Читать книгу La Saison d'hiver à Paris - Henri Duclos - Страница 11

Qu’il existe une distribution de l’année admirablement faite: calendrier spirituel.

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Monsieur, il était naturel que le catholicisme mît à contribution le temps et l’espace, afin que tout serve ici-bas à l’âme humaine pour la soutenir dans sa progressive ascension vers Dieu. Dans la précédente lettre, nous avons vu la religion disant à l’espace et à la matière: Soyez les serviteurs de l’homme, de cet aîné des fils de Dieu: cet appel nous a donné le temple catholique, la maison de la prière. Après avoir convoqué l’espace et la matière, le catholicisme s’adressera au temps, pour suspendre à chacun de ses mois, à chacune de ses semaines, la série harmonique et périodique de ses solennités. Vous m’accuseriez, monsieur, de laisser une regrettable lacune, si je n’esquissais pas, au moins à grands traits, le tableau de l’année liturgique dans l’Église, ainsi que cette admirable manière dont le culte a espacé, dans un but de miséricorde et d’amour, les dimanches et les fêtes sur la longue et âpre rouie de notre vie. J’ai promis de vous initier à ce qui constitue l’hiver chrétien, et je veux tenir parole. Trois stations principales me semblent pouvoir être distinguées dans l’ensemble de l’année liturgique ou ecclésiastique et embrasser son cycle complet: 1° la station de début; 2° la station des accomplissements; 3° la station finale; ce qui correspond aux trois époques de l’avent, du carême et de la Toussaint.

N’est-ce pas, monsieur, on ignore trop les intimes rapports qui existent entre la succession des mystères chrétiens dans l’année liturgique et le développement de nos âmes: il serait difficile de trouver une pompe plus pieuse que dans cette riche église qui est votre paroisse tant aimée; mais il est hors de doute que, dans le plus modeste des temples, si l’on veut bien s’identifier au culte du catholicisme, se pénétrer de son esprit, adopter la distribution annuelle du temps, comme il le distribue, il est hors de doute, dis-je, que, sans avoir le tort d’attacher plus d’importance aux pratiques religieuses qu’aux devoirs de la morale, on trouverait dans ce culte béni un puissant aliment pour l’activité de l’âme; on y puiserait, avec les meilleures leçons morales, avec l’arome des meilleurs sentiments, l’élévation du cœur; et la vie, au lieu d’être vide et monotone comme le désert, prendrait de l’animation et serait remplie.

La station de début, qui est l’époque de Noël, est convenablement préparée et amenée par le temps de l’avent qui y conduit, comme des avenues conduisent à des palais. L’avent ouvre en décembre l’année des âmes. On est dans la saison d’hiver, et l’espérance de l’âme chrétienne va germer sous le linceul des neiges; on se ressent déjà, dans ses sentiments, du voisinage et de l’anniversaire de Bethléem. L’attente, les soupirs, les gémissements de la race humaine résument les longs siècles qui précédèrent la venue du Sauveur. On était malade, bien malade avant Jésus-Christ: misères dans la société et dans la conscience de chacun! L’avent annonce à l’homme la délivrance des langueurs de son âme. Un bras puissant va se lever; c’est Dieu qui va venir: voilà Isaïe, l’historien de l’avenir; voilà saint Jean-Baptiste, l’austère habitant des solitudes et le préparateur immédiat du Messie. Les offices de l’avent voient intervenir fréquemment ces deux saints personnages; tout annonce le secours, comme tout exprime le besoin de nos âmes. Je ne puis jamais, monsieur, entendre sous les voûtes de notre église ce beau chant du Borate cœli desuper, sans ressentir dans ce poétique cantique toute la mélancolie de l’humanité exilée en ce monde, souffrante et déchue.

Noël (25 décembre) est le point central, culminant de la station liturgique du début; la majesté des souvenirs, la pompe de la solennité, l’abondance des émotions pieuses sont en rapport avec l’importance des faits et des dogmes dont un pareil jour célèbre la commémoration. Le temple, malgré les neiges et les frimas, s’illumine de lumières et de fleurs; on voit un berceau, un enfant qui vient prêcher dans une étable et commencer une suite de leçons de dévouement et de sacrifices qui aboutiront au supplice volontairement accepté ; comment rendre l’ineffable et sainte puissance des divins mystères au jour de Noël? Ces offices solennels, ces chants d’une particulière harmonie,. cette allégresse de l’Église qui ressemble au sourire d’une jeune mère devant son premier né, la particularité de la saison des neiges pendant que le Dieu fait homme vient réchauffer nos âmes glacées par le péché, ce significatif anniversaire du jour où la sainte Mère de Dieu mit au monde l’enfant désiré des nations, pendant un voyage, accident mystérieux qui rappelle à l’humanité son état de pèlerin ici-bas, enfin, ce pieux et universel empressement qui réunit en ce grand jour les foules au pied des autels, comme par une sorte d’instinct chrétien, afin de venir y ressentir comme un doux souffle de la voix du Verbe incarné, tout ce divin mélange d’images et de sentiments, d’actualités et de souvenirs, ce charme saint de la Messe de minuit et ce chant des vieux noëls dans les villes et les campagnes, toutes ces choses subjuguent la piété, l’imagination et le cœur. On se penche, en esprit, sur le divin berceau; on jette le fardeau de ses repentirs dans le sein de l’Enfant Dieu, décidé que l’on est à vivre mieux, à mieux profiler de l’incarnation du Verbe. On se lève à cet appel de l’Église; «Adeste, fideles.»

Après Noël viennent trois fêtes, qui complètent la station du début. C’est d’abord la Circoncision qui coïncide avec le Premier jour de l’an. L’année qui s’éteint pour faire place à un an nouveau, trouve trois catégories de personnes: les mélancoliques, regrettant avec le temps qui s’enfuit le trésor évanoui de leurs belles années et se plaignant que le crépuscule de leur vie devienne décoloré et fastidieux; les forts, qui sont dans la fleur de leur santé et qui en recommençant l’année n’ont pas d’autre ambition que de recommencer leurs folies, personnes tellement à la recherche des émotions qu’elles préfèrent les agitations à l’uniformité d’une vie tranquille; enfin, les affairés, enchaînés au char éternel des industries et des spéculations, n’ayant pas même le temps de remarquer les années qui fuient et de saluer l’an nouveau. — Mais le chrétien est sommé par le catholicisme de penser au temps, au nom de l’éternité : mon Dieu, je me rends au conseil si sage des saintes Écritures; redimentes tempus! le temps passe; nous passons, hélas! rapides passants que nous sommes, en attendant de rejoindre les très-passés. On voudrait racheter les années profanées, mortifier le vieil homme et les sens. On a enfin ouvert les yeux sur cette malice du temps, dont parle Bossuet, qui nous fait chaque année des larcins insensibles. — A la fête de la Circoncision succède (le 6 janvier) celle de l’Épiphanie, qui est la fête de la manifestation du Verbe incarné auprès des hommes. Or, dans le jour qui rappelle la convocation générale des nations à la foi chrétienne, avec les mages qui, sur la foi d’une étoile, portèrent au divin Enfant l’or, l’encens et la myrrhe, le catholicisme invite chaque fidèle à célébrer aussi l’Epiphanie, au point de vue individuel. Il y eut parmi nos jours, notamment un jour, où un astre, une fougueuse comète projeta sa clarté sur nos ténébreuses illusions et nous terrassa de son éclat vainqueur. Qui de nous n’en est là plus ou moins? Un météore parut, une céleste idée nous frappa. Ah! notre divine religion est bien celle des perpétuités de toutes choses en souvenir, en gratitude, en manifestations! Combien c’est beau et doux d’obliger chaque homme, dont ici-bas la vie finit par être un poëme en l’honneur de la Providence, à fêter cette mystérieuse étoile qui change fondamentalement le cours de nos idées et de nos mœurs! — Vient ensuite en février la Purification de la sainte Vierge et la Présentation de Jésus-Christ au temple. Nous sommes à la station liturgique du début: c’est encore le commencement de l’année ecclésiastique, et la religion rappelle déjà le caractère général de la vie de ce monde, qui est l’épreuve et la douleur symbolisées par le glaive prédit par Siméon. Dès les premiers pas, il faut apprendre que la croix sera rencontrée partout, dans les choses et dans les personnes.

On reconnaîtra, dès ce premier aperçu, le génie profond et pratique du catholicisme; il a su échelonner le culte selon l’échelle de notre temps mortel. Que seraient ces jours rapides qui s’ajoutent vainement au chiffre de nos jours et qui s’appellent la vie, s’ils n’étaient marqués de distance en distance par des dates religieuses qui, tout en s’étendant à l’universalité des hommes, ne s’en résument pas moins en rites symboliques d’un attrait personnel? Chaque année, avec le cours du temps, nous décrivons une révolution complète de saints mystères qui s’enchaînent dans une progression sublime; le culte suit la périodicité de nos jours, de nos semaines, de nos années, pour diviniser notre temps, pour bénir notre existence et sanctifier tous les battements de notre poitrine .

Je continue, monsieur, l’année religieuse dans son évolution liturgique, en abordant la deuxième station que j’ai appelée celle des accomplissements. Elle s’ouvre par le temps du carême. Nous sommes en mars: il est à peine besoin de rappeler la physionomie et l’objet du carême, tant on est familiarisé, tous les ans, à en remarquer l’esprit tranché. Quand ce temps est venu, tous savent qu’enfin il faut faire l’ordre dans ses pensées; le lendemain des festins et des fêtes, quand tout cela a passé comme un rêve et qu’il n’y a plus que des fleurs flétries, l’Église vous jette de la cendre sur le front. Mon Dieu! enseignez-nous à faire dans les choses humaines une bonne classification théorique et pratique, enseignez-nous à discerner ce qui est poussière, cendre que le vent dissipe et ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire ce qui reste, ce qui est immortel. — Par l’ordre dans les pensées, on doit arriver à l’ordre de la conduite; il vient des époques mystérieuses où tout en vous et autour de vous vous excite à devenir meilleur. Je n’ai qu’à me rappeler l’aspect général du carême; les églises plus fréquentées, le chant des Psaumes, les prédications multipliées la frugalité introduite dans les repas, la nécessité particulièrement proclamée de purifier nos consciences. Convenons, monsieur, qu’il y a comme une sorte d’entrain sacré dans ce chant de pénitence et de repentir: «Attende; Domine, et miserere, quia peccavimus; Seigneur, abaissez vos regards sur nous, ayez pitié de nous, car nous avons péché,» qui retentit en temps de carême sous les voûtes du temple. Oh! combien alors, sous l’impression de la grâce divine, on est, pour ainsi dire, à l’aise pour relire les années écoulées de sa vie; on repassera dans son cœur tout ce qui n’est plus, jeunesse, aube de la pensée, espérances déçues, repentirs, déchirements, égarements d’adolescence, fautes, écroulements, passions d’un autre âge, vains projets, fatigues stériles, résolutions reprises et abandonnées; alors aussi, caché dans un recoin du saint lieu, la tête dans les deux mains, les yeux en larmes, alors, du fond du cœur, pauvre, brisé, meurtri, sans qu’on ait fait un seul pas dans la vraie carrière de la destinée, sortira un cri, une résolution, un besoin de vivre, après avoir si peu vécu. Vient la Semaine sainte, époque centrale de la station des accomplissements. Le Vendredi saint convoque tous les ans les chrétiens à une cérémonie de funérailles; cette fois nous n’assistons plus au convoi et à l’enterrement d’un mortel: il s’agit des obsèques de l’Homme-Dieu. Ce jour-là, il y a, sur toutes choses, je ne sais quoi de surnaturel, et tout être vivant se sent saisi d’une mystérieuse émotion. Tout s’efface, en effet, devant la croix qu’on voit se dresser, nue, sanglante, au-dessus des autels. Hélas! comment n’irai-je pas m’agenouiller, l’œil en pleurs, devant cette grande mort? Je n’ai pas à raconter l’histoire de cette croix, de ce supplice, de cette agonie, de ce trépas: il me suffit d’entrer dans le saint lieu. Ce qui se fait et se dit parle assez éloquemment: vous vous sentez enveloppé de toutes les tristesses du ciel. J’entends des voix qui s’interpellent: — Popule meus, quid fecisti?.... Agios, athanatos!!! — Touchant dialogue entre la victime du Calvaire et l’âme qui se repent! Non: l’œil humain n’aura jamais de larmes, si le Vendredi saint on ne. pleure pas sur les péchés de sa propre vie; si on ne compatit pas à la triste et affligée Mère de Dieu, à la Mater dolorosa, dans ce chant si populaire du Stabat, «incomparable poëme de larmes et de mélancolie. » Pâques forme, avec le Vendredi saint, le point culminant de la station des accomplissements. Les deux aspects de toutes choses sont résumés, douleur et joie, mort et résurrection. L’Église, en ce beau jour, n’a qu’une émotion, un chant; «Voici le jour que le Seigneur a fait: Jésus est ressuscité ; réjouissons-nous; alleluia!» — C’est la fête générale des âmes militantes: chrysalide immortelle, on a dépouillé l’enveloppe du péché pour se transformer en un homme nouveau; on a été se régénérer dans les eaux de. ce sacrement qui renouvelle la jeunesse de l’âme. Pâques est ainsi la fête des renaissances, des grâces reçues, des lumières nouvelles, de la force et de l’énergie retrouvées. Les saintes joies de Pâques sont pour les âmes converties, pour les existences jusque-là plus ou moins indifférentes et malheureuses: elles viennent, avec les saintes femmes, au sépulcre de Jésus-Christ; elles apportent enfin des aromates au Sauveur, savoir: le parfum de leurs bons désirs, les promesses d’une vie nouvelle. Les joies de cette glorieuse solennité sont aussi et surtout pour les chrétiens qui persévèrent dans le bien et consomment leur sacrifice; âmes d’élite qui ont compris depuis longtemps qu’il n’y a de véritable grandeur que dans la conscience de notre misère, de force que par l’humilité, de paix que dans la crainte de Dieu, de vertu que par la croix, de vérité que par la foi aux mystères, de vie que par la mort.

Dirai-je maintenant comment l’Église catholique a su compléter cette partie du cycle liturgique? Dirai-je la Procession des rogations, cérémonie qui correspond si bien aux instincts de la foi, en même temps qu’elle est remplie d’un charme pieux: l’Ascension, retour de Jésus-Christ au ciel, el qui provoque les soupirs de l’âme que la terre fatigue; la grande fête de la Pentecôte, où l’on célèbre l’anniversaire de la révolution opérée par l’Esprit saint dans les apôtres, et où l’on conjure l’Esprit divin de passer comme un souffle sur nos âmes flétries, afin d’en arroser l’aridité ? Je voudrais, monsieur, qu’une voix puissante racontât avec détail la série des dimanches et des fêtes chrétiennes dans toute la suite de l’année; je suis sûr qu’un vrai talent vivifié par la foi tirerait de ce sujet une mine de discours à la fois splendides, édifiants et instructifs. Je voudrais entendre une virile éloquence raconter le Mois de mai avec les nouveaux reflets qu’il a dans la chrétienté, ces harmonies de la nature renaissante et souriante avec le Mois de Marie, avec la piété, avec les saintes exhortations, avec le récit des vertus et de la vie de Marie, fleurs répandues devant ses autels; on trouverait, à cet égard, de suaves et pathétiques accents. Au mois d’août, l’Assomption viendrait également animer les transports d’une sainte éloquence. Cette fête de l’Assomption est si bien placée, là, au milieu des ardeurs de l’été ; on dirait une oasis, une source cachée où l’âme fidèle s’abreuve, dans la pensée de la Mère de Dieu, de fraîcheur, d’ombre, de piété, de repos. Cependant, de spéciales solennités ont marqué le mois (juin) qui inaugure la saison d’été ; la Fête-Dieu vient dans le mois des roses; qui n’aime la solennité si brillante, si pieuse et si douce du saint sacrement? N’est-ce pas en cette époque que le chrétien acquiert une preuve nouvelle, un témoignage nouveau, c’est-à-dire le sentiment perçu de Dieu présent au milieu des hommes? Quelle grande poésie que celle du christianisme, qui nous montre le Créateur venant traverser mystérieusement et bénignement les rues de nos villes et de nos bourgades! Quelles leçons morales! Quelles excitations au bien! On adore Jésus-Christ présent dans l’hostie sainte; et il est touchant de voir les mères présenter leurs petits enfants qui mettent leurs petites têtes sous l’ostensoir sacré. Ainsi l’Église, dans sa sagesse, a attaché une pensée, un dogme, un souvenir à l’aile de chaque semaine, de chaque mois. Ainsi le culte réveille périodiquement chacune des fibres qui composent le sentiment religieux dans sa vaste et chrétienne universalité. Décembre, janvier, février, mars, etc., etc., ne se succèdent pas indifféremment, la religion divinise le temps; sous sa main il devient un rhythme sublime et salutaire qui, aux mêmes périodes de la durée, ramène annuellement sous les regards des frêles mortels des souvenirs de divine puissance ou de divine bonté, et leur rappelle en même temps leurs humbles droits et leurs constants devoirs; cercle miséricordieux et vivant où l’humanité est appelée chaque année à relire, page par page, ligne à ligne, mois à mois, au moyen des symboles et des rites religieux, l’exposé des croyances et des devoirs qui l’élèvent au-dessus de la matière et du monde visible.

J’achève, monsieur, mon imparfaite esquisse par la Station finale, qui comprend la Toussaint, la Fète des morts et la Dédicace des églises. Cela se passe en novembre, dernier mois de l’année ecclésiastique, puisque l’avent, qui recommence l’année, vient en décembre. Or, j’admire, chaque fois qu’arrive la fête de la Toussaint, combien le catholicisme a bien distribué ses mystères avec les époques; l’avent ouvrait une année que la Toussaint va clore; mais l’avent signifie labeur, attente, difficile carrière à fournir: et c’est pourquoi, quand on est dans les derniers brouillards d’automne, quand les feuilles tombent des arbres, la Toussaint vient parler de récompense après le travail, l’âme revient à des pensées éternelles, et, en compensation, l’assemblée des Bienheureux s’offre à nous. Oh! si l’on entrait bien dans l’économie des choses de la foi, combien la logique, la constance, les hautes vertus, le courage moral, soutiendraient les individus, les familles et les nations! Le jour de la Toussaint, la terre glorifie ces anciens compagnons d’exil qui sont devenus les habitants du ciel; cela est juste et salutaire à notre point de vue. Dans cette première vie, nous ne voyons que le travail, la fatigue; la Toussaint est la pieuse et annuelle exposition des résultats obtenus par une vie de foi, d’honnêteté, de dévouement au devoir; ainsi le monde futur excite sur la terre l’émulation de la vertu et de l’espérance. Ceux que les tristesses de ce monde fatiguent, ceux que blessent les liens d’une société factice, oublient un instant leurs peines par la contemplation anticipée du ciel. Hélas! monsieur, cette vie n’est-elle pas pour tous «l’art diversifié de fuir l’ennui, et le talent malheureux de le rencontrer toujours?» Qu’on le demande à Massillon.

Le lendemain de la Toussaint, le deux novembre, a lieu la Commémoration générale des trépassés. eux qui ont l’expérience, qui ont vécu, aimé, pleuré, perdu, béniront la religion d’avoir institué l’hospitalité d’un pieux souvenir pour les âmes de ceux qui sont morts. Surtout quand on s’enfonce dans le point de vue théologique du purgatoire si délicatement traité par l’illustre Fénelon, on comprend alors la solennité du 2 novembre. Hélas! notre grande plaie dans le monde moral, c’est la possibilité de l’oubli que le temps, à la longue, étend sur toutes choses; l’absence est l’écueil du souvenir, et ne faut-il pas compter la mort dans les absences? On versa bien, au jour des funérailles, des pleurs, des prières et des aumônes; on promit au défunt l’immortalité d’une pensée amie; ce n’est trop souvent que la vaine promesse d’une immortalité d’un jour! Le christianisme demande autre chose. Il ne s’agit donc pas en ce jour d’aller dans ces champs couverts de gazon et d’ifs funéraires uniquement pour y recueillir, auprès des tombes de nos frères trépassés, quelques idées mélancoliques et repasser stérilement les affectueuses relations d’autrefois. Il faut plus que cela: il faut relever ces figures touchées par la mort, il faut les relever dans les clartés véridiques de la foi; il faut leur prouver qu’il est resté d’elles sur la terre plus qu’un nom; quelles y excitent encore de positives et significatives émotions; il faut leur être utile, saintement utile; au lieu de garder d’elles je ne sais quel vague souvenir, je ne sais quel pâle reflet dans la mémoire. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’Église, cette mère, Comme dit saint Augustin, de ceux qui n’ont plus de mère, l’amie de ceux qui n’ont plus d’amis, offre des prières universelles pour les morts; elle remet sous nos yeux la longue liste de ceux qui n’ont plus sur la terre qu’un nom, et souvent pas même un nom.

Je termine, monsieur, en indiquant la solennité religieuse qui clôt l’année et le calendrier liturgique. C’est la Dédicace ou anniversaire de la Dédicace. On honore ce jour-là, on remercie ce temple matériel, où l’on vient si souvent prier, gémir, se repentir, se régénérer et espérer. Et quelles secrètes et puissantes affinités n’a point avec notre cœur l’église paroissiale, celle où nous retrouvons ces solennités saintes, ces souvenirs d’enfance, ces fêtes, ces chants pieux, cet enthousiasme du jeune âge, et le premier pas vers le confessionnal, et la première communion, et puis toutes ces impressions, toutes ces époques mêlées de religion et de sentiment, dont le souvenir ineffaçable remplit l’âme de je ne sais quelle délectable harmonie? On tient à l’église paroissiale, à ses autels, à ses chapelles, à ses dalles, à son clocher, comme on tient à son pays, à sa maison; l’église paroissiale est le lieu natal des âmes; on y a été baptisé, confirmé, confessé, marié, etc. Ainsi, monsieur, l’année commence par un soupir d’attente ou l’avent; elle finit par un remerciement ou la Dédicace. Donc, quand la vie de la terre s’éclipse et semble abandonner l’homme, l’homme pourra toujours retrouver une vitalité puissante, en s’identifiant pieusement au cours des semaines religieuses; qu’il aille, au moyen du culte catholique, le plus sublime ordonnateur du temps, allumer son âme à l’âme toujours éblouissante, toujours animée, toujours palpitante de l’Église.

La Saison d'hiver à Paris

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