Читать книгу Psychologie de l'éducation - Gustave Le Bon - Страница 14

III

Оглавление

Table des matières

Il est aisé de voir les inconvénients d'un ordre de choses quelconque, institutions politiques ou éducation, et d'en faire la critique. Une critique négative est à la portée d'intelligences très modestes. De telles intelligences ne sauraient découvrir ce qui peut être modifié, en tenant compte des divers facteurs, race, milieu, etc., qui maintiennent solidement les choses créées par le passé. Le sens des possibilités est malheureusement une des aptitudes dont certains peuples, les Français surtout, sont très dépourvus.

Quand on examine de près les réformes radicales proposées par diverses personnes consultées dans l'enquête, il est facile de prouver, non pas seulement qu'elles sont sans valeur théorique, mais qu'elles n'ont en outre aucune chance d'être appliquées.

Elles n'en ont aucune, pour des raisons diverses que nous examinerons, mais dont la principale est qu'elles heurteraient une opinion publique toute-puissante aujourd'hui. Notre enseignement, et surtout nos méthodes d'enseignement, sont aussi mauvais que possible, mais correspondent aux exigences d'une opinion qu'ils ont d'ailleurs contribué à former.

Un simple coup d'œil jeté sur quelques-unes des réformes suggérées, fait comprendre pourquoi elles sont irréalisables dans la pratique.

On propose, par exemple, de transférer dans les campagnes les lycées établis dans les villes, comme l'ont fait depuis longtemps les Anglais, afin de donner aux élèves de l'air et de l'espace pour leurs jeux. La réforme peut sembler parfaite, mais comme les statistiques recueillies dans l'enquête révèlent que les quelques lycées édifiés à grands frais et avec luxe à la campagne n'arrivent pas à se peupler, parce que les parents tiennent à garder près d'eux leurs enfants, le projet apparaît de suite impraticable. Comment forcer en effet les parents à changer leurs idées sur ce point?

On nous propose aussi de remplacer le grec et le latin inutiles par des langues vivantes fort utiles. De tels changements peuvent être salutaires, mais comment les réaliser, puisque nous voyons par l'enquête que ce sont précisément les parents qui réclament énergiquement le maintien de l'enseignement des langues anciennes, persuadés, j'imagine, qu'elles constituent pour leurs fils une sorte de noblesse les distinguant du vulgaire. Comment l'État leur ôterait-il une pareille illusion?

On nous propose encore de donner aux élèves, si étroitement emprisonnés et surveillés, un peu de cette initiative, de cette indépendance qu'ont les élèves anglais. Rien ne serait plus désirable, assurément. Mais comment obtenir des directeurs des lycées de tels essais, quand nous lisons dans l'enquête que les tribunaux ont accablé d'amendes ruineuses de malheureux proviseurs, parce que des enfants auxquels ils avaient voulu laisser un peu de liberté, s'étaient blessés dans leurs jeux?

Une des plus naïves réformes suggérées, bien que ce soit une de celles qui ont réuni le plus de suffrages, consisterait à supprimer le baccalauréat. On le remplacerait par sept à huit baccalauréats, dits examens de passage, subis à la fin de chaque année, afin d'empêcher les mauvais élèves de continuer à perdre leur temps au lycée. Excellente peut-être en théorie, cette proposition, mais combien illusoire en pratique! La statistique relevée par M. Buisson nous montre que pour 5.000 bacheliers reçus annuellement, il y a 5.000 élèves environ évincés, c'est-à-dire 5.000 jeunes gens qui ont perdu entièrement leur temps. Cela donne une bien pauvre idée des professeurs et des programmes qui obtiennent de tels résultats. Mais voit-on les lycées, qui ont tant de peine à lutter contre la concurrence des maisons congréganistes, et dont les budgets sont toujours en déficit, perdre 5.000 élèves par an! Les jurys qui prononceraient de pareilles exclusions,—dont profiteraient bien vite les établissements congréganistes,—seraient l'objet de telles imprécations de la part des parents, et d'une telle pression de la part des pouvoirs publics, qu'ils se verraient vite obligés de devenir assez indulgents pour que tous les élèves continuent leurs études. Les choses se retrouveraient donc bientôt exactement ce qu'elles sont aujourd'hui.

D'autres réformateurs nous proposent de copier l'éducation anglaise, si incontestablement supérieure à la nôtre par le développement qu'elle donne au caractère, par la façon dont elle exerce l'initiative, la volonté, et aussi, ce qu'on oublie généralement de remarquer, par la discipline. La réforme, théoriquement excellente, serait irréalisable. Adaptée aux besoins d'un peuple qui possède certaines qualités héréditaires, comment pourrait-elle convenir à un peuple possédant des qualités tout à fait différentes? L'essai d'ailleurs ne durerait pas trois mois. Je ne connais pas de parents français qui consentiraient à laisser leurs fils revenir du lycée tout seuls, sans personne pour leur prendre un ticket à la gare, les faire monter en omnibus, leur dire de mettre un pardessus quand il fait froid, les surveiller d'un œil vigilant pour les empêcher de tomber sous les roues des trains en marche, d'être écrasés dans les rues par les voitures, ou d'avoir un œil poché quand ils jouent librement à la balle avec leurs camarades. Si les fils de ces pères vigilants étaient soumis au régime de l'éducation anglaise, faisant leurs devoirs quand ils veulent et comme ils veulent, se livrant sans surveillance aux jeux les plus violents et les plus dangereux, sortant à leur guise, etc., les réclamations seraient unanimes. Au premier accident, les parents pousseraient d'épouvantables clameurs, et toute la presse se soulèverait avec eux. Le ministre serait immédiatement interpellé et obligé sous peine d'être renversé de rétablir les anciens règlements. J'ai connu une respectable dame qui eut une série de violentes crises de nerfs et menaça son mari de divorcer parce que ce dernier avait, sur mon conseil, proposé d'envoyer leur fils, qui venait de terminer ses études, passer ses vacances en Allemagne pour apprendre un peu l'allemand. Laisser voyager tout seul un pauvre petit garçon de dix-huit ans! Il fallait être un père dénaturé pour concevoir un tel projet. Le père dénaturé y renonça d'ailleurs bien vite.

Et peut-être n'avait-elle pas absolument tort, la respectable dame, quand elle doutait des aptitudes de son fils à se diriger seul dans un tout petit voyage. Ne possédant ces aptitudes, ni par atavisme, ni par éducation, où les eût-il acquises?

Si les Anglais n'ont besoin de personne pour se diriger, c'est qu'ils possèdent une discipline héréditaire interne qui leur permet de se gouverner eux-mêmes. Nul peuple n'est plus discipliné, plus respectueux des traditions et des coutumes établies.

Et c'est justement parce que les Anglais ont en eux-mêmes leur discipline qu'ils peuvent se passer d'une tutelle constante. Une éducation physique très dure entretient et développe ces aptitudes héréditaires, mais non sans que le jeune homme ait à courir des risques d'accidents auxquels aucun parent français ne consentirait à exposer sa timide progéniture.

Il faut donc se bien persuader qu'avec les idées régnant en France, fort peu de choses peuvent être changées dans notre système d'instruction et d'éducation avant que l'esprit public ait lui-même évolué.

Laissons donc entièrement de côté nos grands projets de réformes. Ils ne peuvent servir de matière qu'à d'inutiles discours. Considérons que nos programmes ont été transformés bien des fois sans le plus faible bénéfice. Considérons surtout que les Allemands, avec des programmes fort peu différents des nôtres, surent réaliser des progrès scientifiques et industriels qui les ont mis à la tête de tous les peuples. Envisageons ces faits incontestables, et en y réfléchissant suffisamment, nous finirons peut-être par découvrir que tous les programmes sont indifférents, mais que ce qui peut être bon ou mauvais, c'est la façon de s'en servir. Les programmes ne signifient rien et n'ont en eux-mêmes aucune vertu.

Détaillés ou sommaires, ils se résument en ceci: apprendre à des jeunes gens les rudiments des sciences, de la littérature, de l'histoire et la connaissance de quelques langues anciennes ou modernes. Des méthodes qui n'arrivent pas à réaliser un tel but sont défectueuses, et on pourra changer indéfiniment les programmes, les allonger d'un côté, les raccourcir de l'autre, sans que les résultats soient meilleurs. Le jour où cette vérité sera bien comprise, les professeurs commenceront à entrevoir que ce sont leurs méthodes, et non les programmes, qu'il faudrait changer. Tant qu'elle n'aura pas assez pénétré les cervelles pour devenir un mobile d'action, nous persisterons dans les mêmes errements, et personne n'apercevra que l'instruction peut, comme la langue d'Ésope, constituer la meilleure ou la pire des choses[4].

Psychologie de l'éducation

Подняться наверх