Читать книгу Dans les herbages - Gustave Le Vavasseur - Страница 8

VI

Оглавление

Table des matières

Le 10 août 1861 fut un beau jour. Le soleil semblait luire tout exprès pour les Ursulines de Livarot, qui faisaient leur distribution de prix, pour les parents conviés à la cérémonie, pour les écolières qui allaient jouer dans la pièce et recevoir publiquement des couronnes avant d’entrer en vacances. Triple fête pour Zénaïde, qui quittait sans regret la pension, et pour Lysis Durand, qui allait retrouver une seconde jeunesse en se mirant dans un visage de seize ans.

Le théâtre traditionnel était dressé, les couronnes —papier doré pour les prix de sagesse, papier vert pour les autres — s’amoncelaient sur une table à gauche, dans un coquet désordre. Les livres faisaient pendant sur une table à droite. Des fauteuils en rang d’académie semblaient causer gravement et présider tout seuls. On espérait un grand vicaire; on attendait un inspecteur des écoles. On avait surpris M. le maire agité, récitant son discours à un tas de cailloux. La grande heure du grand jour approchait.

Elle sonna. Les notables prirent place; les parents, sorte de tapisserie vivante, occupèrent les sièges du fond de l’estrade; les exercices commencèrent: les petites récitèrent des fables, les moyennes gazouillèrent des compliments, les grandes psalmodièrent des dialogues. M. le maire sema adroitement sur l’assemblée les fleurs de sa rhétorique, sans en égarer une seule; un intervalle de silence, égayé par les bravos de l’auditoire, annonça que la seconde partie de la fête, la distribution des prix proprement dite, allait commencer.

La tradition indiquait impérieusement un morceau de musique dans l’entr’acte.

Alors, du premier rang des pensionnaires se leva Zénaïde Durand; sans émotion et sans embarras, comme toujours, elle gravit les degrés de l’estrade, se dirigea vers un piano caché derrière la table aux couronnes, et sans préluder, sans balbutier, exécuta, avec l’exactitude d’une mécanique, un exercice enfantin, appelé les Échos suisses, mélodie naïve agrémentée, pour la facilité des débutantes, d’accords de tierce, qui se tapotent naturellement avec trois doigts de la main gauche. Zénaïde joua son morceau tout d’une haleine, sans faute et sans nuances, sans piano ni forte, recto tono, sans accélérer ni ralentir le mouvement, qui était celui d’une valse allemande à trois temps. Sa dernière note se perdit dans le brouhaha des applaudissements d’un public bienveillant.

Dès les premières notes, Lysis ne pouvait en croire ses yeux ni ses oreilles; il regardait sa fille avec ébahissement; il était haletant, il battait la mesure de la tête et du pied à tort et à travers, il buvait les notes goutte à goutte et s’enivrait d’une ivresse inconnue; c’était du délire. Mélomane paternel, envahi par une passion à son premier éveil, il se laissait aller sans défense aux extravagances de l’enthousiasme; tout un monde de sensations lui était révélé tout à coup, et révélé par sa fille bien-aimée. La vanité du père doublait la joie du musicien. Il allait éclater et crier quand le morceau finit.

Alors il n’y put tenir: bondissant sur sa chaise et bousculant un groupe vénérable de parents modérés, il courut à Zénaïde les bras étendus, et l’enlevant de son tabouret au milieu du triomphe, il la tint longtemps embrassée en sanglotant de joie.

Toute la commune de Saint-Gérebold connut, dès le lendemain, le succès de la petite: elle jouait de la musique comme sainte Cécile, et elle avait fait à son père une surprise qui avait failli le faire mourir de plaisir. Il n’y avait malheureusement dans tous les environs qu’un seul instrument de musique: c’était un violon à trois cordes, sur lequel le maréchal ferrant s’escrimait à archet perdu aux noces de première classe. Personne ne put donc juger du talent de Zénaïde. Le vieil instituteur avait soupiré quelque temps après un harmonium; mais le curé tenait mordicus pour les anciens usages; il ne voulait pas même d’ophicléide dans son église, et l’on y écorchait le plain-chant tout nu.

Lysis s’agitait fébrilement dans son impatience et dans son enthousiasme. Un monde de souvenirs et, qui sait? de projets peut-être, s’agitait dans sa tête.

Tranquille comme l’eau qui dort, modeste comme le talent qui s’efface, Zénaïde semblait avoir oublié la scène de la distribution des prix et les Échos suisses. Jamais elle ne parlait musique et ne chantait pas même à vêpres. Elle avait entrepris une couverture de lit, ouvrage héroïque de tricot compliqué à mailles comptées, qui exige, pour être menée à bien, la patience de Pénélope, la persévérance de la reine Mathilde et une tranquillité d’esprit que n’ont point d’ordinaire les artistes applaudis.

Dans les herbages

Подняться наверх