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La commune de Saint-Gérebold-du-Plantis est une des plus vertes et des plus fertiles de ce pays d’Auge, qui, suivant du Moulin, s’étend «depuis La Haye d’Hiesmes jusqu’au Pont-l’Évêque», et dans lequel les champs humides et peu propres à la culture des céréales sont «si fertiles en herbes, que, tondues le soir, le matin on les voit recrues de quatre doigts». Dans ce petit coin de Normandie heureuse, qui a gardé une partie des immunités du paradis terrestre, la terre donne ses fruits sans que l’homme l’arrose de ses sueurs. En cet Eden plantureux, la pomme fleurit, se noue et mûrit en abondance chaque année pour le plaisir des yeux et le soulas des gosiers altérés.

Rien que de l’herbe et des pommiers, vert sur vert. L’église de Saint-Gérebold est au milieu d’un cimetière couvert d’arbres séculaires. Une barrière volante donne entrée dans la cour du presbytère, séparée de l’asile des morts par une haie de buis, jalonnée de houx et fourrée de lierre. Le presbytère lui-même est perdu dans les branches d’un courtil, sombre l’été, humide l’hiver et tout constellé de fruits d’or pendant l’automne.

La maison de Dieu et la maison du curé font exception dans la commune de Saint-Gérebold par leur voisinage. Les cent autres feux sont épars dans des cours soigneusement closes et plantées à fonds perdu. L’église, sorte de grange sans caractère monumental, surmontée d’un clocher en aiguille, revêtu de bardeau vermoulu, est la seule maison construite en pierre et couverte en tuiles. Sous les écailles tombées de leur premier enduit, les murs en guenilles laissent voir çà et là l’appareil mal échantillonné de mauvais moellon qui témoigne de la rareté de la matière. A travers le léger fil de fer de certaines barrières modernes, on aperçoit parfois, dans les cours, de coquettes constructions en brique, couvertes en ardoise; mais la plupart des maisons, riches ou pauvres, sont en bois, à colombes et à traverses apparentes, à sabliers et à corniches saillantes, à larmiers prolongés et couvertes en chaume. Le bois, peint en noir, fait un contraste violent avec le blanc de chaux qui badigeonne le paillis des interstices ou le rouge effacé de l’ancien appareil de tuiles en arêtes de poisson des plus antiques manoirs. Suivant l’humeur et le soleil, ces rustiques demeures font l’effet d’être en demi-deuil ou de montrer leurs robes blanches derrière une grille.

La maison de Saint-Gérebold qui a conservé le plus de caractère et de cachet de terroir est sans contredit le manoir de la Forge. C’est une sorte de fortin avec deux ailes à toits pointus et un escalier-tourelle, bâti ou plutôt jeté au hasard à mi-côte dans une cour de dix hectares, littéralement couverte de pommiers, sans un brin de mousse, sans une branche morte et sans une touffe de gui. Des étables, une écurie, un fournil, une fromagerie, un pressoir, une bouillerie ou distillerie à cidre sont épars çà et là au travers de la cour, sous les arbres, plus verts et plus vigoureux le long des sentiers qui conduisent aux bâtiments; deux ou trois petites pièces d’eau miroitent au soleil ou dorment à l’ombre, alimentées par un ruisseau limpide et glacé. On entend, aux heures de leurs repas, le grincement intermittent des herbes arrachées par les lèvres et les dents des vaches laitières; aux heures de la sieste, accroupies dans le gazon fleuri, elles ruminent, la mâchoire active et l’œil regardant quelque part; parfois une robuste servante, portant au bout d’un joug deux chanes de cuivre étincelantes, s’en va traire en pleine prairie les nourrices nonchalantes ou capricieuses; c’est toute une bucolique tranquille et particulière qui vous imprègne d’une sorte de bien-être mêlé de paresse. On sent la vie sous le repos de la nature, mais on devine que cette nature qui se repose n’a jamais été fatiguée et ne se fatiguera jamais.

Le manoir de la Forge est la demeure héréditaire des Durand, marchands de bœufs de père en fils. Leur noblesse rustique, à défaut de blason, s’est toujours affirmée par des signes extérieurs si distincts que les fils font copier à leur usage le passe-port de leur père. Taille de géant, cheveux blonds frisés, favoris roux, front couvert, yeux bleus, nez carré, marbré dans l’âge mûr de filaments veineux cramoisis; pommettes couperosées, large bouche endentée à la diable, lèvres plus fines encore que sensuelles, parole retentissante, rire tumultueux, menton fourchu à double étage, démarche assurée sous une apparence nonchalante et goguenarde: tel est le signalement d’un Durand, connu de père en fils sur tous les marchés de bestiaux, depuis Poissy et Routot jusqu’à Orbec et Vimoutiers. Les Durand n’ont jamais engraissé que des bœufs cotentins, et ils sont propriétaires de tous leurs herbages. Ils n’en louent jamais, mais ils en achètent souvent. Ils n’ont jamais vendu de vaches pour l’abattoir; mais, deux ou trois fois, depuis quinze ans, ils ont fourni le bœuf gras. Ces années-là, le boucher sacrificateur n’a pas été volé, l’animal sortait directement de l’herbage. La parole d’un Durand est d’argent; sa signature est d’or.

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