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Statut et fonctions de l’illustration

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Ces illustrations coûtent cher, si on en croit le témoignage de Tallemant des Réaux sur Chapelain et La Pucelle :

Il a dit qu’il lui coûtait quatre mille livres pour les figures, qui, par parenthèse, ne valent rien ; […] le libraire lui a donné deux mille livres, et depuis, mille livres quand, pour empêcher la vente de l’édition de Hollande, il en fallut faire ici une en petit, parce que dans le traité il y a deux mille livres pour la première édition et mille pour la seconde.1

Le texte est clair : le libraire, Courbé, rémunère le poète selon un contrat que Tallemant considère comme avantageux pour Chapelain, et prend les risques de l’édition. Mais c’est Chapelain qui a dû financer l’illustration. Si Chapelain dit vrai (on connaît son avarice, il pourrait avoir exagéré ses frais dans ses plaintes), les gravures lui auraient coûté plus cher que l’édition ne lui aurait rapporté.

La présence des illustrations est donc un luxe, rendu nécessaire par le statut du poème héroïque dans l’imaginaire français de 1650 ; même l’édition étonnamment modeste de Saint Louis, in-12 en petits caractères, a des planches de Chauveau. L’acheteur d’un de ces livres coûteux, ou le grand personnage à qui le poète l’offre en hommage, apprécie l’image qui valorise ce bel objet. Il existe un exemplaire de Clovis, conservé à Harvard2, dont la reliure est marquée des armes du roi, et dont les planches ont été délicatement colorées à l’aquarelle. On peut supposer – prudemment, car les preuves manquent – que le poète est à l’origine de ce travail d’aquarelliste qui faisait du volume un hommage rare au jeune monarque de dix-huit ans, dédicataire du poème. À l’inverse, l’exemplaire de Clovis destiné à une distribution de prix dans un collège jésuite qui est conservé à Lyon3 est, lui, relié sans les planches, preuve que les Pères étaient prêts à renoncer à l’illustration pour limiter le coût de leur cadeau.

Placées en tête de chaque livre, les planches ont une fonction d’affichage : elles annoncent les événements qu’on va lire, elles en montrent par avance des aspects curieux ou attrayants, elles peuvent guider l’interprétation. Nous voyons, au livre 13 de Saint Louis, Lisamante lever son coutelas pour tuer le vieux sultan endormi, sous les ordres d’une femme divine dont nous avons à deviner qu’il s’agit de Judith : la guerrière venait d’être faite prisonnière, nous découvrons son futur exploit.


Saint Louis, livre 13 : Lisamante tue le sultan Mélédin sous les ordres de Judith. [Bibliothèques de Nancy]

Parfois l’image nous propose un événement en discontinuité totale avec ce que nous venons de lire : au livre 5 et au livre 10 de Clovis, par exemple. Dans les deux cas, un récit rétrospectif commence, et l’illustration renvoie à ce passé dont nous ne savons encore rien. Elle aiguise la curiosité plus qu’elle n’informe. Cet affichage de l’événement important qui vient – combat, rencontre décisive, miracle – empêche certains effets de surprise, mais en prépare d’autres en incitant le lecteur à prévoir et expliquer les faits. Le public du XVIIe siècle est habitué à ce type d’énigme, qu’il rencontre souvent dans la tragédie : on connaît d’avance l’issue de l’action, par l’histoire ou par la fable, les oracles ou prédictions nous y préparent, mais toute la mécanique fatale est à découvrir. Dans les poèmes héroïques, où le substrat historique est très mince, l’image est un repère utile. L’annonce ne détruit pas les principaux plaisirs du récit, qui se déroulent dans le temps de la lecture : nous ne savons pas comment l’événement va se produire, ni ses conséquences.

L’illustration joue aussi un rôle de documentation. On attendrait une utilisation didactique importante de l’image dans Alaric, où Scudéry essaie d’introduire le plus possible de connaissances et d’indications techniques, mais en fin de compte c’est surtout dans Saint Louis que cette fonction intervient. Les planches nous font connaître autant que possible le pays exotique où se déroule l’action, sa végétation et sa faune : dès le livre 2 nous voyons Lisamante, sous les palmiers, sauvée de la panthère qui allait la tuer.


Saint Louis, livre 2 : Alphonse sauve Lisamante attaquée par une panthère. [Bibliothèques de Nancy]

Au livre 3 nous voyons dans la ville de Damiette un monstrueux crocodile qui se nourrit d’enfants chrétiens, au livre 4 un éléphant, au livre 10 le cadre bucolique où vit la sainte ermite Alegonde. Deux planches nous montrent Bourbon pourfendant des monstres suscités par l’enfer. L’illustration nous initie à ce monde lointain, étrange et plein de surnaturel, qu’est l’Égypte. La gravure est bien, pour le poète, « un moyen supplémentaire de toucher et d’instruire son lecteur4 ».



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