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II
ANNÉES DE VICTOIRES

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Table des matières

Un an se passe. Jérôme Martin, dont c’est la manie de chercher en toutes choses des présages, constate, pour l’anniversaire de la naissance de ses deux garçons, que Paris est encore en fête. Il s’en réjouit. C’est la nouvelle de la victoire d’Austerlitz, remportée le2décembre1805, qui a allumé les lampions et fait couler, rien qu’au Pont-Neuf, plus de dix fontaines de vin et dresser autant de montagnes de cervelas.

Le vin et la gloire: c’est plus qu’il n’en faut pour griser toutes les têtes.

Le premier jour de l’an de1806, sur le terre-plein du Pont-Neuf, se tient, comme d’habitude, la fameuse «foire des jouets». Jérôme y achète, pour ses petits, le jouet à la mode. C’est un grenadier et un cuirassier de la garde articulés qui se font face. On tire sur une ficelle, et les deux braves font sortir d’une touffe de lauriers une Paix triomphale. L’allusion est claire. Paris aime la gloire et souhaite la paix. L’Empereur le sait si bien qu’il vient de faire donner le nom d’Austerlitz au pont nouveau qui traverse la Seine et, en même temps, le nom de rue de la Paix à la nouvelle voie ouverte en face des Tuileries.

Robert et Benoît ne sont pas d’âge, les innocents, à saisir des allusions; mais ils ont tendu leurs menottes pour s’emparer du joujou qui les enchante, car il remue. Il se sont précipités sur la ficelle, ils l’ont tiraillée en poussant des petits cris de ravissement.

«Mets-les à terre, dit Jérôme à la maman. Pendant qu’ils jouent, nous aurons la paix. Ce ne sera peut-être pas la paix triomphale, mais ce sera la paix tout de même.»

Car les enfants sont un peu bruyants, surtout Robert. Mais le sont-ils plus que le Pont-Neuf où on les promène sans cesse?

Benoît n’a pas d’exigences tracassières; il faut toujours au contraire s’occuper de son frère. L’oublie-t-on? Robert crie, pour appeler l’attention sur sa petite personne, pleure et trépigne.

«Ça ne sait pas encore parler, observe la maman, mais ça vous a une façon de dire: je suis là!...

–Laisse faire, répond Jérôme, Robert n’est pas le plus bête. Il n’y a, dans ce monde, que les honteux et les timides qui perdent. Ce matin-là ne sera ni un timide ni un honteux. M’est avis que lorsqu’il sera quelque part, il y en aura d’abord pour lui, les autres auront le reste.»

Les enfants s’amusent dans le coin avec le nouveau joujou, ils se le disputent.

Une petite plainte de Benoît fait retourner les parents: c’est un coup de Robert; il a tiré sournoisement la ficelle et, d’un geste brusque, il a mis le jouet en morceaux: grenadier et hussard gisent sur le carreau.


«Ce n’est rien, dit Jérôme, en ramassant les débris de la vieille garde: ce n’est que Robert qui a perdu la bataille d’Austerlitz; tout le monde n’est pas Napoléon.»

Les années qui suivent sont encore traversées par des noms de victoires. Telles de ces victoires coûtent cher, et c’est pour en assombrir l’éclat. C’est Eylau, qui a mis bien des mères en deuil; c’est Friedland. C’est, avec l’année1809, Wagram, qui marque l’apogée de la puissance impériale. Jérôme, qui s’éclairait avec de modestes lanternes, le jour de Wagram, a disposé sur son établi une lampe Carcel, qu’on vient d’inventer, et que l’on considère comme une merveille; mais c’est bien autre chose, à ce qu’on raconte, certaine lumière faite avec le gaz de la houille distillée et que l’on court admirer dans l’une des boutiques du passage des Panoramas.

Les succès guerriers ont pour corollaire une organisation intérieure prompte, nette et sans lacune. Un ordre venu d’en haut veille à tout. Il en résulte un bienfaisant retour de prospérité, un magnifique essor commercial.

Et cela s’accompagne des métamorphoses de la capitale, embellie et rendue plus confortable.

Les fontaines publiques ont été multipliées; le canal de l’Ourcq a apporté, pour la première fois, aux Parisiens, une eau qu’on est allé chercher très loin.

L’Empereur, dans l’espoir d’assurer la continuité de son œuvre par la continuité de sa dynastie, s’est séparé de Joséphine; il a épousé Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, qui sera mère, l’année suivante, de l’enfant nommé, dès le berceau, le «Roi de Rome».


La vie extraordinaire de Robert Macaire

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