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VIII

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Un mois après, le piano d’Érard était installé dans la grande salle du manoir de la Forge. Il avait été déballé avec prudence; un accordeur de la ville voisine, reconnaissant la valeur du précieux instrument, avait mis tous ses soins à en régler les harmonies.

Au commencement de l’hiver, les pâturages de Lysis Durand affirmèrent encore une fois leur supériorité. Deux bœufs sortant de leur herbe furent villés à je ne sais quel concours d’animaux de boucherie. Nouveau festin au manoir de la Forge avec les mêmes convives.

Il fallait les voir, les curieux bonshommes, tourner autour de l’immense instrument, tout grand ouvert; les uns s’en approchaient avec respect, d’autres avec terreur, quelques-uns rôdaient alentour avec un air de malice, tous étaient en proie à une secrète curiosité. Le respect était le sentiment particulier de ceux qui savaient combien il avait coûté.

Tout à coup, le doyen des convives, — un grand-oncle sans peur et sans reproche, — appuya son pouce sur une corde grave; un la naturel sonore vibra dans la salle.

— Entends-tu, Guillaume? est-ce qu’on ne dirait pas la grosse cloche de Saint-Philbert de l’Ivet? Boum! boum!

Et le pouce rugueux du grand-oncle martelait sans pitié le la grave, qui ne fut bientôt plus du reste le seul à subir le martyre. Parents et amis entouraient le piano; chacun taquinait sa note; on fourrageait dans les dièzes, on farfouillait dans les bémols. Chacun voulait retrouver la cloche de son village.

— Entends-tu sonner le Mesnil? — disait l’un.

— Tiens, la tintenelle de Courville!

— Ça dit bien par en bas, ce gros basset-là ; mais par en haut, ce n’est pas si gentil, c’est trop maigre. Pi! pi! pi!

Le si suraigu n’échappait point au supplice du la grave: le prenant pour un gras compagnon, on l’avait réveillé à coups de poing et l’on se moquait de lui en s’apercevant qu’il était chétif.

Le bon curé lui-même profita d’un désencombrement pour chercher à reproduire son carillon. Encouragé par ses débuts, il s’avançait en tâtonnant et en s’aidant de la voix dans la gamme ascendante du Kyrie de Dumont, quand Lysis l’interrompit sans façon.

Il rayonnait, donnant le bras à sa fille. Jamais imprésario, introduisant une prima-donna adorée dans un cercle de fanatiques, ne fut si fier que le mélomane paternel conduisant sa fille au piano.

— Ne tutoyez pas comme cela mon pauvre piano, monsieur le curé ; le médecin qui le soigne m’a dit que ces animaux-là étaient susceptibles et qu’il était seul capable de lui tâter le pouls. Sauf votre respect, vous ne savez pas faire dire cette musique-là, on y met plus d’un doigt et les deux mains. Écoutez-moi ça.

Sans se faire prier, Zénaïde s’installa sur son tabouret et joua, toujours sans faute, les Échos suisses.

Son succès fut énorme. L’inconnu attire l’admiration, et tous les parents prenaient leur part du talent de la cousine Zénaïde!

Sous cette impression, le commencement du repas fut presque silencieux. On se recueillait pour se souvenir, et les barbes grises se sentaient pleines de respect pour cette fillette de seize ans qui leur avait fait goûter un plaisir inconnu.

Les Échos suisses furent joués trois fois dans cette mémorable journée, ils remplacèrent le coup du milieu. Généralement redemandés au gloria, ils laissèrent dans la tête et dans le cœur des convives un suave arrière-goût d’harmonie qui les charma pendant le retour, et les suivit jusque dans leurs rêves.

C’est en ce jour de douces jouissances que le bon curé sentit tout à coup ses oreilles s’ouvrir. Ses préjugés tombèrent au son de la musique comme les murailles de Jéricho, et il résolut de proposer à sa fabrique, à la Quasimodo prochaine, l’achat d’un harmonium. Il se donnait pour excuse qu’il lui était venu depuis peu un jeune maître d’école, lequel était d’aspect doux et devait aimer la musique: mais la vérité est qu’il avait été saisi d’un accès de mélomanie, et que, plutôt que de se passer de l’instrument désiré, il y eût attelé son sacristain Placide, faute d’en pouvoir jouer lui-même.

Dans les herbages

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