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6. « S’il parlait de ce / temps, il / devrait / bégayerbégaiement seulement, bégayer »
ОглавлениеDans les vers marquants de GoetheGoethe (Johann Wolfgang) et de HölderlinHölderlin (Friedrich) dont je suis parti, la parole empêchée désigne la position précaire de l’écrivain, pris entre parole et silence. En 1962, Paul CelanCelan (Paul) a écrit justement un poème sur Hölderlin qui porte le titre « Tübingen, Jänner » (« Tübingen, Janvier ») et qui revient sur une visite du poète dans la ville. Le mois de janvier est pour Paul Celan un mois porteur de plusieurs significations. « Am 20. Jänner ging LenzLenz (Siegfried) durchs Gebirge » (« Le 20 janvier, Lenz s’en alla par la montagne ») : ainsi commence la nouvelle de Georg BüchnerBüchner (Georg) intitulée Lenz, une phrase à laquelle Paul Celan fera référence lorsqu’il se verra attribuer le prix Georg Büchner. Le poète déclare alors que « jedem Gedicht sein “20. Jänner” eingeschrieben bleibt » (« tout poème garde inscrit en lui-même son “20 janvier” »)1. Le 20 janvier 1942 est la date à laquelle fut décidée, à Wannsee, près de Berlin, la mise en œuvre de l’extermination des juifs.
« Tübingen », la ville dans laquelle HölderlinHölderlin (Friedrich) fit ses études et où il passa, dans une foliefolie douce, la plus grande partie de sa vie, fournit au poète contemporain les imagesimage extérieures et intérieures de l’écriture d’après la ShoahShoah. Le poème qui évoque, pour aujourd’hui, la possibilité d’une parole prophétique telle que celle de Hölderlin, se termine par un bredouillement, sur deux mots incompréhensibles (« Pallaksch. Pallaksch. »), qui auraient été prononcés par Hölderlin malademaladie :
Käme,
käme ein Mensch,
käme ein Mensch zur Welt, heute, mit
dem Lichtbart der
patriarcat Patriarchen: er dürfte,
spräch er von dieser
Zeit, er
dürfte
nur lallen und lallen,
immer-, immer-
zuzu.
(« Pallaksch. Pallaksch. ») 2
On pourrait, dans ce rapprochement mimétique avec la parole empêchée d’un HölderlinHölderlin (Friedrich) foufolie, entendre que la parole poétique après 1945 suppose la prise de conscience d’un traumatismetraumatisme profond. L’expression linguistique consigne l’échec de la parole, mais elle est tout sauf un échec esthétique. Le processus de l’éclatement de la parole poétique en bégaiementsbégaiement et balbutiements est cette rupture, articulée avec une attention extrême à la forme langagière, en laquelle Hans Mayer, dans son essai « Sprechen und Verstummen der Dichter » (« Parole et mutismemutisme des poètes ») voit la reconstruction d’une « neue[n] Kindheit » (« nouvelle enfance »), à comprendre toutefois « als schrecklich neue Infantilität verstanden » (« comme une nouvelle forme d’infantilité terribleterreur »3). Cette aptitude à la mimésis esthétique de la violenceviolence d’une époque, ne serait-elle pas, pour revenir à GoetheGoethe (Johann Wolfgang), le « Dieu », le génie ou tout simplement un génie de la parole tragique qui permet au poète « de dire sa souffrancesouffrance », alors qu’un autre « dans ses tourments reste muetmuet » ? L’assimilation scandaleuse du poète et du malademaladie trouve sa véritévérité dans le troubletrouble qui prend racine, pour l’un comme l’autre, dans la vie personnelle et dans l’Histoire, et qui touche également aux expériences physiques et psychiques.
Alfred Lorenzer, un des psychanalystespsychanalyse proches de l’école de Francfort, a décrit toutefois ce qui distingue la parole empêchée de l’un et de l’autre avec une rare précision conceptuelle :
Aber wenn es auch beide Male – beim „Dichter“ wie beim „Neurotiker“ – um dieselbe Betroffenheit geht, dieselbe Schicht tangiert wird, so unterscheidet sich doch die Reaktion aufs Trauma in beiden Fällen radikal: Wo der Betroffene im neurotischen Elend „in seiner Qual verstummt“, weil er systematisch sprachlos gemacht wurde […], vermag Literatur auszusagen. 4
Traduction de Jessica Moreno-Bachler
revue par Sabine Forero Mendoza, Peter Kuon et Nicole Pelletier