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II
ОглавлениеToutes les discussions de l'enquête ont donc porté presque exclusivement sur les réformes des programmes.
On n'avait cependant pas attendu les résultats de cette enquête pour les changer, ces infortunés programmes, cause supposée de tous les maux. La transformation de l'organisation traditionnelle de notre enseignement a été répétée une demi-douzaine de fois depuis quarante ans. L'insuccès constant de ces tentatives n'a éclairé personne sur leur inutilité.
La puissance merveilleuse attribuée à des programmes est une des manifestations les plus curieuses et les plus typiques de cette incurable erreur latine, qui nous a coûté si cher depuis un siècle: que les choses peuvent se réformer par des institutions imposées en bloc à coups de décrets. Qu'il s'agisse de politique, de colonisation ou d'éducation, ce funeste principe a toujours été appliqué avec autant d'insuccès que de constance. Les constitutions nouvelles, destinées à assurer notre bonheur ont été aussi nombreuses, et, naturellement, aussi complètement vaines, que les programmes destinés à assurer notre parfaite éducation. Il semblerait que les nations latines ne puissent manifester de persévérance que dans le maintien de leurs erreurs.
Les seuls points sur lesquels les dépositions de l'enquête se sont trouvées parfaitement d'accord sont relatifs aux résultats de l'instruction et de l'éducation universitaires. Avec une unanimité presque complète ces résultats ont été déclarés détestables. Les effets étant visibles, chacun les a discernés sans peine. Les causes étant beaucoup plus difficiles à découvrir, on ne les a pas aperçues.
Tous les déposants ont raisonné avec ces traditionnelles idées de leur race dont j'ai montré ailleurs l'irrésistible force. Il fallait l'aveuglement qu'engendrent de semblables idées, pour ne pas concevoir que les programmes ne sont pour rien dans les tristes résultats de notre enseignement, puisque, avec des programmes à peu près identiques, d'autres peuples, les Allemands par exemple, obtiennent des résultats entièrement différents.
Notre vieille Université est sortie bien affaiblie de cette enquête. Elle n'a même plus pour défenseurs les professeurs formés par ses méthodes. Leurs profondes divergences sur toutes les questions d'enseignement, l'impuissance des modifications déjà tentées, les perpétuels changements de programmes, montrent qu'il n'y a plus grand'chose à attendre de l'Université. Elle représente aujourd'hui un navire désemparé, ballotté au hasard des vents et des flots. Elle ne semble plus savoir ni ce qu'elle veut ni ce qu'elle peut, et tourne sans cesse dans des réformes de mots, sans comprendre que ses méthodes, son esprit, ont considérablement vieilli et ne correspondent à aucune des nécessités de l'âge actuel. Elle ne fait plus un pas en avant sans en faire immédiatement quelques-uns en arrière. Un jour elle supprime l'enseignement des vers latins, mais le lendemain elle le remplace par l'étude de la métrique latine. Un enseignement dit moderne, où le grec et le latin sont remplacés par des langues vivantes est créé, mais ces langues vivantes, l'Université les enseigne comme des langues mortes en ne s'occupant que de subtilités littéraires et grammaticales, de sorte, qu'après sept années d'études, pas un élève sur cent n'est capable de lire trois lignes d'un journal étranger sans être obligé de chercher tous les mots dans un dictionnaire. Elle croit faire une réforme considérable en acceptant de supprimer le diplôme du baccalauréat, mais immédiatement elle propose de le remplacer par un autre diplôme ne différant du premier que parce qu'il s'appellerait certificat d'études. Des substitutions de mots semblent constituer la limite possible aux réformes de l'Université. Elle est arrivée à cette phase de décrépitude précédant la mort, où le vieillard ne peut plus changer.
Ce que l'Université ne voit malheureusement pas, ce que les auteurs de l'enquête n'ont pas vu davantage, car cela dépassait les limites du cercle infranchissable des idées de race dont j'ai parlé plus haut, c'est que ce ne sont pas les programmes qu'il faut changer, mais bien les méthodes employées pour enseigner la matière des programmes.
Elle sont détestables, ces traditionnelles méthodes. De profonds penseurs, tels que Taine, l'avaient déjà dit avec force. Dans un de ses derniers livres, l'illustre historien montrait que notre Université est une véritable calamité, et nous conduit lentement à la décadence. Ce n'était pour le public que boutades de philosophes. L'enquête a prouvé que ces boutades constituaient de terribles réalités.
Si les causes de l'état inférieur de l'enseignement universitaire ont échappé à la plupart des observateurs, la mauvaise qualité de cet enseignement avait été fréquemment signalée avant l'enquête actuelle. Il y a bien des années que M. Henry Deville, dans une séance publique de l'Académie des Sciences, s'exprimait ainsi: «Je fais partie de l'Université depuis longtemps, je vais avoir ma retraite, eh bien, je le déclare franchement, voilà en mon âme et conscience ce que je pense: l'Université telle qu'elle est organisée nous conduirait à l'ignorance absolue.»
Dans la même séance, l'illustre chimiste Dumas faisait remarquer qu'il «avait été reconnu depuis longtemps que le mode actuel d'enseignement dans notre pays ne pouvait être continué sans devenir pour lui une cause de décadence.»
Et pourquoi ces jugements si sévères, prononcés tant de fois contre l'Université par les savants les plus autorisés, n'ont-ils jamais produit d'autres résultats que de perpétuels et inutiles changements de programmes? Quelles sont les causes secrètes qui ont toujours empêché aucune réforme utile d'être réalisée?