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2. Le silence dans une perspective rhétoriquerhétorique et sociolinguistique

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La rhétoriquerhétorique traditiontraditionnelle est, bien évidemment, consciente des valeurs particulières que peut transmettre en prose littéraire la reprise du travail de formulation propre à la parole spontanée, peu planifiée. C’est dans la figure de style de l’aposiopèseréticenceaposiopèse ou réticence (dite aussi suspension)1 que sont codées les pausepauses porteuses de signification. Le grec aposiopesis indique un silence brusque, qui suspend le sens d’une phrase et laisse au lecteur le soin de la compléter. L’aposiopèse trouve son origine dans une émotionémotion ou une allusionallusion qui se traduisent par une rupture immédiate du discours. Selon la définition du Dictionnaire de poétique et de rhétorique de Morier, la réticence est donc une « [f]igure par laquelle une partie de ce qui reste à dire demeure inexprimé, soit que la phrase ait été brusquement interrompue, soit que le diseur annonce son intention de ne pas tout dire »2.

Le conditionnement émotionnel de ce phénomène se révèle d’autant mieux dans la variante appelée réticence3 pathétique :

Sous le coup d’un sentiment violentviolent, qui appelle à lui toutes les forces de l’attention moralemorale, le sujet qui parle se trouve soudain hors du monde géométrique et descriptible […] À ce moment précis, les mots viennent à manquemanquer […].4

Deux questions s’ensuivent : quel est le rôle de ces réticenceréticences dans le langage réel5, autrement dit, quelle est la part du silence6 dans la parole (au sens saussurien du terme, c’est-à-dire le discours concret, réalisé par le truchement de la voix ou de l’écriture) ? Comment le linguiste peut-il assurer que la parole qu’il analyse ressortit de pratiques langagières authentiques ?

De fait, l’authenticitéauthenticité des usages linguistiques est un problème central dans l’analyse de la parole qui se pose à tout linguiste travaillant « sur le terrain »7. C’est au père-fondateur de la sociolinguistique (quantitative) américaine, William Labov, que nous devons l’idée que les informateurs commencent à manifester des usages linguistiques authentiques lorsqu’ils se rappellent des situations et des événements troublantstroublants et chargés d’émotionémotions. En leur posant la question directe : « Vous êtes-vous jamais trouvé dans une situation dans laquelle votre vie était en danger ? »8, le linguiste se procure des productions verbales qui, dans presque tous les cas, se font vite plus informelles, peu contrôlées. Labov mentionne le type de récit des « life-threatening events », soit des moments où la vie des informateurs aurait effectivement été mise en péril, comme une des situations linguistiques permettant au sociologue du langage et au sociolinguiste d’observer la parole authentique, informelle, chez des locuteurs qui, amenés à se souvenirsouvenir de tels événements, commencent à parler de manière naturelle, en oubliantoubliant la présence de l’observateur. Sous le coup des sentiments intenses soulevés par une telle question, le locuteur produit des énoncés qui relèvent de la parole spontanée.

Dans les développements qui suivent, je présenterai des exemples de tels phénomènes dans des témoitémoignages authentiques, extraits de la documentation mise à disposition en ligne par la fondation pour la mémoiremémoire de la ShoahShoah et l’Institut national de l’audiovisuel9. On ne peut guère imaginer de documents oraux plus emblématiques de la phénoménologie des silences porteurs de sens et plus représentatifs des ruptures servant à une structuration bien particulière du discours oraloralité. De là leur valeur particulière pour l’étude linguistique10.

La parole empêchée

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