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IX

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Table des matières

Pendant deux ans, Zénaïde resta chez son père, édifiant par sa douceur et son égalité d’humeur ceux qu’elle avait scandalisés par ses caprices d’enfant.

Lysis continuait sa vie nomade, et toutes les fois qu’il revenait au logis, sa première parole, après le débotté, était:

— Zénaïde, un petit air de piano.

Et Zénaïde jouait les Échos suisses.

Une chose est restée douteuse dans l’esprit de ceux qui ont connu cette histoire, aussi vraie qu’elle est invraisemblable.

Lysis croyait-il que le piâno de cinq mille francs, même sollicité par les doigts de sa fille, ne pouvait rendre que certains sons combinés entre le facteur et l’exécutant?

Ou plutôt ne s’aperçut-il jamais qu’il entendait toujours le même air?

Sa mélomanie éprouvait-elle une jouissance double à se bercer dans une harmonie prévue, ou sa mémoire fugitive lu permettait-elle de trouver l’attrait de la nouveauté dans la plus ennuyeuse répétition?

On n’a jamais pu savoir.

L’accordeur, qui venait tous les trois mois visiter l’instrument, penche pour le dernier sentiment: aussi a-t-il toujours pris avec soin pour sa visite le temps d’absence de Lysis. Il craignait d’être tenté d’éveiller sur le magnifique instrument quelque symphonie révélatrice, et il respectait le naïf enthousiasme de l’ignorance paternelle.

Cependant Zénaïde atteignait tout doucement ses dix-huit ans, et vers le commencement de l’année précédente, on avait commencé à s’entretenir entre commères de sa fortune, de ses espérances et de la douceur de son caractère. Sans doute, cette dernière qualité venait par surcroît, et on la nommait toujours la dernière dans les apports matrimoniaux; mais, comme elle ne diminuait pas la dot, on lui faisait l’honneur d’une mention honorable.

Ce fut même l’écho de cette charmante vertu qui décida Arsène Dupré, fils d’un parent éloigné, à regarder du côté de sa cousine.

Ce pauvre garçon, ayant été amené par son père à un festin du manoir, demeura si gauche pendant tout le dîner, il fut tellement silencieux pendant le retour, que son père, vieux madré à qui rien n’échappait, devina ce qui se passait dans le cœur de son fils.

Il fit part en rentrant à sa femme de son heureuse découverte, et comme l’amour faisait merveilleusement les affaires de l’intérêt, les parents de Dupré se réjouirent.

Mais, en vrais Normands, ils attendirent.

Ils attendirent assez longtemps. Le cœur d’Arsène était gros à se rompre, mais il n’éclatait pas.

Or, un dimanche de printemps, comme le père et le fils revenaient ensemble de la grand’messe, le père jugea, comme il l’a dit depuis, que la poire était mûre, et qu’il fallait la cueillir si l’on ne voulait pas qu’elle tombât à terre.

— Dis donc, garçon, — fit-il comme revenant de cent lieues et faisant le chemin d’une enjambée, — est-ce que tu ne penses pas à te marier?

— Dame! papa; c’est selon.

Dupré fils n’en put dire davantage. Il était rouge comme une cerise et regardait attentivement à ses pieds.

— Comment trouves-tu ta cousine Zénaïde?

— Oh! p’pa!

Ce fut si bien dit, que tout commentaire était superflu.

Le lendemain, le père et la mère Dupré se requinquèrent comme pour une noce. Ils tirèrent de l’armoire leurs propres habits de mariage, pliés avec soin, mais depuis si longtemps, que les plis faisaient bourrelet. C’étaient, pour le père, un pantalon à long corsage et à courtes bretelles, un gilet à fleurs, une cravate à bouts désordonnés, une chemise à col gigantesque, vierge d’empois: il endossa de force par là-dessus un sarreau dont la taille lui remontait entre les épaules et qui craquait à toutes les coutures. Le père Dupré se souciait de la mode comme d’une pelure de pomme, mais l’embonpoint était un fait accompli dont il lui fallut, bon gré mal gré, subir les conséquences. Un énorme chapeau de feutre à longs poils compléta la toilette, et une blouse bleue, faïencée de blanc aux poignets et aux épaules, lui servit de pardessus.

C’était un costume un peu vieilli, voilà tout. Arsène n’était guère mieux mis que son père, la toilette des Normands n’ayant depuis trente ans subi ni progrès ni décadence, et les Dupré n’étant pas des farauds.

Quant à la mère Dupré, c’était vraiment bien autre chose: souliers cossus, bas de laine bien tirés, jupe et. corsage de laine brune, tablier de soie violette, fichu de soie verte à franges, froncé autour du col sur une gorgerette de toile blanche. Elle avait vraiment grand air: sur sa tête triomphait l’ancien grand bonnet des Normandes, ce descendant hautain du hennin d’Isabeau de Bavière. La passe en était superbe et hardie, les ailes splendides et garnies d’une valenciennes haute de trois doigts. La bonne dame n’était pas dépensière, mais elle était d’un temps et d’un pays où courait le proverbe qu’une fille de mille francs de dot devait mettre deux cents francs dans la dentelle de son bonnet. Quand elle eut posé sa comète sur un bandeau blanc bien serré et qu’elle eut relevé soigneusement son chignon, la mère Dupré eut certes une plus fière tournure que la plus minaudière de nos petites campagnardes d’aujourd’hui, qui suivent de loin et maladroitement je ne sais quel idéal bourgeois de toilette, à la fois prétentieux et de mauvais goût. Si la démocratie le veut ainsi, Dieu me garde de chicaner la moderne reine du monde. Qu’elle nivelle les mœurs et les costumes, et surtout qu’elle nous fasse mieux vivre et à bon marché. Mais souvenez-vous, ô femmes, qu’une de ses premières exigences est la simplicité. Sainte Mousseline a horreur des rubans tapageurs et des fleurs criardes.

La demande fut faite avec toute la solennité que nos pères mettaient à tous les détails d’une si grave affaire. On prit le temps de la réflexion. On revint à la charge. Arsène fut accepté.

La position de Zénaïde, qui n’avait pas de mère, abrégea singulièrement le temps d’épreuve qu’on appelle la cour, et pour la durée duquel les paysans de certaines de nos provinces ont encore gardé la tradition de Rachel et de Jacob. Le mariage fut fixé à la fin de l’automne.

Les deux jeunes gens s’aimaient d’amour tendre, mais sans expansion, sans élan, sans enthousiasme fébrile.

Les braves et solides cœurs ne dépensaient pas leurs rayons en feu d’artifice.

Ils n’avaient jamais lu l’amour dans les livres, mais ils le pensaient si bien sans le parler.

Un seul nuage passait parfois dans la sérénité de leur bleu firmament.

Dès qu’Arsène arrivait à la Forge, l’enragé Lysis envoyait sa fille au piano. Il y avait des jours où, le morceau fini, il criait: Encore! Et Zénaïde recommençait les Echos suisses.

Le doux Arsène applaudit les trois premières fois. Peu à peu, il chercha à s’abstraire; bientôt il fronça le sourcil et donna des signes d’impatience.

Il eût mieux aimé recevoir une douche de clous d’épingle que cette petite pluie de notes grêles, aiguës, monotones et crépitantes qui lui perçaient le tympan et l’enfrissonnaient d’agacements de la plante des pieds à la racine des cheveux.

Comme Lysis, il était poursuivi dans ses rêves par les Échos suisses. En certains moments, il eût préféré le songe d’Athalie.

Cette disposition nerveuse agissait-elle sur Zénaïde à son insu? Elle suivait avec moins d’aplomb sa routine musicale. Elle hésitait parfois sur certaines notes, et il lui arriva plusieurs fois de presser le mouvement pour avoir plus tôt fini.

Arsène se taisait. Il se gourmandait amèrement et s’accusait de barbarie, mais le nuage grossissait et menaçait d’obscurcir tout le ciel bleu.

Vers le mois d’août, un soir que les deux fiancés se promenaient ensemble au clair de lune, la main dans la main, et faisaient du roman sans le savoir, Arsène s’enhardit et, tout en épluchant ses mots, dit à Zénaïde:

— Savez-vous, ma cousine, que votre père est bien bon pour nous? Il double la fortune de votre mère pour vous faire une dot magnifique et nous comble de cadeaux. J’ai songé que nous pourrions peut-être reconnaître une partie de ses bontés en lui faisant un petit plaisir.

— Et lequel, mon cousin?

— Dame! ma cousine... ce grand piano qu’il est habitué à voir dans sa salle... ce sera un grand crève-cœur pour lui si nous l’emportons chez nous. En le conservant ici, il gardera quelque chose de vous, et croira toujours vous voir; si... si... nous le laissions à sa place.

— Arsène, vous n’êtes pas musicien?...

— Oh! Zénaïde! pas du tout. Je ne sais comment vous dire cela, mais la musique, même la vôtre, me fait un drôle d’effet. On dirait que j’ai intérieurement envie d’aboyer.

— Arsène, vous n’aimez pas la musique?

— Dame!

— Vous la détestez, vilain?

— Mais...

— Et moi donc!

Et, pour la première fois depuis leurs fiançailles, Zénaïde embrassa Arsène la première. Ce fut un bond, un éclair; elle lui sauta au cou et lui appliqua sur chaque joue un baiser sonore, franc comme une poignée de main.

Le ciel bleu n’avait plus de nuage.

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