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L'enquête parlementaire publiée, il y a quelques années, sur la réforme de l'enseignement secondaire, constitue le document le plus complet que l'on puisse consulter sur l'état actuel de cet enseignement et ses résultats. Le psychologue qui voudra connaître les idées régnant en France au sujet d'une aussi fondamentale question devra se reporter aux six gros volumes où sont réunis les rapports des personnes consultées. Professeurs de l'Université et de l'enseignement congréganiste, savants, lettrés, conseillers généraux, présidents des chambres de commerce, etc., y ont exposé librement leurs idées et leurs projets de réforme.

Après l'examen de ces volumes, le lecteur est bien fixé, non pas certes sur les réformes à effectuer, mais au moins sur l'état mental de ceux qui les ont proposées. Ils appartiennent tous à l'élite intellectuelle généralement désignée par l'expression de classes dirigeantes.

Les qualités comme les défauts de notre race se révèlent à chaque page de cette enquête. Il faudrait au plus subtil des psychologues de longues années d'observation pour découvrir ce que ces six volumes lui enseigneront.

Bien que tournant toujours dans un cercle d'idées infranchissable pour des âmes latines, les projets de réformes ont été innombrables. Pas un seul cependant n'est parvenu à réunir tous les suffrages. C'est avec la même abondance de preuves, supposées irréfutables, que de très autorisés personnages ont soutenu les opinions les plus contradictoires. Pour les uns, le remède consisterait à supprimer l'enseignement du grec et du latin. Pour d'autres, tout serait parfait si l'on fortifiait au contraire l'enseignement de ces langues, du latin surtout, car, assurent-ils, «le commerce avec le génie latin, donne des idées générales et universelles». Des savants éminents, qui ne voient pas très bien en quoi consistent ces idées «générales et universelles», qu'on n'a jamais réussi à définir, réclament l'enseignement exclusif des sciences, ce à quoi d'autres savants non moins éminents s'empressent de répondre qu'un tel enseignement nous plongerait dans une couche épaisse de barbarie intellectuelle. Chacun exige au profit de ses idées personnelles le bouleversement des programmes.

Mais si tous les auteurs de l'enquête ont été unanimes à réclamer des modifications de programme, aucun ne s'est trouvé qui ait songé à demander des changements aux méthodes employées pour enseigner les matières de ces programmes.

Le sujet pouvait sembler d'une importance essentielle, et cependant il n'a pas été traité par les professeurs qui ont déposé devant la Commission. Tous possèdent une foi très vive dans la vertu des programmes, mais ne croient pas à la puissance des méthodes. Formés eux-mêmes par l'emploi exclusif des anciennes, ils ne supposent pas qu'on puisse en découvrir d'autres.

Ce qui m'a le plus frappé dans la lecture des six gros volumes de l'enquête, c'est l'ignorance totale, où paraissent être tant d'hommes éminents, des principes psychologiques fondamentaux sur lesquels devraient reposer l'instruction et l'éducation. Ils ne manquent pas, certes, d'idée directrice sur ce point. Ils en ont une, si universellement admise, si évidente à leurs yeux, qu'elle semble impossible à discuter.

Cette idée directrice, base essentielle de notre enseignement universitaire, est la suivante: par la mémoire seule les connaissances entrent dans l'entendement et s'y fixent. C'est donc uniquement en s'adressant à la mémoire de l'enfant qu'on peut l'éduquer et l'instruire. De là l'importance des bons programmes, pères des bons manuels. Apprendre par cœur des leçons et des manuels doit constituer les assises fondamentales de l'enseignement.

Pareille conception représente certainement la plus dangereuse et la plus néfaste de ce que l'on pourrait appeler les erreurs fondamentales de l'Université. De la perpétuité de cette erreur chez les peuples latins découle l'indiscutable infériorité de leur instruction et de leur éducation.

Ce sera pour les psychologues de l'avenir un sujet d'étonnement profond que tant d'hommes pleins de savoir et d'expérience, se soient réunis afin de discuter sur les réformes à introduire dans l'enseignement, et que nul n'ait songé à se poser des questions comme celles-ci:

Par quelle mécanisme les choses entrent-elles dans l'esprit, et par quel procédé s'y fixent-elles? Que reste-t-il de ce qui atteint l'entendement uniquement au moyen de mémoire? Le bagage mnémonique est-il un bagage durable?

Sur ce dernier point—la persistance du bagage mnémonique—la lumière devrait être faite depuis longtemps. S'il restait quelques doutes, l'enquête les aura définitivement levés. Puisque les rapports des professeurs les plus autorisés sont unanimes à constater que les élèves ne se rappellent absolument rien de ce qu'ils ont appris, quelques mois après l'examen, il est expérimentalement prouvé que les connaissances introduites dans l'entendement par la mémoire n'y restent que fort peu de temps.

Les méthodes fondamentales de l'instruction et de l'éducation universitaires sont donc certainement mauvaises, et il faut en rechercher d'autres. Les auteurs de l'enquête auraient rendu de réels services, en remplaçant par l'étude critique de ces autres méthodes, leurs byzantines discussions sur les modifications à faire subir aux programmes.

Et puisqu'ils ne l'ont pas fait, nous le tenterons dans ce livre. Nous y montrerons que toute l'éducation est l'art de faire passer le conscient dans l'inconscient. On y arrive par la création de réflexes qu'engendre la répétition d'associations où, le plus souvent, la mémoire ne joue qu'un bien faible rôle. Un éducateur intelligent sait créer les réflexes utiles et annihiler ceux dangereux ou inutiles.

Tout l'enseignement est ainsi dominé par quelques notions psychologiques très simples. Si on les comprend, elles servent de phare directeur dans les circonstances les plus difficiles. Ces notions, instinctivement devinées par certains éducateurs étrangers, sont à ce point ignorées en France que les formules qui les contiennent semblent le plus souvent d'insoutenables paradoxes.

Psychologie de l'éducation

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