Читать книгу Dans les herbages - Gustave Le Vavasseur - Страница 7

V

Оглавление

Table des matières

C’est une bonne maison d’éducation, ni trop relevée, ni trop commune, marchant entre la routine et le progrès, retenant d’un côté, laissant aller de l’autre. L’instruction morale et religieuse est celle de nos pères; mais dans la culture de l’esprit et dans ses manifestations extérieures, on prend avec le vent du jour des accommodements et l’on tourne à demi son aile; sont-ce bien des concessions, et l’inclination naturelle ne fait-elle pas plus de la moitié du chemin? Les mœurs qui changent modifient nécessairement la forme et la discipline. Pourquoi la mode est-elle irrésistible? Parce que nous portons tous en nous le germe du goût qui l’impose. Les puritains ont beau grogner, ils sont complices encore plus que juges et cherchent à se mettre à l’unisson par quelque côté. Dans les limites de la décence et de l’harmonie, toutes les façons de s’habiller sont bonnes, toutes les méthodes d’enseignement sont acceptables. La morale et la religion sont immuables; mais on peut les pratiquer de plusieurs manières et les prêcher de cent façops différentes.

Zénaïde fut d’abord trop stupéfaite pour se révolter. La règle commune, l’uniforme, l’obéissance générale, le silence et la parole rationnés et mis en coupe réglée lui révélaient tout à coup un monde nouveau et imprévu. Cette impression magistrale lui fut d’abord salutaire. Elle se soumit passivement et s’engourdit dans une sorte de stupeur; la sauvage, repliée sur elle-même, ne bougeait pas, ne prenait part ni aux jeux, ni aux bavardages de ses compagnes. Que faire de sa liberté en cage, avec un bâillon, les pieds liés et les ailes coupées?

Toutefois l’abattement de la captive ne fut pas de longue durée. Le jeune arbre était franc; il avait plié sans rompre, mais avec quelle vigueur il se redressa quand il brisa ses attaches! C’étaient de subites fermentations de séve qui effrayaient les maîtresses, accoutumées à régenter de petites vertus campagnardes, déjà domestiquées par la prévoyance maternelle. Deux ou trois fois, la bête rugit avec tant de soudaine furie que les bonnes Ursulines, désespérant de la museler, écrivirent à Lysis de reprendre sa fille. Le marchand de bœufs était en voyage; le fin Normand ne répondit pas aux lettres qui lui parvinrent, longtemps après l’explosion. La patience eut le temps de faire fléchir la rigueur; Zénaïde resta à la pension. Les vacances ne gâtèrent pas l’ébauche de son noviciat, et, un peu plus d’un an après son entrée au couvent, elle put faire sa première communion. Elle avait douze ans et demi, mais le retard lui avait été profitable. Son caractère était complètement changé ; son humeur était douce et d’une égalité parfaite. Maladroite à tous les travaux qui font l’orgueil des pensionnaires et de leurs parents, elle n’avait ni curiosité, ni ambition, ni vanité. Sa facilité était médiocre, sa bonne volonté soutenue, son émulation nulle. Sa piété tranquille et régulière manquait d’élan, mais était exempte de soubresauts et de scrupules. Elle fit sa première communion avec une foi naïve, mais sans mystiques délices. Le bon curé pleurait comme un enfant. Lysis, rouge à jeun, roulait de gros yeux effarés pour contenir ses larmes. Zénaïde souriait à peine. Son cœur battait à l’ordinaire, et aucun souffle ne ternissait le miroir de sa conscience. Comme saint Louis de Gonzague, elle continuait sous le regard de Dieu et en sa présence intime son habitude de vivre, tant elle était calme dans sa pensée et droite dans son action. Pour donner une idée de cette tranquillité sans nuage, il suffit de dire que pendant les cinq ans qu’elle passa au couvent, elle n’eut pas même une bouffée de vocation religieuse. Elle se savait destinée à la vie facile et vulgaire du ménage, elle en acceptait les humbles fonctions, et son avenir continuait son présent. Elle se voyait, au manoir de la Forge, mère heureuse et souveraine maîtresse de maison; elle prévoyait le mariage dans tous ses rêves, et jamais son mari; son idéal était sans formule.

Sa maladresse lui épargna la puérilité et le mauvais goût des ouvrages de pensionnaire; elle ne fit ni tapis en mousse artificielle, ni dessous de lampes pailletés, ni bobèches à fanfreluches. A peine vint-elle à bout de remplir à gros points, autour d’un dessin tout fait, le fond d’un prie-Dieu destiné à son curé ; en revanche, elle tricotait à merveille, et Lysis ne s’enrhumait guère, coiffé, cravaté, ganté et chaussé de sa main.

Celui-ci n’était qu’à moitié content de l’inhabileté de main de sa fille. Il avait rêvé sa grande salle ornée de dessins et d’ouvrages encadrés, sa cheminée garnie de pelotes et d’écrans. Quelle joie intime de pouvoir dire aux parents ébahis en découpant le troisième rôti: Admirez-moi ces fines choses: c’est la petite qui a fait cela!

Le ciel devait une compensation aux déceptions du pauvre père.

Il la lui préparait à son insu, et lui réservait une grande joie, assaisonnée d’une douce surprise.

Dans les herbages

Подняться наверх