Читать книгу La Saison d'hiver à Paris - Henri Duclos - Страница 9
Ce que c’est que le lieu des choses religieuses: l’Église.
ОглавлениеOn pourrait se demander s’il faut que l’homme privé cherche à grand’peine un endroit propice pour traiter ses affaires intimes avec Dieu. Un endroit existe, abordable pour tous; nous n’avons pas à gagner péniblement le sommet des montagnes. Nos églises sont un des meilleurs terrains pour prier, rêver du ciel, implorer le céleste secours, gémir sur les misères de sa pauvre âme et trouver la régénération. Ceux qui ont parlé du temple de la nature, exclusivement à nos édifices matériels réservés au culte, n’y avaient pas bien pensé. Non-seulement nous avons besoin de nous abriter contre les pluies, de nous échapper de nos maisons et de fuir les bruits de la rue, pour répandre à l’aise notre âme aux pieds du Seigneur; mais nous sommes appelés aussi à venir adorer Dieu, dans la société de nos semblables, avec les mêmes croyances et le même culte.
Combien de gens, et vous en connaissez, monsieur, qui ont déclamé contre les temples, en se plaçant au point de vue déiste; je vous ai entendu détruire leurs arguments avec tout l’éclat d’une raison émue et triomphante.
Je ne me propose, dans cette lettre, avant de nous engager dans le cœur des questions que vous m’avez posées sur la saison d’hiver à Paris, je ne me propose, dis-je, que d’insister sur la parfaite adaptation de nos pieuses églises aux besoins religieux de notre âme. Elles ont, à un haut degré, la propriété de nous parler sainteté, de donner ou de réveiller le sentiment de l’infini, de porter l’homme à de salutaires retours sur lui-même; et n’est-ce point là l’idéal d’un édifice consacré aux réunions religieuses?
Entre autres symptômes éclatants de la haute sainteté qui distingue nos églises, et du respect profond qu’elles commandent, il est bon de rappeler la manière trop peu connue dont on les consacre. En dehors de l’édifice construit pour le culte, se trouve une table pompeusement décorée. Là reposent des reliques de saints dans un vase scellé ; elles seront mises dans l’intérieur de l’autel principal du nouveau temple, car point d’autel sans reliques. L’évêque consécrateur arrive de grand matin, il fait allumer douze cierges, six de chaque côté des murailles ou piliers, devant les douze croix qu’on y a peintes: peintures qui rappellent avec les douze flambeaux ces hommes étonnants qui ont propagé dans le monde l’Évangile et la croix.
On pourrait composer un drame éloquent et beau pour l’imagination, édifiant pour l’âme, en racontant une à une les cérémonies que fait l’évêque, et qui s’enchaînent dans une progression sublime; nous aurions, monsieur, vous et moi, une occasion nouvelle de regretter que le catholicisme soit si peu connu des catholiques. Ainsi la première partie de la cérémonie se passe en dehors du temple, dont les portes sont fermées et dans lequel est resté seulement un diacre. Ce sont des prières, ce sont les sept Psaumes de la pénitence et les Litanies des saints qu’on récite, formules qui expriment énergiquement les sentiments de l’imploration. Du reste, tout parle, tout est significatif dans les cérémonies catholiques. On consacre un temple qui ne date que d’hier, et déjà le spectateur est ramené à d’anciens et graves souvenirs. Je vois l’évêque faisant sortir tout le monde du temple avant la consécration; cela ne rappelle que trop Adam et sa triste postérité chassés du paradis. On prie en dehors du temple, devant les saintes reliques; je commence à parcourir un poëme, c’est l’homme exilé du ciel, qui prie, qui espère encore conséquemment, et je le reverrai entrer au temple, dès que les portes seront ouvertes, symbole de la rentrée du genre humain dans son héritage.
Nous ne pouvons qu’applaudir à cette série compliquée d’aspersions, d’inscriptions, d’onctions, d’illuminations, de bénédictions qu’on emploie pour consacrer une église nouvelle; elles attestent le génie de la sainteté vivant dans la religion. Un moment saisissant est de voir l’évêque asperger trois fois, avec de l’eau bénite, les murs extérieurs de l’église, et, à chaque fois, frapper avec sa crosse à la porte principale, en disant: Ouvrez vos portes, ô princes! et que les portes éternelle se lèvent, afin de laisser entrer le Roi de gloire (psaume XXIII). Attollite portas, principes, vestras, et elevamini, portœ œternales, et introibit Rex gloriœ. — Le diacre, qui est resté seul dans l’église, répond à l’évêque par ces paroles du même psaume: Qui est ce Roi de gloire? L’évêque réplique: C’est le Dieu fort et puissant, le Dieu fort dans les combats. La première et la deuxième fois que l’évêque frappe, en interpellant ainsi, la porte de l’église ne s’ouvre pas; ce n’est qu’à la troisième fois, lorsqu’à la question: Quel est ce Roi? l’évêque et le clergé ont répondu: Le Dieu des-vertus est lui-même ce Roi de gloire.
Je n’ai jamais pu assister à la cérémonie, je l’ai lue seulement dans les auteurs; mais je comprends qu’en cet instant j’aurais éprouvé, comme tout fidèle, une sainte impression. Cet évêque vénérable, vêtu d’une chape blanche, qui frappe, qui insiste au nom de l’humanité errante et exilée; ce dialogue qui s’établit avec les paroles des saintes Écritures, ce Roi de gloire qui veut entrer; cette lenteur à lui ouvrir qui rappelle que le démon n’a pu être dépouillé sans résistance par Jésus-Christ...; puis cette porte qui s’ouvre enfin, au moment où l’évoque fait le signe de la croix avec le bout de sa crosse sur le seuil de l’église, et qui nous montre que le ciel, fermé à l’homme pendant son pèlerinage, ne lui est ouvert que par la mort de Jésus-Christ sur la croix... J’avoue que tout cela parle à l’imaginatiou, aux yeux, à la sensibilité, à la piété. Je pense à la sainte Trinité, en voyant le triple voyage autour de l’église, et les trois percussions de la porte me rappellent la triple puissance de Jésus - Christ, les peines qu’a coûté la conquête de son héritage: la création, la rédemption, la glorification.
Les cérémonies qui suivent s’enchaînent dans une progression admirable de significations et de réalités touchantes. Les portes du temple s’ouvrent enfin devant l’évêque, mais la foule des fidèles n’entre pas encore: particularité, disent les auteurs, qui rappelle que le Seigneur entrant au ciel le jour de l’Ascension, n’y fit entrer qu’un petit nombre de saints, et que les autres y entreront successivement dans la suite des ages: On chante l’hymne Veni Creator, pendant laquelle un des assistants de l’évêque répand de la cendre sur le pavé de l’église, d’un bout à l’autre, en forme de croix, afin que l’évêque puisse y écrire plus tard les lettres de l’alphabet. On fait avec deux longues traînées de cendre une croix de saint André (x). — Après l’hymne, on récite de nouveau les Litanies des saints, pour attirer la bénédiction de Dieu sur la nouvelle église et sur la consécration qui va en être faite. On chante ensuite le cantique Benedictus, pendant lequel l’évêque écrit avec le bout de sa crosse l’alphabet grec sur une des lignes de cendres, et l’alphabet latin sur l’autre ligne. Ce qui signifie que Jésus-Christ a réuni dans le sein de l’Église, par la vertu de la croix, tous les peuples de la terre, divisés auparavant de langue et de religion. C’est pour cela que les deux alphabets sont tracés en forme de croix, et que, pendant cette cérémonie, on chante le cantique Benedictus, qui est une action de grâces de l’incarnation de Jésus-Christ. Ainsi la religion n’a pas attendu les révolutions de 1789 et 1848, pour parler d’unité des peuples, de charité, de fraternité. Il y a 2,000 ans qu’elle fait s’embrasser tous les peuples dans les embrassements réconciliateurs de la croix.
Je ne sais, monsieur, si je me trompe, mais je trouve que le catholicisme a divinement dramatisé la cérémonie de la consécration des églises, et les gens du monde devraient en lire la description, ne serait-ce que par la curiosité de s’initier à un cérémonial grandiose et saint.
Le Benedictus étant achevé, le pontife procède à la consécration de l’autel ou des autels. Il bénit d’abord de l’eau, à laquelle il mêle du sel, de la cendre et du vin; puis il asperge de cette eau, non-seulement l’autel principal, mais chacun des-autels placés dans l’église, aussi bien que le pavé et les murs intérieurs. Il y aurait à s’arrêter, méditer et admirer à chaque pas. Ils se sont singulièrement trompés, ces sophistes modernes qui ont accusé l’Église de maudire la nature matérielle, de maudire la matière, d’être sèche et sans entrailles. Voyez, à propos, d’une cérémonie, se révéler l’esprit contraire; l’Église ne repousse pas les éléments, elle les appelle à ses splendeurs, les emploie, les divinise à sa grande manière! Elle marie les magnificences de l’esprit aux magnificences de la matière, dans un symbolisme profond, instructif, pieusement éloquent! L’eau que l’évêque emploie ici figure l’humanité de Jésus-Christ, et le vin sa divinité ; la cendre est le symbole de la mort, et le sel, de l’incorruptibilité. Ces quatre choses mêlées ensemble sont la figure de Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, mort et ressuscité pour nous purifier et nous faire devenir les temples de Dieu... Ainsi, dans la religion, rien n’est donné, en ce qui concerne le culte, à l’inutilité, aux vaines parades, aux inutiles exhibitions; tout a un but, un sens grave, expressif, un objet d’utilité pieuse. Car celte mixtion d’éléments, au point de vue individuel et pratique, a une autre signification: l’eau représente la pureté ; le sel, la sagesse; la cendre, la mortification et le vin, la force. La religion saisit de la sorte toute occasion; elle nous enseigne que dans nos temples nous devons aller puiser l’esprit de pureté, de sagesse, de mortification et de force.
J’irai jusqu’au bout de la cérémonie, monsieur; nous touchons au point culminant.
Après l’aspersion des autels, l’évêque se rend processionnellement avec le clergé à l’endroit où les reliques sont déposées, pour les transporter solennellement à l’église. C’est maintenant que tout le monde va entrer dans le temple. Des prêtres emportent les saintes reliques sur leurs épaules; le clergé chante des psaumes; on fait le tour extérieur de l’église; les fidèles répètent Kyrie eleison; on marque la porte avec du saint chrême; c’est une marche triomphale qui remplit d’une sainte émotion; beau spectacle, de voir la foule marchant sur les pas des restes précieux d’un martyr, d’un soldat de Jésus-Christ! Ainsi, vers la fin des temps, la société des élus s’élèvera vers le ciel, à la suite de son divin Chef.
Après la procession, l’évêque consacre avec le saint carême la partie de l’autel où doivent être déposées les reliques, et que l’on nomme pour cette raison le sépulcre. Lorsqu’il les y a placées, il ferme l’entrée du sépulcre avec une pierre également consacrée par l’onction du saint chrême; il fixe cette pierre avec un ciment qu’il a fait et béni lui-même précédemment (c’est de l’eau bénite, de la chaux et du sable). Il fait ensuite, avec l’huile des catéchumènes et avec le saint chrême, plusieurs onctions en forme de croix, sur chacune des cinq croix gravées sur la table de l’autel. — Toutes ces onctions sont entremêlées de plusieurs encensements de l’autel, faits d’abord par l’évêque lui-même, et continués ensuite sans interruption par un prêtre, jusqu’à ce que les prières et les cérémonies de la consécration de l’autel soient terminées.
Nous devons remarquer cet instinct caractéristique de l’Église catholique: dans son incessante préoccupation, elle peut toucher à une infinie variété de détails; mais toujours et partout elle ramène les pensées, les cérémonies, les prières, à de graves images, à de majestueux souvenirs, à une grande et adorable personnalité. Notre Seigneur Jésus-Christ revient partout; c’est comme Madeleine demandant: — L’avez-vous pris? Où est-il? Cet il, qu’elle suppose connu de tous, est beau. Ainsi, les prières et cérémonies de la consécration de l’autel disent, répètent et rappellent un seul nom, doux et grand entre tous les noms: Jésus-Christ. Les cinq croix gravées sur chaque autel sont l’image des cinq plaies du Sauveur; les onctions employées dans cette consécration représentent l’onction du Saint-Esprit dont Jésus-Christ est tout pénétré, et qui lui fait donner par excellence le nom de Christ. Enfin, les encensements sont une vive expression des hommages dus à Jésus-Christ et des prières que l’Église du ciel et celle de la terre ne cessent de lui offrir comme un encens d’agréable odeur.
J’achève, monsieur, le récit de cette imposante cérémonie de la consécration. L’évêque s’approche des piliers pour les consacrer à leur tour; il fait une onction avec le saint chrême sur chacune des douze croix peintes sur les murailles ou piliers. Après cette onction, il encense trois fois chacune des croix. Ces croix aux murs, ce sont les drapeaux du vainqueur qui flottent sur le monument conquis. L’évêque revient ensuite à l’autel principal, qu’il encense de nouveau; place cinq grains d’encens surmontés d’une croix faite en petite bougie sur chacune des cinq croix de l’autel qu’il vient de consacrer, et allume ces bougies afin qu’elles brûlent avec l’encens. Dans les prières qui accompagnent ces cérémonies, l’évêque demande à Dieu qu’il regarde favorablement l’encens mystérieux qui brûle sur cet autel, afin que les prières des fidèles, figurées par cet encens s’élevant jusqu’à son trône, leur obtiennent la grâce de participer dignement au sacrifice eucharistique qui sera offert sur cet autel pour leur procurer la vie éternelle.
Ces prières étant achevées, l’évêque bénit les nappes, les linges, les vases et les ornements qui doivent servir à l’autel, et il célèbre lui-même ou fait célébrer en sa présence le saint sacrifice de la messe, à l’honneur duquel se rapportent toutes les prières et les cérémonies que nous venons d’exposer.
Telles sont les cérémonies de la consécration des églises. Elles donnent incontestablement une haute idée de la sainteté de ces édifices consacrés à la prière. Et puisqu’il s’agissait d’un endroit propice pour les évolutions de l’âme devant son Dieu, cet endroit est trouvé. Il faut que ces murs soient appelés à abriter une grande, mystérieuse et adorable personnalité, pour que le catholicisme déploie un si majestueux appareil à leur inauguration.
La cérémonie de la réconciliation des temples profanés par quelques grands scandales, fait le pendant de celle que je viens de décrire; tout y est expressif, tout y parle sainteté. Quand une église a été souillée et qu’elle a perdu sa consécration, on dirait une personne morte: tout cesse, le deuil enveloppe ses murailles, il n’est plus permis d’y célébrer la sainte messe; on ferme les portes; les cloches ne résonnent plus..., c’est le silence de la désolation. Ce temple n’est plus qu’un lieu profane, un sombre désert. — Il faut donc redonner la vie à cette église; il faut une cérémonie d’expiation, il faut l’évêque, il faut la cérémonie de la réconciliation, et c’est beau à voir.
On a dit que l’architecture de nos temples n’avait pu être inspirée que par le génie chrétien; que c’était la pensée chrétienne bâtie, le symbole écrit en granit, un catéchisme rédigé en pierre. Mais tout cela n’est que l’écorce, et quand je pénètre dans les profondeurs morales et spirituelles, je vois que l’Eglise sait être grande et saisissante, soit quand elle consacre, soit quand elle réconcilie les temples profanés. Elle sait arriver à nous par toutes nos facultés, par tous nos sens, par tous nos pores; elle nous dit sous mille formes: Dieu, Jésus-Christ, miséricorde, grandeur suprême, pureté, sainteté, dignité, splendeur éternelle, se reflétant dans le culte catholique. — «J’ai connu, disait un impie célèbre, un peintre protestant qui avait fait un long séjour à Rome, et qui convenait qu’il n’avait jamais vu le souverain pontife officier dans Saint-Pierre de Rome, sans devenir catholique. » Touchant hommage rendu à la pieuse efficacité de nos cérémonies saintes. Et celles de la consécration ou dédicace ne sont pas des moins saisissantes. Vous avez là toutes les majestés: Dieu, l’antiquité, les souvenirs, les liens de la terre et du ciel, la mort et l’immortalité, Jésus immolé sur les ossements d’un martyr.
La religion fait bien: il fallait rendre saint un lieu où il y a tant d’objets qui nous font avoisiner Dieu et qui nous rappellent les meilleures choses de notre vie: là, le bénitier, les fonts baptismaux, les chapelles des saints anges, de Notre-Dame, le confessionnal, la chaire, la chapelle des catéchismes, la balustrade avec sa nappe de fin lin ou la table sainte; là, ces dalles, ces recoins à demi éclairés, où d’innombrables générations d’êtres viendront se prosterner, prier, gémir, chanter, aspirer, se régénérer, puiser des forces pour vivre et pour mourir. — Aimons le temple; nous fleurirons, dit l’Écriture, comme le palmier dans la maison de Dieu.