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Insuffisance de la littérature religieuse.

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Avant d’énumérer, dans leur ordre, les éléments intellectuels et moraux, ainsi que les moyens pratiques qui doivent occuper l’âme, en ce temps de rénovation annuelle et individuelle, appelé le carême, laissez-moi, monsieur, en réponse à vos interrogations sur les livres catholiques, me. plaindre soit de l’insuffisance de la littérature religieuse, en général, soit, en particulier, de nos livres de mysticité. Ce que j’aurais dû faire dans une lettre de préface, j’y supplée à cet endroit. Je serai obligé à des retours personnels sur moi-même; vous me le pardonnerez. Il est bon que j’explique l’apparition de mon grand ouvrage: Le Christianisme et la Vie pratique , ouvrage d’exposition à la fois pieuse et scientifique; et on aura aussi, monsieur, l’occasion de voir pourquoi j’ai donné de la publicité à ce volume de lettres, que j’avais composées pour vous à un point de vue exclusivement pratique. Et pour commencer par les livres qui touchent à l’exposition doctrinale, à l’enseignement du christianisme, j’acquiers de plus en plus la conviction qu’aujourd’hui, en France, il y a insuffisance, quant aux livres existants. Si je me suis décidé à faire gémir, à mon tour, la presse, c’est que j’ai voulu, monsieur, essayer quelque chose en vue de cette disette. Nous n’avons pas, pour suffire à la haute consommation intellectuelle, des livres d’exposition moderne qui répondent assez à certains besoins très-répandus chez nos contemporains.

Je regrette que le clergé, en général, et certains laïques catholiques ne sentent pas autant que moi la nécessité de populariser et de vulgariser le sentiment des beautés intimes du catholicisme. La faculté de popularisation demande des ressources puissantes; elle ne veut pas dire qu’il faille produire des livres communs. Je veux, au contraire, de la distinction dans les livres du catholicisme; mais je demande des écrits qui soient sympathiques par le ton, par l’esprit, par un genre profond, méditatif, et en même temps abordables, qui soient, non rêveurs à la manière allemande, mais tout à fait réalistes et poétiques. Vous connaissez, monsieur, mon idée fixe, je trouve que notre littérature théologique manque de variété et d’amabilité. Ne pensez-vous pas comme moi, monsieur? Un écrivain critique semblait, dans un journal, trouver de l’exagération à ce qui me préoccupe. Le temps et la réflexion ne m’ont pas guéri. J’ai déjà déduit, dans la Préface de mon ouvrage le Christianisme, les faits de notre situation qui laisse tant à dire pour le règne de l’idée chrétienne, et les causes immédiates qui me paraissent l’avoir engendrée. Des faits nouveaux m’ont confirmé dans l’opinion qu’aujourd’hui nous ne pouvons guère réussir à faire lire des livres instructifs et austères, qu’à la condition de faire des livres agréables. Et pourquoi trouverais-je de la résistance dans cette croisade que je prêche pour la popularisation poétique du christianisme? — On ne partage pas, dit-on, mes manières de voir à cet endroit; mais comment ne les partagerait-on pas, car tout se réduit à quelques points simples? Oui ou non, ne sommes-nous pas aujourd’hui en face de deux difficultés? Premièrement, n’avons-nous pas devant nous une masse de personnes à origines diverses, à éducation et à tempérament intellectuel très-dissemblables, et qui, toutes, se rencontrent dans la terreur que leur inspire le sérieux du christianisme? Secondement, peut-on nier l’existence de cette prévention qui fait croire: que le christianisme, si nécessaire, si beau, si consolant, ne saurait en tout point se justifier aux yeux de la raison? — Or, c’est sous l’impulsion de ces deux faits de notre temps, que j’ai entrepris, théoriquement et pratiquement, une exposition des croyances chrétiennes. Mon grand ouvrage, Le Christianisme et la Vie pratique, n’a pas été conçu dans un autre but que de présenter notre religion sainte sous son vrai jour, en la dégageant du voile épais que jettent injustement sur elle les deux grandes préventions du temps présent, que je viens de mentionner. Certes, je n’ai pas voulu lever la première difficulté, en diminuant quelque chose du sérieux de l’Évangile: j’ai cherché, au contraire, les belles et utiles harmonies de ce sérieux avec les intimes besoins du cœur. Quant à la deuxième difficulté, j’ai cherché à y donner une réponse, soit par mes investigations personnelles, soit en généralisant les immenses travaux scientifiques, dont nous ont dotés les penseurs et les érudits catholiques. J’ai voulu, par mes propres études sur les dogmes et sur les pratiques religieuses, mener du naturel au surnaturel, et faire comprendre que le christianisme n’est ni uniquement foi ni uniquement raison, mais qu’il est l’une et l’autre; qu’il occupe tout à la fois et excellemment la pensée et le sentiment.

Y ai-je complétement réussi? Il n’y a aucune modestie à répondre négativement, quand il s’agit d’une entreprise si vaste. Ai-je cependant un peu ébauché cette œuvre par mes quatre volumes? Le temps et le public en décideront: ma construction n’est que d’hier, et déjà je découvre les meilleurs symptômes en faveur de l’édifice dont j’ai laborieusement entassé et cimenté les pierres, et conduit le plan. Il ne faudrait pas, monsieur, qu’en général la critique n’accueillît des livres nouveaux et de longue haleine sur le christianisme qu’avec un parti pris d’hostilité. Singulière hospitalité que celle qui recevrait un nouveau livre catholique avec une prédisposition malveillante, et semblerait lui dire: Nous n’avons pas besoin de vous! Faut-il l’avouer, monsieur, quand un ouvrage nouveau paraît, ce n’est pas la mansuétude qu’il rencontre, c’est plutôt un esprit de dénigrement général; les plus ardents à le démolir sont ceux qui n’en comprennent pas le premier mot. Quant aux années que l’auteur a consacrées à son œuvre, quant aux généreuses intentions qui l’animent, on n’y prend même pas garde. Du reste, pour en revenir à ma thèse de l’insuffisance des livres existants, qui explique la théorie et la pratique de mon propre ouvrage, je demande que l’on discute mon affirmation, car c’est sur elle que tout porte. Je soutiens que ce qui stérilise nos publications, c’est, sans nier d’autres causes, le manque d’intérêt, ou qu’il y contribue du moins considérablement. Et je ne suis pas le seul à expliquer ainsi le phénomène d’une religion ignorée et indignement interprétée chez des nations qui possèdent d’immenses matériaux pour une complète apologie du christianisme. Mgr Wiseman est de mon avis; la preuve en est dans sa Fabiola. L’illustre Newman est pour moi; il a fait une tentative semblable à celle de l’archevêque de Westminster. Il a fait appel à la forme du roman, pour faire agréer un enseignement théologique. Je pourrais m’autoriser de quelques Pères de l’Église, qui ont agité la question des méthodes d’exposition adaptées aux besoins variables des époques et des pays divers. Mais, pour me restreindre aux temps modernes, je puis invoquer pour moi le grave Nicole; et sans parler d’un publiciste célèbre de ces dernières années, je trouve surtout un solide auxiliaire dans le grand écrivain qui a créé la littérature de ce siècle. Mais, comme singularité piquante, je produirai un extrait d’une Revue protestante de Genève, qui, dans son impartialité, ne craint pas de recommander un livre consacré au catholicisme. Cette Revue, publiée par M. Joël Cherbuliez, dit au n° de septembre 1858: «L’objet de ce livre (le Christianisme et la Vie pratique) est de prouver que le christianisme s’accorde mieux que nulle autre doctrine avec la vie pratique, et que seul il peut satisfaire à toutes les exigences de notre nature, expliquer les mystères, et résoudre les grands problèmes qui nous tourmentent. Le rôle du sentiment religieux s’y trouve apprécié de la manière la plus propre à faire comprendre toute son importance. L’auteur est certainement un habile apologiste. Il a su réunir à l’appui de sa thèse tous les meilleurs arguments, et leur donner beaucoup d’intérêt par la forme ingénieuse ou piquante sous laquelle souvent il les présente... Voulant captiver l’intelligence, pour mieux soumettre le cœur, M. l’abbé Duclos a senti la nécessité de rendre, autant que possible, attrayante la lecture d’un ouvrage qui, sans cela, risquerait de ne point arriver jusqu’à ceux auxquels surtout il s’adresse... Son livre offre un certain charme qu’on ne rencontre guère dans la plupart des traités de ce genre. Il est seulement à regretter que le point de vue catholique y domine trop... Mais, sauf les chapitres consacrés, soit à la controverse, soit aux croyances et pratiques particulières de l’Église romaine, l’ensemble de ce travail nous paraît digne d’être recommandé. On y remarque une piété sincère, de l’instruction, de l’esprit, du tact et beaucoup d’expérience des choses de la vie.»

Certes, monsieur, j’ai lu dans des feuilles catholiques des appréciations de mon ouvrage et de ma théorie d’apologie chrétienne; mais j’avoue n’avoir rencontré encore ni plus ni autant de bienveillance, de largeur de jugement et de pénétration précise du but que je poursuis. Laissons de côté les nombreux éloges que cet article renferme, et constatons seulement que voilà un écrivain protestant pénétré comme moi de la grande condition nécessaire pour l’adoption des livres religieux par les générations nouvelles. Il sent tellement cette nécessité d’un certain attrait littéraire, que, dans ce même article, il m’approuve «de mettre à contribution les poëtes, les historiens, les romanciers mêmes;» il reconnaît que mes citations «viennent à la fois répandre de la variété dans le style, et fournir des témoignages inattendus en faveur de la révélation chrétienne.»

Le vulgaire me dit: «Mais où sont vos arguments nouveaux?» Et j’entends quelques jeunes théologiens de l’école moderne s’écriant avec un air de désappointement: «Cette exposition du christianisme n’a rien de neuf.» Je ne voudrais pas ici être trop l’avocat dans ma propre cause; c’est pourquoi je puis, n’est-ce pas, monsieur? résumer les réflexions d’un critique qui m’a fait l’honneur d’assigner mon humble place après quatre noms haut placés dans l’estime de ce siècle: MM. Chateaubriand, Frayssinous, Lacordaire, Auguste Nicolas. L’écrivain critique convient que mon point de vue sur la religion chrétienne a sa raison d’être, et surtout son opportunité, comme son utilité. Voici comment il s’exprime: «Parmi les apologistes chrétiens du XIXe siècle qui ont utilement servi l’Église par la solidité de leurs écrits, il en est un qui nous semble mériter une mention spéciale, et par la singularité du point de vue où il s’est placé, et par l’utilité pratique qui doit résulter pour les personnes du monde de la lecture de son ouvrage. Cet apologiste, le plus récent de tous, est M. l’abbé Duclos, du clergé de Paris..... Ce qui donne à M. l’abbé Duclos une incontestable supériorité dans la manière dont il traite son sujet, c’est la connaissance qu’il a du cœur humain, et la fidélité avec laquelle il nous retrace ses besoins et ses misères..... L’auteur du Christianisme et Vie pratique possède un autre avantage, qui le sert merveilleusement dans le dévoloppement de son sujet, c’est qu’il a fait une étude approfondie des moralistes, des philosophes et des économistes modernes...»

On me demande mes arguments nouveaux et la nouveauté de mon œuvre. Mais quelle exigence! Voulez-vous que j’invente des preuves de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, de la certitude et du caractère révélé du christianisme, de la résurrection des corps, de l’intercession des saints? Le puis-je après Platon, Aristote, Cicéron, Descartes, Fénelon? Le puis-je après S. Paul, S. Augustin, S. Thomas, Bossuet, Bellarmin, Suarez, Benoît XIV? Si, d’ailleurs vous exigez avec tant d’opiniâtreté des choses nouvelles, je vous renvoie au tome quatrième de mon ouvrage sur le christianisme, et quand vous aurez lu attentivement les longs chapitres sur la théorie chrétienne de la souffrance, je vous demanderai si je n’ai pas déduit dans ces pages une sorte de preuve et de démonstration nouvelle de la divinité de notre religion par la solution du problème immense de la souffrance. J’ai pour moi une certaine expérience faite. Il m’est revenu qu’on donnait lecture, récemment, du tome quatrième de mon livre, à quelques hommes d’une administration parisienne, hommes rationalistes et incroyants d’une manière décidée, et le résultat a été que nos déistes libres-penseurs ont été sensiblement remués et ébranlés par ma démonstration du christianisme à l’aide de la doctrine de la douleur. Est-ce que le seul caractère de la nouveauté, et le seul indice du mérite intellectuel, consistent uniquement dans l’alignement de quelques maigres syllogismes, ou dans une mixtion de métaphysique et de mysticisme qu’on décore du mot de système catholique? Pour moi, le mérite et l’originalité d’un ouvrage résident plutôt tout entiers dans la manière de rendre les idées et les sentiments, dans une certaine manière délicate de sentir et d’envisager les questions. Or, à mon tour, je reprends l’offensive, et j’incrimine la sécheresse et l’insuffisance déplorable des livres catholiques actuels; ôtez le P. Lacordaire, Mgr Gerbet, Mgr Cœur, Mgr Berteaud de Tulle et quelques autres, je dis avec M. de Cormenin, de la plupart de nos écrits religieux, que: «les uns sont plâtrés de pâleur, que les autres louvoient dans les basses eaux de la logomachie, que presque tous se distinguent par l’aridité, la monotonie, le ton déclamatoire, les lieux communs, etc., etc.»

Quand enfin trouverons-nous chez les enfants de lumière cet esprit de corps, cet instinct de sympathie qui se remarque tant parmi les enfants de ténèbres? Lorsqu’ un livre s’annonce dans le sens de leur cause voltairienne, oh! comme ils saluent sa bienvenue, si mince que soit son mérite! Ils demandent seulement si le livre a de la chaleur, de la flamme, de la moelle, comme parle Montaigne, et après cela, on ne les voit pas disséquant misérablement le cadavre de cet ouvrage pour y éplucher quelque défaut et y signaler des vétilles. Sincèrement animés de l’esprit de propagande, ils ouvrent à ce nouveau venu les grandes portes de la publicité à pleins battants. Or, monsieur, qu’on ôte les livres de Mgr Frayssinous, de Chateaubriand, de M. de Bonald, de M. de Maistre, de Auguste Nicolas, du P. Lacordaire, de l’abbé Maret, du P. Gratry et de quelques autres écrivains, que reste-t-il? Et encore, quant aux écrivains éminents que je viens de nommer, leurs ouvrages sont loin de répondre, totalement, à ces conditions impérieuses qui rendent une lecture de choses sérieuses, possible, intéressante et facile. Ces hauts écrivains ne s’adressent évidemment qu’à un public très-restreint, à une véritable aristocratie de penseurs. Chateaubriand est le plus populaire de tous, parce que, tout à la fois, il est poétique et facilement intelligible; mais il ne ramène pas à la foi, il y prépare; il n’instruit pas sur les choses de l’intérieur du temple; il reste sous le portique qu’il fait admirer. Donc, quand un livre nouveau parait avec le désir de populariser l’idée catholique, que notre premier mouvement soit, non la répulsion, mais un cordial accueil.

Quelle misère de voir des critiques à cerveau étroit et dépourvus de sens commun se circonscrire dans la contemplation de quelques innovations et néologismes qui les déconcertent, dans la phraséologie d’un auteur, et prendre de là texte et occasion pour méconnaître les intrinsèques mérites d’une production distinguée et d’une réelle élévation! Vous, auteur, vous vous préoccupez de ces foules qui s’éloignent dans l’indifférence pour nos dogmes, vous vous désolez d’entendre les cloches qui se lamentent inutilement dans les airs, vous cherchez le moyen de ramener les populations au pied des autels; vous vous exercez à la langue et à la logique de votre siècle, pour gagner ce siècle à Jésus-Christ; mais, le croirait-on? des critiques maladifs ne viennent rien examiner dans vos pages, excepté s’il y a des inexactitudes de grammaire, s’il y a des formules de langage où les rapports ne seraient pas mathématiquement exacts entre quelques idées et quelques mots, si l’on s’est éloigné des habitudes traditionnelles de quelques traités de théologie, et autres investigations mesquines et vétilleuses de cette force. Pour moi, monsieur, je préfère cent fois une bonne page intime, sympathique, où respire l’accent d’un honnête homme, où l’on rend avec délicatesse les rapports de quelque croyance religieuse avec les réalités de cette vie, je préfère cela à tant d’ouvrages, irréprochables comme facture, mais froids et sans vie, bien symétriques de composition littéraire, bien flamboyants, bien nivelés, bien arrangés sous le harnais littéraire, mais après lesquels le lecteur vous dit avec Nicole:

Prêchez, patronnez jusqu’à la Pentecôte;

Vous serez étonné, quand vous serez au bout,

Que vous ne m’aurez rien persuadé du tout.

Persuader, monsieur! Ah! de la façon dont sont rédigés beaucoup de livres religieux, l’on peut induire que le sens de ce mot persuader est presque perdu de nos jours. Vraiment! allez persuader de nos dogmes et de nos pratiques les esprits et les cœurs rebelles, quand vous ne leur offrez que des lectures après, des pages incolores, des écrits sans chaleur et sans parfum. Ils vous demandent du pain, et vous leur donnez des pierres et des scorpions. Quelqu’un a dit une délicieuse parole: «Dieu a voulu qu’aucun bien ne se fît à l’homme qu’en l’aimant.» Pénétrons-nous de ces grandes et saintes maximes; les indignations des gens de goût, les nobles colères de l’art offensé par les platitudes en matière littéraire, viendront après. Qui ne sait qu’il est des règles fondamentales de vraisemblance, de suite, d’unité d’idée, de doctrine, de composition, dont personne ne peut s’écarter, et contre lesquelles tout ce qui se fait est nul de soi, pour parler avec Bossuet? La bonté, la mansuétude, une douce tolérance: voilà le premier arome qui doit s’exhaler de nos ouvrages. Il faut que le lecteur sente qu’on lui veut du bien et qu’on l’aime! Ce sera bien assez, après, le tour des criailleries académiques.

La Saison d'hiver à Paris

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