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1. De la ChuteChute à la Pentecôte en passant par BabelBabel
ОглавлениеLa BibleBible met en évidence l’histoire d’une parole originelle perdue puis retrouvée, ôtée puis restituée par Dieu à l’homme, restituée au moins à quelques élus. L’histoire explique que l’usage de la parole vraie, bonne, pleine de force, telle qu’elle devrait être employée, est en réalité difficile, perverti : l’homme se heurte à une captivité essentielle de la parole qui n’arrive pas à se déployer, à trouver son épanouissement, soit par excèsexcès, soit par manquemanque, soit par une quelconque déviance. La Bible semble dire que ce serait même là une caractéristique de l’humanité, de la vie sur terre.
La consommation du fruit défendu, en premier lieu, s’impose comme un épisode qui met clairement en scène ces enjeux et qui s’offre comme la matrice contenant en germe bon nombre des schémas arthuriens. Tout commence avec le péché originel : il y a un avant et un après la ChuteChute, c’est bien connu. Or, le péché originel est d’abord un péché de bouche1, à tous les sens du mot. C’est, d’une part, un péché de gourmandise, qui entraîne la consommation d’un fruit défendu appétissant. C’est, d’autre part, un double péché de parole : la persuasion du démon passe par la langue bifide du serpent et c’est assurément une parole fourbe, pleine de duplicitéduplicité ; la parole humaine, mue par l’orgueil, s’oppose à l’interdictioninterdiction divine et incite l’homme à obéir à sa femme. Or, devenus les égaux de Yahvé Élohim, grâce à la science du bien et du mal, l’homme et la femme sont chassés du jardin d’Éden, pour éviter qu’ils ne consomment maintenant de l’arbre de vie et vivent à jamais. Mortels ils resteront désormais, lourds de leur culpabilitéculpabilité originelle. L’aventure de l’humanité peut ainsi commencer… Mais l’épisode de la tour de BabelBabel où les langues furent confondues et les hommes dispersés sur la surface de toute la terre2, très vite, vient renchérir sur l’histoire de la Chute. La parole, de nouveau moyen du délitdélit humain, est frappée de l’anathème divin : en étant scindée en plusieurs autres elles-mêmes, elle ne peut plus permettre aux hommes de communiquer et d’unir ainsi leurs forces, de réaliser leur outrance ; elle se coupe, en outre et surtout, de ses origines divines, ne les gardant plus qu’à l’état de traces, et laissant de façon durable l’humain à la recherche de cette langue-mère adamique perdue. La multiplicité des langues, c’est-à-dire, en fait, l’impossibilitéimpossibilité de la communication, est le signe de l’humaine condition. Mais tout n’est pas perdu, puisque, de nouveau, le jour de la Pentecôte, le don des langues, c’est-à-dire la capacité de s’exprimer parfaitement dans des langues étrangèresétranger qu’ils n’avaient pas apprises (Actes des Apôtres II, 1–41), est accordé aux apôtres pour leur permettre de réunir ceux que, justement, la Tour de confusion avait séparés et rendus étrangers les uns aux autres. La parole empêchée est donc libérée et cette scène de glossolalie ne peut se comprendre que comme l’extrême inverse de la scène de confusion des langues à BabelBabel.
Retrouver la parole originelle perdue qui rayonne de force et de véritévérité, qui apprend à distinguer le bien et le mal, telle est peut-être la destinée de l’homme, la parole empêchée étant là comme le signe d’une culpabilitéculpabilité qui grippe les rouages du microcosme… Du moins, ce schéma prend-il corps dans les narrations arthuriennes qui s’épanouissent avec le nouveau genre du roman et ne demandera-t-il qu’à être repris, peut-être parce qu’il correspond aussi à quelque chose de profondément ancré dans l’humanité.