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VII

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On était au milieu de l’été, et quelque gras que fussent les pâturages de Saint-Gérebold, la canicule les rôtissait. L’eau des abreuvoirs commençait à tarir, certains bœufs d’ailleurs étaient à point, et Lysis dut en expédier une bande considérable à Poissy. Dans ces sortes de circonstances, il envoyait comme ses confrères un ou deux conducteurs avec le bétail pour le surveiller pendant la route, et, prenant le train de grande vitesse, il les précédait ou les rattrapait à destination.

Cette fois, il était pensif. C’est à peine s’il desserra les dents huit jours durant. Enfin, l’avant-veille de son départ, il dit tout à coup à Zénaïde entre le fromage et la poire:

— Est-ce qu’il ne te prend jamais envie de voir du pays, petite?

— Non, mon père.

— Pas même de voir Paris?

— Oh! si, mais c’est bien loin.

— Eh bien! fais ton paquet, je t’emmène avec moi après-demain à Paris, si tu veux.

La vente des bœufs donna à Lysis un bénéfice inespéré. Le lendemain, sa fille au bras et la sacoche pleine, il se promenait, soufflant de tous ses poumons, au soleil, dans la rue Richelieu, en plein midi.

Il regardait les enseignes en se garant des éblouissements avec sa main droite.

Il parut avoir trouvé tout à coup ce qu’il cherchait, et entra résolument dans un magasin.

C’était celui d’un marchand de musique.

— Monsieur, dit-il sans préambule à un commis qu’il aperçut derrière les partitions et les cahiers, pourriez - vous me dire où l’on vend les meilleurs pianos?

— Mais, monsieur, comme toujours, chez Pape, chez Pleyel, chez Érard. Nous avons aussi de nouveaux facteurs, ainsi...

— Où demeure M. Érard, s’il vous plaît?

— Rue du Mail, près Notre-Dame des Victoires. J’ignore le numéro, mais tout le monde vous indiquera la maison.

— Merci, monsieur.

Lysis trouva facilement le magasin d’Érard, comme le lui avait dit le commis de la rue Richelieu. Arrivé dans les salons du célèbre facteur, il voulut s’expliquer avec le maître en personne, et, négligeant tout exorde insinuant, alla droit au but.

— Monsieur Érard, combien coûte un bon piano?

— Cela dépend du genre d’instrument, monsieur. Voulez-vous un piano droit ou un piano à queue?

— Lequel est le plus cher?

— Le piano à queue, sans contredit.

— Alors, j’en veux un à queue; il n’est de bonté que de chère marchandise... Combien cela coûte-t-il, dans les meilleurs?

— Mais... en y mettant 2,500, 3,000 francs...

— Y a-t-il plus cher?

— Vous avez une singulière façon de marchander, monsieur. Du reste, en faisant dorer la boîte ou en priant M. Ingres de vouloir bien la peindre, vous pouvez augmenter indéfiniment le prix d’acquisition.

— Pas de plaisanterie, s’il vous plaît. Je veux acheter une marchandise que je ne connais pas. Je sais que vous êtes un honnête homme, et je ne trouve pas de meilleur moyen d’avoir ce qu’il y a de mieux que de demander ce qu’il y a de plus cher.

— Au fait, monsieur, j’ai peut-être votre affaire. Un mois avant sa mort, un des pianistes les plus éminents de notre époque, le premier de tous peut-être, Émile Prudent, me commanda un piano de concert. Je devais mettre tous mes soins à la confection de cet instrument d’élite. Il devait joindre ses conseils à ma propre expérience. Nous choisîmes le clavier touche à touche, les cordes fil à fil; nous éprouvâmes avec un soin particulier la sonorité des tables. L’instrument a été exécuté. J’ose dire que c’est un des plus parfaits qui aient jamais existé. Malheureusement la mort a glacé les doigts qui devaient donner la vie aux harmonies qu’il renferme. J’ai calculé mes dépenses, j’ai estimé sa valeur vénale; je veux le vendre 5,000 francs.

— Diable! monsieur, cela fait bien des paires de bœufs. Au surplus, cela m’est égal, et si vous voulez me l’emballer par-dessus le marché, le piano est à moi. C’est dit, n’est-ce pas? Je paye comptant.

Et, sans donner au facteur stupéfait le temps de se reconnaître, Lysis Durand déboucla sa sacoche, compta 5,000 francs sur la tablette d’un piano droit et sortit, le cœur léger comme la bourse, en jetant son adresse d’une voix de stentor:

Lysis Durand, propriétaire à Saint-Gérebold-du-Plantis, gare restante, à Lisieux, Calvados.

Heureusement, il n’entendit pas le facteur, qui le reconduisait, dire avec politesse à Zénaïde:

— Si mademoiselle voulait l’essayer, peut-être qu’après-demain je pourrais l’avoir mis en état.

L’enragé campagnard serait resté et aurait fait subir les Échos suisses aux luthiers ahuris.

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