Читать книгу Les Mystères du Louvre - Féré Octave - Страница 6

PREMIÈRE PARTIE
V
LA CHAMBRE DU MINISTRE

Оглавление

Ce cri rauque et guttural était sans doute celui que profèrent les démons au moment de regagner leur enfer, car le gnome disparut aussitôt, sans qu'il nous soit possible de dire par où il était passé.

S'était-il abîmé sous la terre? Avait-il traversé la muraille du palais, à l'instar de l'apparition qui avait su se frayer une voie insaisissable dans les blocs de l'arche de Charles V? Ou bien, enfin, laissant s'éloigner cette apparition, avait-il tout simplement pris le même chemin qu'elle, en ouvrant à son tour la porte basse dont il connaissait aussi le loquet secret?

Toujours est-il qu'il ne tarda pas à quitter la cour carrée, sans que personne eût été assez habile pour se douter qu'il y eût passé une partie de la nuit.

Et, comme nous n'avons pas de raison pour laisser plus longtemps le lecteur en doute sur l'identité de ce personnage, qu'il a reconnu sans peine, nous suivrons celui-ci se glissant à la façon des chats dans la cage de l'escalier étroit et caché qui aboutissait à la chambre du premier ministre.

Muni de la clef confiée à son zèle, il s'introduisit dans cette chambre par le panneau mobile, inconnu par les serviteurs vulgaires du palais.

Le remords n'est pas un vain mot, assurément; mais il y a par exception, des heures où la mauvaise conscience ne paraît pas troubler le sommeil des coupables. Seulement, les visions de leurs rêves sont une affaire entre eux et Dieu.

Antoine Duprat, étendu sous ses épais rideaux, dormait profondément. Le bruit de sa respiration lente et régulière était le seul qui remplit cette pièce, avec les crépitations intermittentes d'une lampe de nuit qui avançait à sa fin.

Cette chambre, vue à cette heure, sous le reflet vacillant de la flamme jaunâtre, qui semblait frôler et animer successivement chaque angle saillant des meubles, ne laissait pas d'offrir un aspect peu rassurant.

Les armes pendues en trophées sur les murailles, les images pieuses qui séparaient ces instruments de mort, le grand fauteuil où s'étaient médités tant d'actes criminels, la table sur laquelle avaient été signés tant d'arrêts de mort, ces papiers épars, qui en contenaient déjà d'autres peut-être, tout inspirait des pensées funèbres.

Le visiteur nocturne s'était arrêté, écoutant la respiration de l'homme redoutable dont il allait troubler le repos: il portait son œil quelque peu hagard sur ces objets, qui tous avaient leur muette éloquence.

Au milieu de cet examen, le rayon de la veilleuse fit surgir une lueur fauve de l'un des clous dorés qui ornementaient le coffre-fort massif, où le chancelier déposait ses richesses et ses secrets.

La main crispée du gnome se dirigea nerveusement vers ce point, et ses traits se contractèrent en envisageant ce meuble.

– Là!.. là!.. murmura-t-il d'un accent étouffé.

Puis, cette impression s'effaça, ses membres se détendirent, et ses lèvres s'agitant, sans qu'aucun son sortît de sa poitrine, semblèrent formuler quelque chose approchant de ces mots:

– Plus tard!..

Ces deux syllabes, ou plutôt le sens qu'elles renfermaient pour lui, ayant rasséréné ses esprits et affermi sa confiance, il se tourna vers le lit, et se haussa sur la pointe des pieds pour voir qu'elle figure avait un chancelier endormi.

Une figure peu avenante, sans doute, car il se pelotonna aussi vite sur lui-même, effrayé de l'expression menaçante de ce sommeil.

Par un geste qui lui était habituel et qui indiquait chez lui la plus absorbante réflexion, il se mit à se ronger les ongles, les yeux tournés vers le lit mais de façon à voir sans être vu, en cas de réveil subit du dormeur.

Puis, effrayé par lui-même du droit qu'il avait reçu de pénétrer à toute heure, sans être annoncé ni attendu, dans ce lieu redoutable, il comprit, car il était prévoyant, qu'il arriverait peut-être une circonstance, où son généreux patron se repentirait de cette faveur, et en craindrait les inconvénients, ce qui lui attirerait bien quelque méchante aventure.

Sur cette pensée fort sage, il rétrograda jusqu'au panneau à coulisse, sortit sur l'escalier, et, avant de rentrer, fit assez de bruit en ouvrant, pour être sûr de ne pas prendre le ministre à l'improviste. C'était une manière de prévenir la défiance de celui-ci.

En effet, le chancelier, réveillé en sursaut, bondit sur sa couche.

– Holà! qui vient ici!.. fit-il du ton d'un homme qui a des raisons pour craindre les mauvaises surprises.

Et, apercevant dans le clair-obscur l'ombre bizarre du nain:

– Par le saint nom de Dieu! exclama-t-il, qui va là?..

– C'est moi, c'est moi monseigneur! fit le visiteur de sa voix la moins rugueuse.

– Par Dieu le Père! s'écria le ministre rappelé à lui, c'est Triboulet!

– Moi-même, messire… Pardonnez-moi de vous avoir réveillé si brusquement, mais, en dépit de mes précautions, je ne suis pas habile à ouvrir les portes mystérieuses telles que celle-ci, et le bruit que j'ai fait…

– Il n'importe, interrompit Duprat en se mettant sur son séant, et fort intrigué par cette visite, qui présageait un événement extraordinaire.

– Votre Seigneurie pardonnera donc à mon zèle…

– Il suffit, pas de préambule; allume seulement cette chandelle de cire sur ma table, et viens au fait.

– Vous m'avez dit que vous teniez à être bien et promptement servi, monseigneur; quand vous m'aurez entendu, j'espère que vous reconnaîtrez que j'exécute fidèlement vos intentions.

– Parle donc clairement alors.

Avez-vous ouï parler de ce fantôme noir dont je racontais l'autre jour l'apparition miraculeuse à l'audience de madame la régente?

– Peut-être bien… oui, j'ai une vague idée de cette invention de ton cerveau fêlé… Où prétendais-tu en venir avec ce conte?

Le bouffon royal se rapprocha du ministre, et se dressant aussi haut qu'il put pour donner plus d'ampleur à sa voix:

– Ce n'était pas un conte…

– Décidément, murmura en se parlant à lui-même Antoine Duprat, j'ai eu tort de choisir un pareil auxiliaire, il est réellement fou.

Or çà, mon maître, reprit-il tout haut, il me semble que tu te joues de ma longanimité. Tu viens me réveiller avec fracas, à une heure indue, et cela pour me faire des histoires de l'autre monde… Oublies-tu que j'aime médiocrement la plaisanterie? Or, celle-ci me paraît fort déplacée.

– En ce cas, monseigneur, vous me congédiez? Soit, je me retire; reprenez cette clef, qui me devient inutile et dont je ne me suis servi que pour vous obéir… Je reprends ma parole et j'emporte mon secret.

Ce disant, il fit mine de tendre la clef au chancelier et de gagner la porte ordinaire.

– Au diable, le fâcheux! gronda son patron. Je t'écoute, mais dis-moi un mot raisonnable.

– Croyez-moi, messire; ma marotte dort là-haut dans mon perchoir, sous les toits, je n'ai jamais été plus sensé. Je n'ai pas imaginé le fantôme noir de la grande cour, il existe; tout à l'heure encore je l'ai vu… je l'ai suivi!..

– Toi?

– Moi!

– Où cela?

– Où je l'avais vu la première fois, où je le guettais depuis une semaine; toujours dans la cour carrée.

– Tu l'as abordé?

– Non pas; j'ai fait mieux que cela: je l'ai reconnu.

Le chancelier devint tout pâle, il y avait tant d'autorité dans l'accent du bouffon, qu'il n'était pas permis de douter de sa parole.

Ce qui passa alors par l'esprit d'Antoine Duprat, nul ne l'a jamais su. Gagné par la sincérité de son confident, entraîné par l'habileté perfide avec laquelle il distillait ses révélations, peut-être eut-il un moment d'effroi et crut-il voir sur le seuil de sa chambre l'ombre vengeresse de quelqu'une de ses victimes. Des scélérats moins superstitieux que lui, ont eu de ces hallucinations.

Quoi qu'il en soit, la pupille de Triboulet se dilata avec une expression sardonique, ainsi qu'il lui arrivait à chaque coup d'épingle qu'il trouvait l'occasion de lancer à son allié en diplomatie.

Eh bien! ce spectre terrible! demanda enfin celui-ci, surmontant son appréhension, c'est…

– Ce n'est pas un revenant, c'est une femme.

– Hein! une femme?.. une femme qui erre seule, la nuit, déguisée en fantôme, à travers les êtres de cette résidence royale? Son nom, puisque tu la connais?

– Ne le devinez-vous pas, messire; et quelle autre serait assez hardie, d'humeur assez aventureuse pour accomplir ces pérégrinations, sinon la princesse Marguerite?

– La princesse Marguerite!.. la duchesse d'Alençon!.. répéta le chancelier au comble de la stupeur.

– Ne m'avez-vous pas enjoint de vous la nommer?

– Sur mon âme, voilà qui est incroyable! si incroyable, que je n'y ajouterai foi que quand tu me l'auras juré sur cette image de Notre-Seigneur Jésus, appendue là, au-dessus de mon prie-Dieu.

– Je le jure, dit tranquillement Triboulet, c'était madame Marguerite, propre sœur de sire le roi de France.

Une pause suivit.

Le ministre tenait son front dans sa main, pour rallier ses idées qui s'égaraient, sans qu'il put les condenser, ni les retenir. Il n'était pas bien sûr encore d'être vraiment éveillé.

Le bouffon dardait sur lui ses yeux ardents de malice, et jouissait de l'état déplorable où il le voyait.

– Si tu ne lui a point parlé, comment l'as-tu reconnue sous son ajustement funèbre?

– Oh! prononça sourdement le fou d'office, il y a des personnes que l'on reconnaît d'instinct, sans avoir besoin de considérer leurs traits, sans qu'elles fassent un mouvement ni qu'elles parlent… Vous les apercevez, tout votre sang bouillonne et vous crie: C'est elle!..

– Oui, fit Duprat; je comprends; ce que l'amour inspire à quelques-uns, toi tu le ressens par la haine!

– C'est cela, monseigneur, vous l'avez dit: la haine!

Le bouffon, devenu livide, articula ces mots d'un accent guttural, et retira de son pourpoint, où il la retenait enfouie, sa main, dont les ongles, pleins de sang, avaient déchiré sa poitrine.

– La haine! répéta-t-il, la haine! Cette femme m'estime moins qu'un chien.

– C'est vrai, appuya Duprat, lui rendant à son tour une de ses blessures; je l'ai ouï engager son royal frère à te chasser du palais comme on ne chasserait pas un être vermineux… Pauvre Triboulet, reprit-il avec une feinte compassion, il y a pourtant du bon en toi.

Cette hypocrisie, loin de l'abuser, le rappela à lui.

– Ne vous y fiez pas, messire, fit-il avec une gaieté fébrile; le papegai s'apprivoise difficilement; il mord souvent son maître, au moment où celui-ci le caresse avec plus de confiance. Vous voyez, j'ai mes heures de franchise.

La princesse a peut-être raison de me dédaigner; je fais un métier stupide, en prétendant amuser, avec mes saillies, des gens plus sots que moi… Tenez, je suis, au demeurant, un vilain personnage.

– A la bonne heure! Je vois avec plaisir que si tu fustiges vertement les autres, tu ne t'épargnes pas toi-même… Mais tu es un rusé compère, et, si je te connais bien, tu ne dis tant de mal de toi que pour empêcher que les autres le pensent. Pour moi, je ne te demande pas de me flatter, mais de me servir. Ton intérêt me répond de ta vigilance, je n'en exige pas plus.

Les boutades de ce genre n'étaient pas rares en effet, de la part de ce bouffon bizarre, dont la langue enfiellée ne respectait pas même son maître, le roi.

– Quelle cause puissante attribues-tu à ces promenades nocturnes de la princesse? Ce ne peut être un simple rendez-vous de galanterie? Nos grandes dames ne prennent point tant de gêne, et ne font point tant de mystère pour chose si vulgaire…

– Non, sans doute; communément, elles attendent les amoureux, et se contentent de leur ouvrir l'huis de leurs retraits… Mais qu'adviendrait-il si ces beaux galants, au lieu d'avoir leur libre volée, se trouvaient confinés en quelque endroit malsain, fermé à double tour, et surveillé par des gardiens rigoureux?

– Eclaire ton discours, je cesse de te comprendre.

– Suivez mon raisonnement, messire, il est limpide: en fait de rendez-vous d'amour, il faut pour se rencontrer que quelqu'un aille en trouver un autre… Quand l'amoureux est empêché, c'est l'amoureuse qui se met en route.

– Fort bien; mais, en ce cas, je cherche vainement quel peut être ce mortel assez favorisé et assez malheureux à la fois pour que la perle de la France aille à lui, sans qu'il puisse venir à elle… Je ne vois personne…

– C'est que vous cherchez mal, messire. Madame Marguerite possède un moyen que j'ignore, mais que je découvrirai, pour pénétrer dans les cachots de la Grosse-Tour; celui qu'elle aime est là!..

– Quel trait de lumière!.. Triboulet, tu es le prince des bouffons!..

– Cette parole me flatte, messire; il me reste à la justifier.

– Achève donc, alors; ce prisonnier…

– Ah! malheureusement, mes indications, mes pressentiments, ne vont pas plus loin… ce prisonnier, je ne le connais pas.

– Mais je veux le connaître, moi!..

– Ne vous emportez pas, monseigneur. Tout vient à point à qui sait attendre… et chercher. Donnez-moi, signé de votre main, un permis de visiter, à toute heure et de telle façon qu'il me conviendra, les cellules de la Grosse-Tour, des créneaux jusqu'aux fosses. Que je sois à jamais privé de ma marotte et de votre confiance, si je ne vous apporte pas le nom de votre heureux rival avant deux fois vingt-quatre heures.

– J'y compte, dit le ministre en lui montrant parmi les papiers épars sur la table, un blanc-seing, dont le bouffon se saisit avec la souplesse du tigre qui s'élance sur sa proie.

Les Mystères du Louvre

Подняться наверх