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IX
UN JEUNE HOMME POUR FAIRE DES COURSES

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Table des matières

Le parrain de Benoît aidait la veuve de ses conseils. Souvent ils s’entretenaient ensemble de l’orientation à donner à l’avenir des petits. Pour l’école primaire, c’était fini. Les enfants pauvres n’y fréquentaient guère après l’âge de douze ans.

Le père la Pipe occupait Benoît dans la batellerie. Benoît lui rendait de petits services qui payaient son pain. Le filleul s’asseyait plus souvent à la table du parrain qu’à celle de sa mère, et quand c’était sur le ponton, dans la cabane, que les vagues ou frais clapotis faisaient osciller, il était vraiment heureux.

Quant à l’autre, Robert, c’était à la rue, où il promenait une oisiveté mauvaise conseillère, qu’il fallait, de toute nécessité, l’arracher.

«Il y prend, ma chère Manon, de déplorables habitudes, votre fils, lui disait le père la Pipe. Il y fait de bien fâcheuses rencontres; il risque, s’il continue, de fort mal tourner.

–Je ne le sais que trop, parrain. Il m’est arrivé, l’autre jour, fait comme un galérien. Avec de méchants gamins qui rôdaient dans l’Ile aux Juifs, il avait joué à faire une bande dont il était le chef et qui s’intitulait «la bande à Mandrin». Il avait pris un vieux pistolet rouillé dans le tiroir de feu son père; il l’avait passé à sa ceinture, faite d’un rideau de calicot rouge. Il s’était fait un chapeau avec les plumes d’un de mes plumeaux, et des revers de bottes avec un carton noirci et roulé. Obéi par cinq ou six mauvais drôles capables de tout, la bande menait un tapage qui effrayait le monde. Un débardeur, sur le quai de la Ferraille, moqué par ces polissons, a couru sur Robert qui était à leur tête, l’a secoué furieusement en lui criant: «Pour faire ton Mandrin, tu es «trop vieux ou tu es trop jeune.» Il lui a ôté son chapeau qu’il a jeté dans le ruisseau, et confisqué son pistolet rouillé. Toute la bande, à la vue d’une patrouille, s’est éparpillée. Robert m’est revenu dans l’état que je viens de vous dépeindre... «Comment, méchant enfant, lui ai-je dit, «as-tu eu une idée pareille?»

«Il m’a répondu: «C’est une histoire que j’ai lue dans les livres et «qui est joliment belle.»

Le père la Pipe hochait la tête, désolé:

«Qu’il s’émerveille des saltimbanques, passe! Mais d’un voleur de grand chemin! Sur ce chemin-là, Manon, on va loin. Il faut le retenir pendant qu’il en est temps.

–Sur cette pente-là, où le conduit la paresse, il n’y a qu’un remède, c’est le travail. Si Robert trouvait une occupation, il se sauverait de ces camaraderies qui, avec l’âge, ne pourraient que devenir plus funestes encore.»

Robert n’était pas si fermé aux douces admonestations qu’il ne pût les comprendre. Impulsif, vaniteux, vantard, il ne manquait pas d’esprit: c’était le cœur qui lui manquait. Malheureusement, l’orgueil qu’on voyait poindre en lui n’était pas cette fleur d’honneur et de noblesse qu’est la fierté: c’était l’extravagance et la pose.

Un soir que sa mère tirait l’aiguille sous la lampe il la vit essuyer ses larmes.

«Tu pleures!

–A cause de toi, Robert. Tu me fais peur, mon pauvre petit; tu me désespères; tu t’acoquines à des galvaudeux qui te perdront. Tu es en âge de travailler, il faut que tu t’occupes.»

Il baissait la tête, ému plus qu’il ne le laissait paraître; mais l’idée du travail lui était décidément désagréable. Pour aucun métier, il n’avait de goût; il n’aimait que le pavé battu sous ses pieds, il n’aimait que l’horizon de la rue, son bruit et sa fièvre. Il était né au Pont-Neuf, il l’avait dans le sang.

Un long silence s’était écoulé; sa voix grêle d’adolescent le rompit. Il dit gravement:

«J’ai une idée de travailler.»

Sa mère leva son front, l’interrogea des yeux, surprise:

«Oui, je veux faire quelque chose.

–Tu ne vas pas encore me dire: «Je veux être saltimbanque!»

–Saltimbanque, c’est un bel état, je ne l’ai pas appris assez jeune. Il paraît qu’il faut commencer tout petit. Non. J’ai vu, en passant sur le quai, une affiche:

On demande un Jeune Homme

pour faire des courses.

On gagne de suite.

–Ce n’est pas un métier, faire des courses.

–Si, c’est un métier, puisque ça rapporte: «On gagne de suite.» Les courses, c’est pas difficile à faire. C’est la rue; on n’est pas enfermé, on travaille en se promenant; on voit les maisons, les boutiques, tout ce qui se passe. Dehors, c’est comme si on était son maître. Et quand on fait des courses on n’a pas même à réfléchir où l’on pourrait aller; on va où l’on vous envoie. J’ai des yeux bien ouverts, une langue bien pendue et de bonnes jambes. Je suis le jeune homme qu’on demande pour faire des courses. Maman, si tu veux, je me présente demain avec toi. C’est chez un orfèvre, ce ne sont pas les paquets qui m’écraseront. Si je ne dois porter que de l’or ou de l’argent, je n’en aurai pas souvent ma charge.»


Ce n’était pas si mal raisonné; et maintenant, de la résolution de son garçon la mère souriait. Robert lui rendait un fils qu’elle ne se connaissait pas. On ne fait bien que ce qu’on aime. Il aimait la rue, et faire les courses c’était courir la rue. Cette occupation s’arrangerait très bien avec ses goûts.

«Embrasse-moi, Robert, nous irons voir l’orfèvre demain, tu me rends l’espoir. Je vais passer une bonne nuit; ce sera la première depuis longtemps.»

Les orfèvres avaient, pour la plupart, leurs boutiques sur le quai portant, pour cette raison, le nom de leur état. La boutique où se présentait Robert était celle à l’enseigne de Saint-Eloi. Le patron demanda des références et, quand la mère lui eut dit qu’elle était la veuve de Jérôme Martin, feu le lunettier du Pont, il n’hésita point à accepter le garçon, encore qu’il le trouvât insuffisamment âgé d’au moins deux ans, car il ne voulait que des commis sérieux.

Mais il avait connu Jérôme Martin; il avait été de la même compagnie que lui dans la Garde Nationale, où le souveuir était encore vivant de sa fin héroïque, et cette circonstance le décida à accepter le postulant.

La semaine suivante. Robert était «le jeune homme qui fait les courses». Quand on l’aura éprouvé, on lui confiera des objets précieux, il les transportera dans une petite boîte de fer-blanc qu’il portera, comme les apprentis bijoutiers et les garçons de recette, attachée au cou avec une chaînette.

Il se mit au courant, il fut fidèle, zélé, obéissant; cela tenait du miracle. Au bout du premier mois, on était si content de lui qu’il était augmenté de dix sous par jour.

La vie extraordinaire de Robert Macaire

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