Читать книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов - Страница 39

Le choix de la scène et des personnages

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Comment l’illustrateur1 – peut-être sous contrôle du poète – choisit-il dans chaque livre la scène dont il souhaite qu’elle représente l’essentiel des mille vers qui le constituent ?

La préférence pour les scènes animées, et surtout à suspens ou pathétiques, est nette. On ne voit jamais un héros en prière2 ; un seul des moments de prophétie, dont l’importance dans les poèmes est pourtant évidente, nous est montré3, et très peu de situations de parole (échanges verbaux, monologues). Quelquefois on a l’impression, surtout dans Clovis, que la scène choisie est celle qui tombe sous les yeux dès la page suivante : par exemple, le combat d’Yoland et de Clovis au début du livre 8 – alors qu’on s’attendrait à voir sainte Geneviève qui intervient longuement un peu plus loin –, ou l’oriflamme dévoilant les traîtres que cache une nuée au livre 14. Ce n’est pas une règle générale : le livre 15 commence par l’exécution publique de Clotilde arrêtée juste à temps par Sigismond, scène dramatique à souhait, que pourtant l’illustration ne retient pas. Chez tous les poètes l’action est riche, et on comprend les hésitations sur le choix du sujet à représenter. Pour Saint Louis, réédité avec de nouvelles illustrations en 1671, Véronique Meyer signale les cas où les choix ont divergé. Huit livres sur dix-huit voient illustrer soit une autre scène, soit un autre moment de la même scène4. Le choix était souvent difficile : au livre 15, la scène violente où sous les yeux de Zahide blessée l’archer qui l’a touchée par erreur se suicide pour s’en punir, est remplacée par la déploration sur le corps de la guerrière Bélinde, tombée dans la même bataille. Des sujets également pathétiques se trouvaient en concurrence.

Le héros est représenté sur presque toutes les planches chez Scudéry et Chapelain, qui ont opté pour un récit linéaire, sans analepse, comme le Tasse ; mais alors que le Tasse répartit l’intérêt entre Godefroy, Renaud, Tancrède, et les suit dans des aventures et des lieux variés, eux ont tout centré sur la mission de leur héros. Celui-ci est donc constamment présent dans la narration, et par suite, dans l’illustration qui l’accompagne. Ces deux poètes ont aussi proposé leur poème à une lecture allégorique, à l’instar du Tasse qui avait fait de la conquête de Jérusalem l’allégorie de la recherche par l’âme du souverain bien. L’illustration porte ces intentions allégoriques et didactiques.

À l’inverse, Desmarets et le P. Le Moyne ont une visée plus historique et nationale, qui n’a pas besoin de se réclamer de l’allégorie. Il s’agit pour eux de montrer la vocation particulière de la France dans les desseins de Dieu. Ils utilisent le principe du commencement in medias res, ce qui entraîne des récits rétrospectifs de divers personnages, et par là, multiplie les possibilités d’illustrations renvoyant à des temps, des lieux, des personnages divers. Les livres 5 et 10 dans Clovis, 2, 3 et 10 dans Saint Louis tirent leur illustration de ces récits. Des « épisodes », actions secondaires rattachées à l’action principale, nous amènent à suivre un autre héros : dans Saint Louis, les exploits de Bourbon, les aventures de Lisamante ou la mort de Robert d’Artois apparaissent sur les planches gravées. Par la pratique de l’analepse et par l’introduction de personnages et d’aventures multiples, les deux poètes ont fait le choix d’un récit en quelque sorte choral. L’illustration en rend nécessairement compte.



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