Читать книгу La Saison d'hiver à Paris - Henri Duclos - Страница 18
L’âme humaine est une agriculture, d’après l’Évangile. Comment, d’une manière générale, se passe la saison d’hiver (le carême).
ОглавлениеMaintenant que j’arrive à notre tableau d’hiver, je dois, monsieur, dresser pour ainsi dire ma carte géographique, embrasser d’un coup d’œil général ce qui se déroulera successivement et en détail dans les lettres suivantes. Quelle est l’âme un peu sérieuse qui n’aspire comme vous, monsieur, à bleu passer son hiver? Quel est celui qui ne désire point en faire une saison utile, si on lui indique les moyens pratiques efficaces, facilement applicables, pour tirer un bon parti de cette période initiale de l’année?
Je prends leçon, monsieur, auprès de l’homme des champs, auprès du laboureur; car il faut revenir à la vie agricole, non-seulement pour trouver ces images et ces paraboles populaires et profondes, dont le divin Sauveur aimait à parer les enseignements évangéliques, mais encore pour y puiser les idées et les vrais lois de l’économie de l’âme. C’est ainsi, qu’au milieu des règles que l’expérience appliquée à la nature a révélées, nous pouvons découvrir notre système du monde de la spiritualité. L’hiver, dit l’astronome, est une des quatre saisons de l’année qui s’étend depuis l’arrivée du soleil à l’un des tropiques jusqu’à son retour à l’équateur. A cette époque, le soleil nous envoie ses rayons obliquement; une grande partie de sa chaleur nous est ainsi dérobée, et voilà pourquoi les grands froids qu’on ressent dans les régions tempérées et glaciales. L’hiver, dit l’homme des champs, qui est naturaliste par instinct, est l’époque des fécondes préparations. On remue la terre, on sème le blé, et le grain, attente de l’homme, va germer sous la neige. Ainsi en est-il de l’hiver spirituel, qui se concentre dans la période du carême: les âmes sont une agriculture; vous êtes l’agriculture de Dieu, le champ de Dieu, dit l’Apôtre: Dei agricultura estis (I Cor. 3-9). Je suis la vigne et vous êtes les branches, disait le divin Rédempteur, je suis la véritable vigne, et mon Père est le grand agriculteur: Ego sum vitis, vos palmites... ego sum vitis vera, et Pater meus agricola est (Joann., xv, 1 et 5). Prenons donc des analogies chez les agriculteurs, et découvrons les secrets qui feront porter les terres au centuple, quand viendra la saison d’été. Je consacre donc cette lettre, monsieur, à l’énumération rapide des moyens pour passer chrétiennement l’hiver de l’Église ou le carême. Dans l’esprit et dans les intentions de notre Mère à tous, cette saison miséricordieuse qui recommence l’année nouvelle n’a et ne peut avoir pour objet que d’amener en nous la renaissance de l’homme véritable, c’est-à-dire de l’homme bon. Voici brièvement l’énumération de ces moyens pratiques et le plan du reste de ce volume.
1° L’agriculteur qui ne fait que suivre la marche de la nature comprend la solennité de l’hiver, phase mystérieuse de silence et de repos actif, dans lequel entre la terre. Il jette son grain dans les sillons, et puis il respecte le froid des hivers; il comprend le silence de la nature; il s’associe à ce repos fécond; il rentre dans sa chaumière et il attend. Il sait que ce moment de halte apparente est un prélude d’abondance et que le froid de l’hiver, avec le calme de la couche végétale, rend plus fertile cette terre qui recèle le grain dont il se nourrira. Voyez aussi l’Église qui, pour condition préalable, demande aux âmes le recueillement. Le recueillement est la reprise de possession des forces vives de l’âme. Par la vie, par les relations, par les nécessités de l’existence, nous nous dépensons, nous nous éparpillons; notre être, comme intelligence, comme conscience, comme personnalité s’évapore en quelque sorte. Parfum mal gardé, notre âme s’échappe par la moindre fissure de notre être. Nous dirons comment s’obtient le recueillement, à quels moyens pratiques l’expérience et la spiritualité nous le montrent attaché. Il est bien nécessaire, ce recueillement; il nous le faut au moral comme au physique. C’est de l’hygiène: ce n’est pas de la mélancolie, c’est de la sérénité. Ce n’est pas une gymnastique mystique, qui se borne exclusivement à certaines heures du jour et à quelques actions déterminées, elle s’étend à l’ensemble de la vie. Le recueillement doit se mêler à tout; il doit se produire comme la résultante de tout. Les livres sacrés disent que c’est dans la solitude que Dieu parle au cœur. Nous indiquerons simplement les nombreux moyens qui s’offrent dans la vie pratique pour atteindre à ce silence intime et suave, qui tour à tour conduit à l’équilibre de l’âme et en est la conséquence. L’homme est une intelligence et un corps. C’est au moyen du recueillement, grande condition préalable, que nous pouvons nous régénérer dans nos idées et dans nos mœurs.
2° Les gens de la campagne vous disent qu’il y a un temps des semailles et qu’il faut bien ensemencer la terre. On sème quand l’hiver approche, et tout bon agriculteur comprend l’importance de l’opération des semailles, le soin et l’attention qu’il y faut apporter. On s’abstient de semer quand il fait du vent, ou si l’on y est forcé, on baisse la main pour que le grain ne soit pas emporté. Puis il y a la question des engrais et les pluies de l’hiver qui pénétreront la terre et pénétreront jusqu’ aux racines de toutes choses. Les âmes aussi, vous le savez, monsieur, ont leurs semailles: c’est le temps de la prière, c’est tout commerce positif et efficace avec Dieu, c’est toute grâce, toute graine d’en haut qui tombe dans l’âme et qui y germera en saintes pensées, en bonne volonté.
Je signale donc en second lieu la méditation et la prière comme un des éléments fondamentaux du carême. Comment l’Église ne nous recommanderait-elle pas spécialement la pratique de la prière, dans un temps qui est par excellence le temps de prier? Nous aurons à énumérer tout ce qui porte nos âmes à prier, à méditer, et toutes les ressources qui se déploient devant nous à cette époque bénie, soit pour nous engager à prier, soit pour nous aider à prier. Prier chez soi, prier chaque jour, aller se prosterner au pied des autels où s’immole la sainte victime, tout cela forme un de nos devoirs importants. La prière, c’est tout l’homme, et il faudrait une organisation bien mal faite pour ne pas comprendre l’appel et les instances du christianisme à cet égard. Passer ce saint temps de bénédiction et de rénovation sans jamais implorer Dieu, sans que la pensée prenne fréquemment le chemin du ciel, et après cela, prétendre être chrétien, soutenir qu’on porte en soi le sentiment religieux, ce serait se faire une énorme illusion.
3° Les circonstances qui viennent seconder les semailles sont complexes; le cultivateur n’en néglige aucune, il bénit la Providence pour toutes celles qu’elle lui envoie. Dieu donne souvent, en effet, pour garantir le blé pendant l’hiver, une couche de neige; il ne se pouvait de meilleur complément des semailles, et de meilleur abri pour la moisson en espérance. J’ai vu plus d’une fois l’homme des champs regardant tomber avec un vrai bonheur ces flocons de neige, douce laine qui, se répandant sur la terre, y conservera une chaleur utile, et défendra ce que renferment ses entrailles contre les rigueurs de la gelée et les vents piquants de l’hiver. Il y a dans le monde des âmes aussi quelque chose qui, an temps des pieux ensemencements, vient préserver et conserver dans chaque fidèle la douce chaleur des croyances et des vertus chrétiennes: c’est la prédication. L’audition de la parole de Dieu peut être indiquée comme un des excellents moyens d’utiliser la saison d’hiver. La neige a pour effet de fermer les pores de la terre, de prévenir l’évaporation des sucs qui se feraient en pure perte. Les sucs ayant ainsi le temps de s’accumuler et de se perfectionner, les plantes, dit un naturaliste, font, sous l’abri salutaire des neiges, des provisions pour leur accroissement futur. L’Église sait que l’audition de la parole sainte retient, entretient et développe les célestes séves, et c’est pourquoi elle a voulu qu’en carême la prédication descendît à flots sur les populations, comme la neige sur les plaines. Elle a établi ses intelligentes et salutaires coutumes, avec ce caractère de divine sagesse qui la distingue. Voilà comment la saison d’hiver est, par excellence, le temps de la prédication. Le rôle de la prédication est immense en bienfaits de lumière et de grâce, et je n’oublie pas devant qui je formule les résultats bénis de la parole sainte. C’est d’une haute prévision d’avoir voulu qu’il y ait chaque année une époque de recommencement, pendant laquelle la prédication est abondante et fréquente. Ah! que les dispensateurs de la sainte parole se remplissent de la vérité, qu’ils la puisent aux sources pures, aux sources évangéliques, et qu’ils aillent ainsi des saintes Écritures aux âmes, comme me disait un prédicateur illustre de ce temps. Il est des intelligences malades par le manque ressenti de la foi, par l’allanguissement de la foi; la prédication, Dieu aidant, produira en elles d’heureuses métamorphoses. J’aurai à dire en passant nos usages en matière de prédication, ce qui se fait, ce qui doit être, et les saintes utilités que la Providence nous ménage, en ouvrant devant notre pieuse soif des torrents de prédication, de sainte doctrine, de pieuses exhortations. Du reste, la dispensation de la parole de Dieu devait se faire sous toutes formes, selon les besoins variables des populations. Heureux si on sait écouter, entendre et conserver, comme il convient dans un cœur fidèle, la sainte parole avec ses enseignements et ses excitations puissantes!
4° La bonne végétation de l’âme est comme celle du blé ; le cultivateur n’abandonne pas sa chère semence aux envahissements des plantes étrangères: sa sollicitude accompagne toujours les phases successives du grain; il arrache les plantes inutiles et préjudiciables; il suit avec amour les métamorphoses progressives de ce grain, qui finira par donner une quantité abondante de cette substance farineuse qui nourrit l’homme. Ainsi la plante commence à végéter, et le laboureur s’inquiète d’une légitime et calme inquiétude; il voit la tige s’élever, des feuilles se former, qui préparent le suc nourricier de l’épi. Avec la croissance de la tige, paraît ensuite l’épi, orné de la fleur destinée, par ses poussières, à féconder le fruit. La religion a aussi ses sollicitudes, et elle impose des privations qui produisent une spirituelle abondance. On comprend que je touche ici au quatrième moyen, recommandé par l’Église, savoir: la fidélité aux prescriptions du carême, qui est le temps du jeune et de l’abstinence. Il ne s’agit point de se permettre des critiques sur ces usages vénérables, qui viennent faire la loi dans la quantité et dans la qualité de nos repas. Il se dit à ce sujet, dans le courant des conversations séculières, de ces ignorances que nous appelons de grosses bêtises, faute d’autres formules de langage qui soit assez énergique pour les caractériser. Il faut que les austérités corporelles aient leur raison d’être, quand le catholicisme les pratique depuis 1,800 ans, et y attache toujours une grande importance. Si le christianisme maintient les abstinences et les jeûnes, c’est qu’ils ont une connexion profonde sans doute avec les mystères de notre nature morale; ils sont féconds. Dans la pratique, tout se simplifie; nul ne porte que ce qu’il peut porter. Mais on emploie ces nobles procédés de la politesse chrétienne, en vertu desquels l’enfant de Dieu, le fils de l’Église sait montrer sa déférence et son obéissance envers notre sainte Mère, même en demandant à être dispensé de ce qui serait trop lourd pour sa santé, pour son tempérament individuel. Un poëte de ce temps appelait le christianisme la religion de la douleur; il faudrait l’appeler plutôt la religion de la mortification et la religion de l’indulgence.
5° Le cultivateur constate qu’à une certaine période de la végétation du froment, aux fleurs succèdent des grains qui contiennent le germe, et qui sont formés longtemps avant que la substance farineuse paraisse. Peu à peu cette substance se multiplie, et le fruit mûrit dès qu’il atteint sa grosseur. On a vu, dit-on, par des engrais bien ménagés et une culture bien entendue, un seul grain de blé pousser sept ou huit tiges, dont chacune portait un épi garni de plus de cinquante grains. Mais Dieu a institué les choses de manière que, dans l’agriculture spirituelle, la végétation soit plus riche encore. En effet, quel moyen plus efficace pour se charger d’épis et de grains, que la pratique de la confession et de la communion? Nous parlerons de ce levier puissant et éminent dans l’agriculture des âmes, auquel on est convié de mettre la main dans le temps du carême, ne serait-ce que la confession annuelle et la communion pascale, levier divin auquel on doit de rapporter de belles et riches gerbes de vertu. Nous sommes ici sans doute sur le grand courant des choses surnaturelles, et dans les pratiques les plus chères au catholicisme. L’homme ne peut pas se scinder en deux en ce qui tient au phénomène de son état vivant. Ou il est de Dieu, ou il ne l’est pas. S’il est de Dieu, il doit vivre de Dieu et avec Dieu; et nous entrons en plein dans ces mystères de purification et de déification de l’âme, dont la religion a le secret. Il sera donc question dans ces lettres d’engager ceux qui tiennent encore aux devoirs religieux, à se faire de hautes et douces idées sur la confession et sur la communion. Surtout nous les presserons d’expérimenter par la pratique ce qu’il y a de vrai, de moralisateur, de fortifiant, dans ces deux pratiques, expression suprême de la religion positive.
6° Enfin, arrive le couronnement de l’œuvre de l’agriculteur. Quand le temps est venu, les sucs de la racine se portent tous au tendre nourrisson; l’épi se balance dans les airs; rafraîchi par des pluies bénignes, il a fleuri au temps marqué ; chaque jour lui a donné une vigueur nouvelle. Maintenant il courbe sa tête dorée, il appelle la faucille du moissonneur, qui va récolter ce qu’il a semé. Ici, monsieur, j’arriverai à ma conclusion, c’est-à-dire à cet ordre de pratiques qui doivent être la moisson et la conséquence des précédents efforts, en attendant que tout aille se consommer dans les moissons éternelles. Je parlerai donc de la pratique de la sociabilité et de l’aumône sous ses différents aspects. Quand l’âme est à sa maturité, elle aime à se déverser sur ses frères, en bénignité, en don de soi, en bons exemples. Ainsi le devoir de l’aumône vient clore cet ensemble de moyens et de pratiques, que l’âme militante doit mettre en œuvre pendant la quarantaine de sainte rénovation. C’est une maternelle pensée, une pensée éminemment chrétienne, d’avoir, pour ainsi dire, centralisé et accumulé les libéralités du riche, dans cette saison initiale de l’année. Ainsi, pendant qu’on prépare une moisson plus ou moins abondante pour le pauvre, et des ressources pour des œuvres utiles qui ne se soutiennent que par l’assistance des bonnes âmes, ainsi est maintenue sur la terre la tradition de fraternité et de charité que nous a léguée Jésus-Christ. N’y a-t-il point dans cette organisation du carême quelque chose tout à la fois de savant, de divin, de sanctificateur et d’humanitaire? Laissez, laissez tous les ans monter, monter encore le flot de l’égoïsme et de l’indifférence; qu’arriverait-il? Des catastrophes sans doute. Le christianisme oblige l’homme à être homme et humain, Voilà pourquoi ces quêtes, ces sermons de charité si multipliés en carême. L’aumône est le complément obligé du jeûne et de l’abstinence. Il est d’ailleurs théologique et libéral, que l’Église nous maintienne dans le sentiment et le souvenir de notre état de débiteur vis-à-vis le divin Créancier. Cette situation de débiteur nous vient par toutes nos misères morales, et il était opportun que la religion provoquât la générosité et la spontanéité de nos âmes, en leur faisant chercher un complément de la rédemption individuelle dans l’abandon d’une partie du mien, dans le sacrifice de cette fibre qui nous est la plus enracinée, l’attache à l’argent et aux biens.
Je vais reprendre, monsieur, dans les lettres suivantes, chacune des phases de l’importante agriculture des âmes, chacun des moyens que je viens d’indiquer, en y mêlant quelques détails explicatifs. Je serai pratique, je ne dois être que pratique; le grand nombre n’a le temps, en cette vie, ni de rêver, ni de discuter des théories, ni d’explorer de grandes expositions doctrinales; mais tous nous sommes faits pour agir, pour réaliser notre mission, pour arriver où Dieu veut qu’on arrive. — Garder son intelligence dans la foi et dans la pureté, au milieu du scepticisme rationaliste du temps; conserver et purifier de plus en plus son âme, au milieu des scories du siècle et des propres émanations de notre nature originellement corrompue; porter des fruits pour les années éternelles: voilà l’œuvre inévitable à laquelle chacun doit donner sa coopération; c’est un devoir imprescriptible et exclusivement personnel. La religion, en établissant le carême, vient puissamment en aide pour l’accomplissement de ce. devoir. Plaise à Celui qui est le seul véritable et efficace agriculteur, envoyer et les tièdes ondées qui humecteront la terre des âmes, et les douces chaleurs qui les féconderont! — Vous voyez donc, monsieur, déjà à quoi je résume votre manière de passer l’hiver à Paris, en ce qui regarde votre âme: 1° le recueillement; 2° la méditation et la prière; 3° l’audition de la parole de Dieu; 4° le jeûne et les abstinences du carême; 5° la confession et la communion; 6° l’aumône. Tout ceci va s’éclaircir dans les lettres subséquentes.