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VI
LA SAMARITAINE

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La vogue du Pont-Neuf languissait; en1813on démolit la Samaritaine.

La Samaritaine, c’est un nom que les Parisiens n’ont jamais oublié. Il revit dans des enseignes commerciales, mais combien d’entre eux seraient embarrassés de dire, avec exactitude, ce qu’était le petit monument que ce nom désignait et qui fut la grande curiosité de nos pères.

La Samaritaine n’était qu’une pompe. Une pompe hydraulique qui prenait l’eau dans la Seine et qui l’élevait jusqu’à la hauteur du sol. Nous avons du mal à nous figurer comment une opération, de nos jours si banale, put, à l’époque, être considérée comme une merveille.

Il faudrait, pour le faire comprendre, raconter ce qu’a été l’histoire des eaux de Paris à travers les âges: un poète en ferait une épopée.

De nos jours, avec une extrême abondance, l’eau joue tous les rôles, remplit tous les emplois. Fée, elle enchante de ses jeux changeants, de ses cascades irisées, de ses gerbes d’argent, les bassins de nos jardins et de nos parcs. Artiste, elle prodigue ses capricieux effets de cristal à nos fontaines décoratives, et y fait de la beauté. Servante et domestique, elle nettoie nos ruisseaux, arrose nos rues, court sur l’évier, emplit la baignoire; échansonne, elle nous verse la boisson idéale qui, mieux qu’aucune autre, étanche, en toute sécurité, la soif la plus impérieuse et la plus ardente. Il nous suffit, pour qu’elle coule, de tourner une clef, de pousser un robinet, de presser un bouton. Pour répondre ainsi, docile à notre appel, fraîche et pure, elle a traversé des forêts, parcouru des plaines, franchi des vallons. Mais nous sommes ingrats ou distraits, nous oublions qu’elle représente la grande peine des hommes. Nous la considérons comme un simple don de la nature, comme la pluie tombant du nuage qui passe.

Pour apprécier le miracle, voyons notre histoire. Lutèce, qui sera Paris, commence par être une île admirablement située, au croisement de ces chemins qui marchent et qui sont les rivières. L’eau, élément primordial de la vie, y est la vie même de ces agglomérations primitives. Puis, la petite cité grandit, les habitants s’éloignent des rives pour s’installer dans des quartiers arides et nus. Plus d’eau! Et les difficultés surgissent. Ils imaginent alors de creuser des puits pour aller chercher l’eau qui s’étend en nappes dans les entrailles du sol: cette eau très calcaire est dure, crue, et propre à peu d’usages. Les Romains, incomparables porteurs d’eau, eux, n’avaient pas hésité: ils étaient allés chercher l’eau de source à la source, dans les collines environnantes. Et, par des conduites d’argile qui étaient des aqueducs ou supportés par de fiers viaducs, comme celui dont on a retrouvé les restes à Arcueil, ils avaient amené cette eau à proximité de leurs résidences. A leur imitation, nos aïeux ont recueilli d’abord, au moyen âge, entre des petits chemins de pierre, l’eau des sources de Belleville et des prés Saint-Gervais. Ils l’ont conduite, avec une patience inouïe, à des fontaines qui la distribuaient bien chichement. C’est que la moindre goutte d’eau en ces temps était bénie. Toute fontaine était appelée, désirée, implorée. On lui rendait des honneurs, comme à une divinité tutélaire. On la couvrait de dédicaces pompeuses. On l’ornait de jolies sculptures, et l’on en faisait parfois un chef-d’œuvre, comme dans cette fontaine des Innocents, qu’a embellie le ciseau de Jean Goujon.

Ces fontaines étaient insuffisantes, et trop souvent assoiffées. Ce qu’elles donnaient, au regard des besoins croissants, et à mesure que la population grandissait, n’était qu’un apport dérisoire. Où prendre de l’eau? La Seine en avait; mais le courant l’emportait à la mer. Sous les ponts, la Seine n’est que de l’eau qui passe, qui fuit. La Samaritaine eut pour mission d’en arrêter quelques flots.

Lorsque Henri IV arriva, ayant rétabli, par son allègre vaillance, la paix qu’avaient troublée les guerres de religion, et qu’il put s’occuper enfin de Paris, il remarqua le déplorable état des fontaines et des conduites d’eau de source, toutes malicieusement abîmées et, «Ventre-saint-Gris», il s’en ouvrit à Sully, son prévoyant ministre. Il voulait de l’eau au Louvre et aux Tuileries, qui ne fût point prélevée sur le peu dont la population disposait. Aussi fut-il tout oreilles quand un certain ingénieur flamand, qui s’appelait Linthauer, très entendu dans la science hydraulique, se déclara capable, à l’aide d’une pompe de son industrie, de faire monter l’eau de la Seine à la hauteur voulue et de la conduire au Louvre.


Il indiquait, comme étant l’endroit le plus propice à ce dessein, l’une des piles du Pont-Neuf, encore en construction. Cette création fut décidée. C’était le premier pas vers la distribution des eaux qui, de machine en machine, d’acquisition de sources en captation de petites rivières, successivement détournées pour être amenées dans des réservoirs gigantesques, finirait par mettre l’eau où nous la trouvons de nos jours, partout.

Les Parisiens s’amusaient à voir construire cette première pompe du Pont-Neuf, pour laquelle on se mettait en frais d’un véritable château. Ils la baptisèrent la «Samaritaine», en raison de la scène tirée des Écritures qui ornait sa façade. On avait représenté la bonne Samaritaine s’entretenant avec Jésus sur les bords du puits, où elle l’a rencontré. De plus, une horloge, d’un mouvement compliqué, disait les révolutions de la terre et de la lune; un petit clocheteur, sur le coup de midi, frappait les heures avec son marteau de bronze, et un carillon complétait l’enchantement de cette mise en scène dont les badauds de Paris, rassemblés au Pont-Neuf, ne se lassaient jamais. La tourmente révolutionnaire vit d’un œil soupçonneux ce castelet: elle lui retira son gouverneur, elle descendit le petit clocheteur, elle détacha les pieux personnages de la façade. Le carillon resta en place, il s’était laissé oublier; mais aux premières éclaircies il reprit ses refrains, arrangés à la mode du jour: Ça ira! ça ira! C’est ainsi que nous l’avons entendu faire complaisamment vacarme de cloches quand Napoléon, passant en carrosse sur le pont, allait se faire couronner à Notre-Dame.

En1813, année triste, année d’anxiété patriotique, le carillon cessa de carillonner. La Samaritaine était condamnée; une décision irrévocable décrétait sa destruction.

Pauvre petite Samaritaine! Elle avait été le bon génie du Pont-Neuf; elle emportait, avec elle, son succès, sa gaieté, sa popularité. Le Pont-Neuf, de ce moment, devint gris, morne, taciturne. Il devint un pont quelconque, un pont comme les autres; on le traversait encore, on n’y flânait plus.

Du point de vue de ses affaires, Jérôme commençait à s’en affliger. La clientèle de la boutique à l’enseigne O-p’ti-cien se faisait plus rare.

L’année1814ne fut pas meilleure, et bientôt elle devait lui causer de terribles soucis...

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