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VIII
ROBERT MANIFESTE ET S’EMBROUILLE

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Table des matières

Benoît ressentait vivement la détresse de sa mère et, de tout son cœur aimant, trouvait les mots, les caresses qui consolent des pires deuils. Robert, étourdi, sec, indifférent, n’avait pas le sentiment de comprendre. En cette catastrophe, il ne considérait que la nouveauté des scènes de la rue, livrée aux mouvements des troupes ennemies.

En raison du nombre, chaque jour grandissant, des Anglais accourus de leur pays pour se retrouver dans cette capitale qui, depuis dix ans, à cause de l’état de guerre, leur avait été inaccessible, l’aspect de la vie extérieure s’était modifié.

Napoléon, à Fontainebleau, ayant abdiqué en faveur de son fils le roi de Rome, il lui avait été permis de se retirer à l’Ile d’Elbe, dont on lui avait fait un royaume un peu mesquin.

Louis XVIII rentrait alors aux Tuileries pour reprendre, sur le trône de ses pères, la tradition dynastique que la Révolution, et ensuite l’Empire, avaient interrompue.

L’occupation étrangère était sensible dans tout et partout. Elle affligeait les uns, humiliés de payer à ce prix la certitude de la paix extérieure. D’autres y trouvaient des motifs à se réjouir, qui escomptaient dans la Restauration–c’était le nom du nouveau régime–un retour à des institutions dont, à travers tant de vicissitudes, ils avaient fidèlement gardé le regret.

Les cosaques bivouaquaient aux Champs-Élysées et y faisaient, sous la tente, leur popote. Ils effrayaient Robert tout en l’attirant, ces hommes hirsutes, aux dents de loup, dont les poils dévoraient les joues, et qui maniaient, si habilement, de très longues lances. Mais ils ne faisaient pas peur à tout le monde, si l’on en jugeait par les visites que tant de personnes leur rendaient avec la plus grande cordialité.

Robert se poussait sous leurs tentes, il se plantait devant les marmites où mijotaient des choses qui répandaient une agressive odeur de suif. Un cosaque, qui ressemblait à l’un de ces diables qu’un ressort fait surgir d’une boîte, lui fit goûter, en riant aux éclats, de son «frichti», et l’idée passa dans la tête du jeune garçon de crier étourdiment, parce qu’il était content: «Vive l’Empereur!»; c’était histoire de crier quelque chose. Un officier russe l’entendit, fit signe à un cosaque. Un grand diable décrocha sa lance et en menaça Robert, qui détala juste à temps; elle influençait déjà le fond de sa culotte, quand l’officier parut trouver la leçon suffisante.

«Qu’est-ce que j’ai fait?» criait Robert essoufflé.

Un passant, qui avait une cocarde blanche à son chapeau, expliqua: « Tu as crié Vive l’Empereur : il fallait crier Vive le Roi, qui redevient notre souverain.

–Est-ce que je sais, moi ? On peut bien se tromper.»

Il avait raison les événements se précipitent avec une telle rapidité, ces erreurs arrivent même parfois aux grandes personnes .

Depuis l’entrée des Alliés, on ne voyait plus Robert à la maison. Il appartenait tout entier à l’agitation du dehors dont l’intérêt le soulevait.

Il s’était glissé entre les jambes des chevaux des cavaliers de service, sur la place Vendôme, quand on redescendit de sa colonne, pour la briser, la statue de Napoléon. Trois semaines plus tard, le soir, il était, à nouveau, sur les talons des charpentiers qui dressaient, en hâte, sur le Pont-Neuf, un Henri IV de plâtre destiné à remplacer celui de bronze que la Révolution avait mis en morceaux.

Vous pensez bien que lorsque Louis XVIII fit son entrée officielle dans Paris, le3mai1814, pour se diriger vers l’ancien palais des rois, et qu’il passa sur ce Pont pour y saluer son aïeul Henri IV, Robert ne manqua pas l’occasion d’être là.

Au moment même où le monarque arrivait, un ballon s’enlevait, dans la nacelle pavoisée duquel Robert aurait bien voulu avoir pris place. Le. ballon se perdit dans les airs. L’aéronaute était une femme, célèbre par ses ascensions, Mme Blanchard.

La vue de l’aérostat avait transporté Robert d’enthousiasme, mais il se garda bien de crier, dans la peur de se tromper. Toutefois, à l’imitation des assistants qui agitaient leurs mouchoirs, il agita le sien; mais le sien était tricolore. Des voisins murmurèrent:

«Il provoque les gens, quelle effronterie! Arrachez-lui ça! Son geste est séditieux!

–Pour sûr,» fit un particulier boutonné jusqu’au col, et armé d’un solide gourdin.

C’était un espion de police qui, incontinent, conduisit Robert, ahuri, au corps de garde de la

Samaritaine. Le mouchoir, objet du délit, sou venir populaire de quelque fête impériale, acheté aux gagne-petit du Pont, fut confisqué

Robert, rendu à la liberté, se grava dans la tête: «Quand on agite un mouchoir, il faut qu’il soit blanc! C’est bon, on le saura.»

En1815, l’année suivante, un matin, le bruit se répandit que l’Empereur était de retour, qu’il avait quitté l’île d’Elbe, qu’il avait débarqué en France, à Fréjus, que la vieille armée était accourue au-devant de lui, sur les routes, qu’il était arrivé brusquement, la veille, à neuf heures du soir, aux Tuileries, quittées non moins brusquement par le Roi.

Les Parisiens des faubourgs aristocratiques étaient consternés; ceux des faubourgs populaires, joyeusement bruyants. Robert, qui, des choses, ne saisissait que les effets sans s’expliquer les causes, courut dans la foule. Il se mêla, devant les Tuileries, aux manifestants. L’Empereur se montra à l’une des croisées, sur le jardin. Alors ce fut du délire, et Robert, qui avait retenu de sa dernière aventure qu’on agite un mouchoir blanc quand on est content et qu’on ne veut pas avoir d’histoire, monté sur un banc, agita son mouchoir. Il en fit un drapeau, un panache et, dans la crainte qu’on pût s’y méprendre, il cria: «Il est blanc!»

Un vétéran à brisques le fit dégringoler, un peu rudement, de sa tribune improvisée:

«Ah! çà, fils d’émigré, c’est quand les trois couleurs flottent sur les Tuileries que tu agites ce torchon d’ancien régime! Rengaine ça, espèce d’espèce... Ton mouchoir est séditieux.»

Robert entendit que derrière lui on disait:


«Pour sûr!»

Il reconnut la voix et l’homme aux moustaches formidables, boutonné jusqu’au col et armé d’un solide gourdin. C’était son espion de police. Le personnage n’avait pas changé de conviction, il n’avait que changé de maître. L’espion de police abattit sa forte main sur l’épaule du perturbateur et s’en fit suivre.

Encore plus ahuri que la première fois, Robert fut conduit au poste, où son mouchoir fut confisqué, comme pièce à conviction.

«Vous voyez bien qu’il est blanc, pourtant, larmoya Robert en s’adressant au commissaire qui l’interrogeait.

–C’est bien pour ça, répondit le magistrat... N’aggravez pas votre cas par une attitude cynique. Où demeurez-vous? Que fait votre père?

–Mon père est mort le30mars1814, à la barrière Clichy, où il se battait dans la garde nationale.»

Le commissaire le regarda avec intérêt.

«Alors, c’était un brave que votre père. Et voilà comment vous respectez sa mémoire, en manifestant contre l’Empereur, qu’il avait servi et qui est de retour! Votre jeune âge et la fin glorieuse de votre père sont pour plaider l’indulgence en votre faveur. Je vous mets en liberté, mais qu’on ne vous y reprenne pas!»

Robert, si habile que fût sa langue à débiter des sornettes apprises par cœur, ne trouvait ni un mot à dire ni une explication à donner. Poussé dehors par les sbires, il ne savait que répéter:

«Si j’y comprends quelque chose, par exemple! Voilà ce grand moustachu qui m’arrête au Pont-Neuf parce que mon mouchoir n’est pas blanc, et qui, parce qu’il est blanc, m’arrête aux Tuileries!»

Il lui fut enjoint de rentrer directement chez lui, car il était surveillé. Il arriva près de sa mère en transe, qui le gronda de ses continuelles absences.

«D’où viens-tu encore?»*

Il raconta son arrestation, son interrogatoire, sa méprise.

«Est-ce que c’est la place d’un enfant d’aller se mêler à ces choses-là? Laisse donc les personnes en état de comprendre, crier et s’agiter; toi, reste tranquille et tais-toi. Je vous demande un peu, manifester quand on n’est qu’un morveux qui aurait encore besoin qu’on le mouche!

–Ne me parle pas de me moucher, maman, je ne tirerai plus jamais mon mouchoir de ma poche. Je n’ai pas envie de passer tous mes après-midi en prison.»

Cent jours plus tard,–cent jours,–à nouveau, tout s’était retourné. A Waterloo, morne plaine, Napoléon avait livré sa suprême bataille. Le 18juin, les Parisiens étaient réveillés par le canon des Invalides; ils couraient aux Tuileries, au Palais-Royal, à la place Vendôme pour avoir des nouvelles de la victoire: ils connurent que c’était la défaite.

L’Empereur revenait en hâte, épuisé. Son visage avait la pâleur de la cire; ses yeux fascinateurs, où passaient d’habitude des éclairs, étaient sans vie. Il disait: «J’étouffe là, ... oh! la destinée! Trois fois, j’ai vu la victoire m’échapper.» Il conservait une lueur d’espoir, mais hors lui, personne n’espérait plus.

Puis, de nouveau, la France était envahie; de nouveau les Alliés –étaient dans Paris, qui ne pouvait plus que capituler.

Napoléon demandait à son plus implacable ennemi une place au foyer britannique, et la réponse était: Sainte-Hélène.

Sans crainte des espions de police, Robert, tu peux sortir ton mouchoir blanc! C’est le drapeau fleurdelysé qui flotte sur le palais du souverain. Le roi, pour la seconde fois, y est rentré. Puis la vie publique a repris son cours. Les soldats étrangers ont peu à peu disparu de la capitale, qu’ils ont traitée durement. On respire plus à l’aise. On s’est remis au travail, aux affaires....

La veuve de Jérôme Martin s’est rendu compte qu’elle ne pourrait continuer à tenir longtemps la petite boutique du Pont-Neuf. Elle a tiré quelque argent des marchandises qu’avait laissées Jérôme; puis, cette liquidation faite, elle y a repris, comme dans un abri provisoire, son premier état de marchande de fruits et d’oranges; elle y joint les fleurs.

C’était le commerce qui allait le mieux sur le Pont: on n’avait jamais tant vendu de lys.

La vie extraordinaire de Robert Macaire

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