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2. Les présupposés autrichiens de la réflexion sur le langage

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Dans ces circonstances, essayons d’avancer quelque explication à l’apparition frappante de la réflexion artistique et scientifique sur la parole empêchée en Autriche, et remontons pour cela jusqu’au XIXe siècle :

– Vienne, métropole de l’Empire habsbourgeois, était, du point de vue sociolinguistique, marquée par une absenceabsence de synchronisation entre les différents espaces langagiers existant, les uns à côté des autres, sur un territoire réduit. Nous pensons, par exemple, à l’industrialisation qui s’établit sur une topographie sociale dominée par le cérémonial de cour de l’Ancien Régime et par les rituels, formules langagières et gestesgeste issus de l’Église catholique. Cet « espace public de la représentation » (Jürgen Habermas) prémoderne, ce « mode de vie » (Ludwig WittgensteinWittgenstein (Ludwig)) langagier, sensible, baroque et imagéimage, qui s’oppose à la modernité, entraîne avec lui une prise de conscience particulière de la nature et de la fonction du langage.

– La particularité linguistique de la variante autrichienne de l’allemand se caractérise par l’existence de glissements infiniment différenciés entre le dialecte et le haut-allemand. Dans le monde urbain qu’est la métropole viennoise, fait de puissantes structures hiérarchiques et d’asynchronismes, on demande aux différents locutrices et locuteurs de maîtriser une langue apte à s’adapter incessamment aux codes comportementaux et langagiers. Nous pourrions dire qu’on attend d’eux qu’ils soient toujours capables de prendre en charge une nouvelle langue.

– D’un côté, le rôle particulier de la censurecensure dans l’Autriche du XIXe siècle, tout comme sa durée, nuisent au libre usage de la parole et le mettent profondément à mal, provoquant un refoulementrefoulement et un déplacement symptomatique. De l’autre, l’instance répressiveréprimer que représente cette censure aiguise, de façon complémentaire, le sens du dicibledicible et de l’indicibleindicible. On peut alors faire l’expérience immédiate que « Die Grenzen meiner Sprache » (« les frontières de mon langage ») sont « die Grenzen meiner Welt »1 (« les frontières de mon monde »2) – pour reprendre une formule incisive utilisée par Ludwig WittgensteinWittgenstein (Ludwig) dans le Tractatus logico-philosophicus (5.6) – au sein d’espaces fortement hiérarchisés qui imposent aux locuteurs de fixer sans cesse les limites de leur propre parole.

– Le théâtrethéâtre populaire viennois de Johann NestroyNestroy (Johann) a pu se développer en tant que satire consciente de ce régime politique et sociologique de la parole empêchée. Dans le langage ludique de Nestroy, l’instance castratrice qu’est la censurecensure évolue sur la scène théâtrale. La transgression des limites strictes de ce qui peut être dit devient un événement lorsque l’auteur, maniant le jeu de mots, la relie avec les pulsions inconscientes de l’homme ou encore lorsqu’il met en scène la réalité sociale du peuple, d’ordinaire absente de la littérature, au moment même où naît le mouvement ouvrier. Ainsi, le langage et la parole, tout comme leurs limites et le dépassement de ces limites, sont éclairés en termes théâtraux et trouvent leur expression dans des aphorismes et des répliques philosophiques et politiques percutantes.

La parole empêchée

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