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§ 3.—ENSEIGNEMENT PRIMAIRE (DE 10 A 14 ANS).
ОглавлениеLa théorie psychologique de l'éducation par les travaux manuels est définitivement établie; elle peut se résumer ainsi, suivant la conception des Américains: tout mouvement conscient a son origine dans une excitation des cellules motrices du cerveau. La pensée, sans action, peut développer l'imagination, mais laisse inculte la puissance de la volonté. La volonté ne peut se développer que par l'action. Tout mouvement musculaire se répercute sur les cellules du cerveau par les sensations, se fixe dans les centres de projection sous forme de perception et d'images. Pour augmenter la réceptivité du cerveau, l'éducation rationnelle veut qu'on varie la nature des mouvements des travaux manuels, pour intéresser successivement tous les groupes cellulaires. De ces faits il résulte que, pour développer la région motrice totale du cerveau, il faut multiplier les exercices amples et variés, et les régler de façon à aiguiser la sensibilité et la perception, à faire jaillir la pensée et à fortifier la volonté. Il en résulte aussi que si le mouvement devient habituel, il peut se faire sans réflexion et il cesse de développer les cellules motrices; dès lors, il n'a plus de valeur éducative. Ce n'est que dans la première période d'excitation que l'action des travaux manuels est efficace. Des exercices, poussés au delà du stade éducatif, peuvent devenir des moyens pour préparer à des travaux plus avancés d'ordre professionnel, mais ils ne sont plus à ranger parmi les branches qui contribuent à la formation générale.
Les travaux manuels variés se réduisent à quatre grands systèmes: 1º le système pédagogique, d'origine suédoise; 2º le système technique, de provenance russe; 3º le système social; 4º le système artistique.
Le système pédagogique, représenté par le sloyd[6], considère les travaux manuels, au même titre que les mathématiques, le dessin, les sciences physiques, etc., comme un instrument de culture générale, intégrale, exerçant l'attention, la perception exacte et le raisonnement et tendant au développement harmonique de toutes les facultés. Il repose sur le principe de Frœbel: l'éducation par l'action, et a sa source dans l'œuvre scolaire de Coegnus, de Finlande. Il a été élevé à la hauteur d'un système par l'école normale de Naas, en Suède, de là a envahi le monde civilisé, en se transformant suivant les latitudes, les mœurs, la mentalité des races.
[6] De l'expression suédoise Slojold, qui signifie travaux manuels.
Le choix des modèles est la pierre de touche du système. Ces modèles doivent inspirer un intérêt tel que l'élève applique à leur exécution son effort volontaire et toutes ses facultés. Dans ce but, il convient de les adapter aux conditions variables de la capacité, du goût, des mœurs, du milieu, etc.: là se trouve le point capital des méthodes de sloyd; l'intérêt ne se trouve pas dans les modèles mêmes, qui ne sont pas inaltérables, mais dans les raisons immuables qui en sont la base: la difficulté croissante et progressive des exercices, l'effet de certains outils sur le développement musculaire, la capacité des élèves d'exécuter un travail en toute dépendance, l'utilité et l'agrément du modèle à confectionner dans un espace de temps donné; tous ces points sont considérés soigneusement à chaque pas dans le sloyd américain tel que l'a formulé et le pratique M. Larrson.
L'Amérique est arrivée à un degré de prospérité matérielle inconnue dans son histoire; après la satisfaction des besoins matériels, ont surgi des besoins supérieurs dont la satisfaction se trouve dans le Beau.
C'est dans les travaux manuels et le dessin que se manifeste nettement la tendance vers plus de raffinement.
Des systèmes d'enseignement esthétique se sont fait jour dans de nombreux centres. Les écoles d'art appliqué se multiplient; la préparation des professeurs de dessin est l'objet de plus de soins et les cours publics d'art jouissent d'une vogue grandissante. Dans les écoles élémentaires, cette même préoccupation se traduit par des systèmes d'éducation artistique parmi lesquels le plus original, le plus déconcertant est celui de M. Tadd, directeur de la «Public Art School» de Philadelphie.
Dans les salles bondées, s'agitent des enfants, garçons et fillettes, absorbés en une activité qui semble répondre à leur goût: les uns s'appliquent à la création de petits projets de panneaux, de frises, d'encadrements ornés; d'autres dessinent, d'après nature, des oiseaux empaillés, des fleurs, des poissons, des squelettes, des coquillages, des minéraux; pour d'autres encore, le modèle a disparu, et ils s'évertuent à le reconstituer de mémoire. Mais l'intérêt se porte spécialement sur deux ordres de travaux, auxquels les élèves prennent un plaisir intense: le modelage et la sculpture sur bois. Le lien entre tous ces travaux est assuré par des leçons sur la composition décorative et l'histoire de l'art, et richement illustrées de projections lumineuses, de gravures et de photographies.
Formation des professeurs.—Les Américains proclament hautement l'utilité et la nécessité des travaux manuels, mais ils sont exigeants en ce qui concerne la qualité de cet enseignement.
D'après leur conception, les travaux manuels constituent des disciplines, au même titre que le calcul et les sciences naturelles.
Nous ne saurions assez insister sur la marche constante des travaux: la fonction de l'objet est le point de départ de discussions entre élèves et professeurs. De cet examen en commun se dégagent la forme, les dimensions, les matériaux à employer, puis le plan coté de l'objet à confectionner. Les relations entre la fonction, la forme, les dimensions des objets et les matériaux constituent la pensée même des travaux manuels. Ces notions sont subtiles et doivent procéder de la connaissance de la construction. Ce n'est que par des études sérieuses, que le professeur se prépare à appliquer ce principe supérieur dans les travaux, d'une manière constante et compréhensible. On s'en convaincra par l'exemple suivant: la construction d'une chaise qui entre comme exercice d'application dans les cours de septième et huitième années, pour les enfants de onze et quatorze ans.
Le thème de la leçon peut se fixer comme suit: l'examen de la fonction de ce meuble, qui est de servir de siège, conduit immédiatement à la forme qui doit être celle de l'homme, de l'enfant assis. En poussant plus loin les investigations interrogatives, les élèves, guidés par le professeur, trouvent la forme et les dimensions du dossier; ils peuvent même contrôler la construction, les points à consolider, etc. Ils sont ainsi amenés à faire, rationnellement et graduellement, le croquis coté du meuble, et, munis de ce document qui renferme la pensée à réaliser, ils passent à l'exécution. Le même système d'études rationnelles préalables, par lesquelles la pensée, le raisonnement et le jugement entrent dans les travaux se retrouve dans l'exécution de tous les objets.
Les Américains considèrent comme de nulle valeur éducative et comme de simples «occupations manuelles» les travaux dont l'élève ne possède pas, dans le cerveau, le plan préalablement raisonné. C'est dans cette méthode que se trouve la vertu spéciale des travaux manuels. Ainsi conduites, les opérations se déroulent avec la rigueur logique d'une suite de propositions géométriques; elles imposent à l'élève la prévoyance dans l'établissement du projet, l'adaptation des moyens aux fins, le principe du moindre effort. Cette méthode d'enseignement exige des directeurs chargés de l'organisation et de la surveillance des cours et des professeurs chargés de l'enseigner, des connaissances et des aptitudes sérieuses et diverses, qu'ils ne sauraient acquérir à fond par l'étude des travaux manuels, comme une branche accessoire dans les écoles normales générales.
Pour suppléer à l'insuffisance de ces professeurs, des institutions ont organisé un véritable enseignement normal spécial pour les travaux manuels.