsqu'elle reparut, après plusieurs heures, son œil limpide était ranimé, l'incarnat avait refleuri sur ses joues veloutées, la confiance était au bord de ses lèvres fraîches et purpurines.

Elle s'approcha de la princesse, que rien n'avait pu arracher à sa méditation, et lui prenant la main par un geste caressant:

– Le voir, l'embrasser encore, avez-vous dit, chère Altesse, ou mourir! Eh bien, vous vivrez; venez, vous le verrez et l'embrasserez!..

4

Brantôme, avec une crudité d'expression que tolérait son époque, nous a conservé des détails de ces mœurs étranges. Il nous apprend aussi que les femmes dont il s'agit étaient sous la surveillance et protection du roi des ribauds, lequel avait charge et soin de leur faire départir quartier et logis, et là, commander de leur faire justice si on leur faisait quelque tort.

Les Mystères du Louvre

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