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§ 7. — Autres objections contre la Tour et son utilité.
ОглавлениеLes objections les plus fréquemment mises en avant étaient que la construction elle-même était impossible, que jamais on ne pourrait lui donner une résistance capable de s’opposer à la violence du vent; que même y arrivât-on sur le papier, on ne trouverait pas d’ouvriers capables de travailler à cette hauteur, les difficultés devant être encore aggravées par les énormes oscillations que prendrait cette colossale tige de fer sous l’effet des vents.
Ces objections, qui semblent actuellement bien puériles, ne me touchaient guère. Je savais, par mes travaux antérieurs, que, quand il s’agit de constructions métalliques, la science de la Résistance des matériaux est parvenue, de notre temps, à un degré de précision qui permet d’être assuré par le calcul de la détermination des efforts en chaque point de la construction et des résistances qu’on peut leur appliquer. Je savais aussi, par l’expérience acquise aux grands viaducs de Garabit, de la Tardes, etc., que je n’avais eu aucune difficulté à recruter des hommes travaillant à l’aise au-dessus de vides atteignant 125 m, et pour lesquels l’effet de la hauteur était sans conséquence appréciable. Quant aux oscillations, le calcul les montrait si faibles et si lentes que les ouvriers portés par la construction n’en devaient ressentir aucun effet gênant et à peine s’en apercevoir.
J’eus bien davantage à lutter contre cette objection sans cesse renaissante de l’inutilité de la Tour, qui était la tarte à la crème courante. Voici ce que je ne cessais de répéter:
Connue du monde entier, la Tour a frappé l’imagination de tous en leur inspirant le désir de visiter les merveilles de l’Exposition, et il est indiscutable qu’elle a excité une curiosité et un intérêt universels.
Étant la plus saisissante manifestation de l’art des constructions métalliques par lesquelles nos ingénieurs se sont illustrés en Europe, elle est une des formes les plus frappantes de notre génie national moderne.
En dehors de ces premiers résultats, dont l’importance matérielle et morale est capitale dans la circonstance, il n’est pas douteux que les visiteurs qui seront transportés au sommet de la Tour auront un vif plaisir à contempler sans danger, d’une plate-forme solide, le magnifique panorama qui les entourera. A leurs pieds, ils verront la grande ville avec ses innombrables monuments, ses avenues, ses clochers et ses dômes, la Seine qui l’entoure comme un long ruban d’argent; plus loin, les collines qui lui forment une ceinture verdoyante, et par-dessus ces collines, un immense horizon d’une étendue de 180 km. On aura autour de soi un site d’une beauté incomparable et nouvelle, devant lequel chacun sera vivement impressionné par le sentiment des grandeurs et des beautés de la nature, en même temps que par la puissance de l’effort humain. Ces spectacles ne sont-ils pas de ceux qui élèvent l’âme?
La Tour aura en outre des applications très variées, soit au point de vue de notre défense nationale, soit dans le domaine de la science.
«En cas de guerre ou de siège, on pourrait, du haut de la Tour, observer les mouvements de l’ennemi dans un rayon de plus de 70 km, et cela par-dessus les hauteurs qui entourent Paris, et sur lesquelles sont construits nos nouveaux forts de défense. Si l’on eût possédé la Tour pendant le siège de Paris en 1870, avec les foyers électriques intenses dont elle sera munie, qui sait si les chances de la lutte n’eussent pas été profondément modifiées? La Tour serait la communication constante et facile entre Paris et la province à l’aide de la télégraphie optique, dont les procédés ont atteint une si remarquable perfection.» (Max de Nansouty. — La Tour Eiffel.)
Elle est elle-même à une distance telle des forts de défense qu’elle est absolument hors de portée des batteries de l’ennemi.
Elle sera, enfin, un observatoire météorologique merveilleux, dans lequel on pourra étudier utilement, au point de vue de l’hygiène et de la science, la direction et la violence des courants atmosphériques, l’état et la composition chimique de l’atmosphère, son électrisation, son hygrométrie, la variation de température à diverses hauteurs, etc.
Comme observations astronomiques, la pureté de l’air à cette grande hauteur et l’absence des brumes basses qui recouvrent le plus souvent l’horizon de Paris, permettront de faire un grand nombre d’observations d’astronomie physique, souvent impossibles dans notre région.
Il faut encore y ajouter l’étude de la chute des corps dans l’air, la résistance de l’air sous différentes vitesses, l’étude de la compression des gaz ou des vapeurs sous la pression d’un immense manomètre à mercure de 400 atmosphères, et toute une série d’expériences physiologiques du plus haut intérêt.
Ce sera donc pour tous un observatoire et un laboratoire tels qu’il n’en, aura jamais été mis d’analogues à la disposition de la science. C’est la raison pour laquelle, dès le premier jour, tous nos savants m’ont encouragé par leurs plus hautes sympathies. Parmi ceux-ci, je dois citer tout d’abord M. Hervé Mangon, Membre de l’Institut, qui, dès le 3 mars 1885, dans une communication à la Société Météorologique de France, détaillait avec une grande science les services que devait rendre la Tour «dont», disait-il le premier, «l’utilité comme instrument de recherchés scientifiques ne saurait être mis en doute».
A ce nom je dois ajouter celui de l’amiral Mouchez, Directeur dé l’Observatoire, du colonel Perrier, connu par ses grands travaux géodésiques, de M. Janssen, Directeur de l’Observatoire de Meudon, etc.
Je puis maintenant ajouter que l’expérience a réalisé leurs prévisions; j’ai publié un ouvrage qui est presque en entier consacré aux applications scientifiques et militaires de la Tour ainsi qu’aux recherches que je viens d’énumérer. Elles sont résumées dans le présent livre.
Sans m’attarder à rappeler toutes les difficultés que rencontrent, semées complaisamment sous leurs pas, tous ceux qui veulent entreprendre une œuvre nouvelle, je dirai seulement que, grâce aux bonnes raisons que je viens d’exposer rapidement et à la persévérance que je mis à leur service, la cause fut enfin gagnée: il n’y eut plus qu’à déterminer l’emplacement définitif sur lequel la Tour devait s’élever.