Читать книгу La Saison d'hiver à Paris - Henri Duclos - Страница 4
DÉDICACE A M. DEGUERRY, Curé de la Madeleine.
ОглавлениеMonsieur,
Ce petit livre a l’amitié pour origine et pour berceau. Un homme du monde, considérable par son esprit et par ses anciens emplois, m’ayant, au nom de cette amitié, consulté sur la manière d’employer son temps pendant l’hiver à Paris, je lui fis la seule réponse que sa propre expérience ne lui eût pas encore donnée. Fatigué d’explorer inutilement les rives des choses et des sciences humaines, cet homme du monde sentait enfin le secret besoin d’une vie plus réelle; je contribuai moi-même à l’éclairer sur ce besoin et je lui répondis, comme vous le répétez sans cesse, monsieur: La vie c’est l’adhésion au Christ, Mihi vivere Christus est (saint Paul).
J’avais donc à dérouler devant mon ami un exposé de la vie chrétienne et de ses principaux devoirs, et pour cela je n’ai eu qu’à lui tracer le tableau des scènes édifiantes offertes par le clergé si distingué et par le troupeau si religieux qui composent votre paroisse, qu’à regarder moi-même ce qui se passe autour de moi pendant la portion de l’hiver religieux qui correspond au carême. En considérant attentivement ce qui se pratique et ce qui se fait, ce qui se dit et ce qui s’enseigne dans cette splendide et pieuse église de la Madeleine, en mettant en ordre mes propres impressions, il s’est trouvé que mon travail était presque terminé. C’est parce que mes lettres n’ont été qu’une traduction des saintes choses qui se font à la Madeleine dont je me suis tour à tour édifié et inspiré, c’est parce qu’une paroisse se résume dans son curé, c’est par cette raison, monsieur, sans exclure les autres, que vous appartient l’hommage de cet humble volume de lettres qui, d’abord particulières, vont désormais s’adresser à tous par la publicité. Bien qu’elles aient pour objet une époque de l’année et qu’elles fussent primitivement à l’adresse d’une seule personne, j’aime à croire que la lecture peut en être d’une utilité réelle pour tous les temps et pour tout le monde, puisque aucune saison n’exclut les médiations graves et que nul n’est dispensé des pensées éternelles. En vous dédiant ce recueil de confidences épistolaires, j’ai un autre but, monsieur, j’ai la persuasion intime que vous leur porterez bonheur et qu’elles arriveront mieux où mon désir est qu’elles arrivent. L’espoir d’une bénédiction, laissez-moi le dire, m’a donc aussi guidé. Comme autretrefois le jeune Tobie, entreprenant un voyage dans le pays des Mèdes, eut la bonne fortune d’avoir pour conducteur de sa route un guide aimable, l’ange Raphaël, je ne crois pas être trop exigeant en vous priant d’être aussi l’ange de ces lettres. Elles sont nées de votre souffle, car en répondant à mon ami, je m’inspirais des vivants enseignements que je recueille-tous les jours auprès de vous et de ces collaborateurs distingués qui vous entourent, zélés, unis et pleins de foi, comme de vaillants officiers sont groupés autour de leur brave colonel.
J’ai pour but dans ce volume, comme dans mes autres livres, d’obtenir le déploiement de tout ce que Dieu a mis de bon dans l’âme humaine, ce qu’une certaine énergie naturelle en fait sortir par intervalles dans la philosophie, mais ce qu’il n’appartient qu’à la religion d’en faire découler incessamment. Je m’attache à laisser un caractère distinctif à ma manière; désirer d’atteindre â quelque chose d’affectueux et de poétique dans la façon de rendre la solution des problèmes les plus graves qui puissent intéresser le cœur et l’esprit humain: voilà mon ambition, on me la pardonnera. Mais je dois vous épargner, monsieur, sous le rapport de l’exécution de ces lettres, une déception plus que probable. Le talent lui a fait défaut sans doute, mais le temps aussi m’a manqué. Il faudrait compter plutôt par minutes que par heures les instants que j’ai pu consacrer à la composition de ce petit ouvrage; destinée, qu’il partage avec mes autres productions religieuses et littéraires! Quand je commençais mon premier livre: De la Destinée humaine, je marchais au pas de charge; c’était au milieu du fracas de nos tristes luttes civiles en 1848. J’écrivais pendant la guerre sur une religion d’amour et de paix; ne pouvant porter le fusil, j’essayais de tracer quelques pages dans lesquelles, après les orages de la terre, le lecteur pût, avec des visions sereines d’un monde moins agité, oublier les tristesses du temps présent. Aujourd’hui, pour mener à fin ce volume de lettres, j’ai dû mesurer mon pas à la célérité que la vapeur imprime à toutes choses. Resserré entre deux limites étroites, l’une le moment où j’ai conçu pour la première fois l’idée de faire de ces lettres un livre, l’autre le temps fixé naturellement et nécessairement à son apparition, j’ai dû mettre rapidement à profit les rares loisirs que me laissait un ministère absorbant, et cette excuse, qui n’en serait pas une pour le public peut-être, aura, j’en ai la confiance, monsieur, sa valeur auprès de vous.
Du reste, je n’ai point eu à me plaindre jusqu’ici de la critique du journalisme; si elle daigne s’occuper de cette publication comme elle s’est occupée des autres, j’espère la retrouver large, intelligente, s’attachant surtout à l’architecture générale d’un livre, au lieu de n’en, examiner que les détails. Il est de la dignité de la critique de voir avant tout si un auteur est fidèle à son programme et à sa préface; s’il y a équation entre le but qu’il se propose et le résultat qu’il obtient. Cette méthode est surtout la seule vraie quand il s’agit d’ouvrages religieux où l’objet étant uniquement pratique, tout doit être jugé au criterium de l’utilité morale. Ne serait-il pas misérable de voir, en un si grave sujet, un écrivain qui s’arroge la haute fonction de la critique s’occuper uniquement de l’écorce la plus superficielle d’un livre, examiner scrupuleusement s’il est correct au point de vue grammatical, conforme à certaines traditions d’école, fidèle à de maigres stratagèmes littéraires, porter enfin un solennel jugement dans lequel il n’oublierait qu’une chose: si l’ouvrage peut servir la cause de Dieu et faire aimer la religion?
Pour nous, qui n’écrivons pas principalement et précisément dans l’intérêt de la renommée, cette passion du poëte et même du sage s’il faut en croire Tacite, nous avons un mobile plus haut et plus dominateur que les succès littéraires. Nous avons à faire le bien dans le sens où les hommes apostoliques l’ont toujours compris. Avant donc de chercher un succès académique et sans m’inquiéter de l’impossibilité où je serais peut-être de l’atteindre, je devais m’occuper dans ces pages de créer une salubre atmosphère aux âmes qui me liront.
Ces lettres ne sont pas placées au hasard; je les ai orangées en huit groupes, selon un ordre qui m’a paru naturel. Je ne pouvais mieux faire que de suivre dans le développement réel et historique de l’âme humaine, l’image fournie par le Maître des hommes, dans la similitude qu’il établit entre l’âme et la bonne terre. J’ai donc suivi la série des travaux de la grande agriculture, c’est-à dire de celle du froment, nourriture de la race humaine, pour y trouver l’ordre de mes lettres. Assimilant l’âme à la terre qui doit porter le pain de vie, et par là la glorification du Créateur, il a fallu traverser les phases progressives de l’agriculture spirituelle, préparation de la terre, ensemencement, végétation, maturation, moisson. Ces différentes phases m’ont fait distinguer pour ces lettres plusieurs périodes d’agriculture morale.
Tel est, monsieur, le petit ouvrage dont je vous prie d’accepter la dédicace, ayant la certitude que, sous votre haut patronage et passant à travers la lumière de votre nom, il recevra du public un favorable accueil. Au motif qui a inspiré cette dédicace à l’écrivain, vient se joindre un sentiment plus personnel: c’est aujourd’hui, 14 décembre, une date-douloureuse de triste anniversaire, où je ne puis oublier ce qu’à pareil jour, en 1357, vous avez été, monsieur, comme sympathie spontanée et cordiale pour un collaborateur en deuil. Veuillez donc voir aussi dans l’hommage de ces humbles lettres, en dehors de la considération principale du bien à faire, un faible tribut de reconnaissance pour une de vos bonnes actions à mon égard au moment des douleurs suprêmes. Je sais que vous accueillerez l’expression imparfaite de mes bonnes intentions avec votre bienveillance accoutumée.
D’ailleurs, monsieur, mes dettes de reconnaissance remontent plus haut. Je dois me souvenir qu’en 1833 et 1835 j’étais dans les rangs de cette ardente jeunesse d’une des grandes villes du Midi, que vous avez évangélisée plusieurs fois par votre parole. Me sera-t-il permis de vous dire que le bien, que je voudrais faire dans ce livre à mon honorable correspondant, vous le fites par vos chaleureuses prédications aux étudiants de ce temps-là ? Un journal de 1835 nous rapporte quels furent les effets bénis de la parole sainte à cette époque, alors que nous sortions des polémiques voltairiennes de la Restauration, de la secousse de 1830 et des singularités du saint-simonisme. J’y lis ce passage: «N’a-t-on pas vu les jeunes gens de nos écoles accourir en foule aux prédications de l’abbé Deguerry dans notre métropole, non plus comme aux missions du P. Guyon, pour fronder la parole divine, mais pour l’exalter et en savourer les douceurs (Journal de Toulouse)? » Aujourd’hui, à vingt-trois ans de distance, je suis heureux, monsieur, de pouvoir vous dédier un modeste livre, pour honorer, autant qu’il est en mon pouvoir, un zèle, des forces et un talent que vous avez mis depuis longtemps au service de Dieu et à la disposition de l’œuvre évangélique. En même temps, je me plais à honorer en votre personne le clergé de la capitale et spécialement le corps vénérable des curés de Paris, dont le zèle, la foi, la science et la charité réjouissent le noble cœur du chef de ce diocèse et excitent le respect du monde.
J’ai dû, dans le cours de ces lettres, renvoyer souvent le lecteur à mon ouvrage: Le Christianisme et la Vie pratique, en quatre volumes, sans cela la nécessité du sujet m’aurait entraîné soit à des repétitions ennuyeuses, soit à des étendues que ne comportait pas le cadre de ce volume. Je ne veux pas entrer ici dans les débats passionnés que mon livre, Christianisme et Vie pratique, a soulevés parmi le clergé des provinces, les uns le critiquant avec véhémence, les autres l’exaltant plus qu’il ne mérite. Permettez, monsieur, que je me repose dans les pacifiques tranquillités d’une dédicace qu’il m’est doux d’avoir rédigée pour celui qui en est l’objet. Quant à ceux qui voudraient de nouvelles explications sur ce que j’appelle mes principes d’une apologie poétique de la religion, ils les trouveront dans la quatrième et la cinquième lettre de la Saison d’hiver à Paris.
Paris, ce 14 décembre 1858.