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Lacunes des livres de mysticité et de dévotion.

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Je vous parlais, monsieur, dans ma dernière lettre, de l’insuffisance des livres existants qui s’occupent d’exposition doctrinale; or, j’appliquerai maintenant à peu près les mêmes réflexions aux livres qui louchent à la piété et à la mysticité. Il y a une égale insuffisance, et pour les mêmes raisons précédemment déduites. Je rends hommage aux P. Faber, P. Ventura, à Mgrs de Ségur, de la Bouillerie, Gerbet, à MM. Hamon, Lecourtier, Bautain, Darbois, Martin de Noirlieu, Paul Carron, Mullois, Joiron, Dumax, etc., etc.; je pourrais grossir cette liste d’autres noms qui ont de la valeur, et je n’apprends pas du nouveau, en annonçant qu’on trouve dans les livres pieux de ces écrivains ascétiques substance, lumière, onction, aliment pour l’âme. Ils ont rédigé des ouvrages spéciaux pour les jeunes gens, pour l’enfance, pour le peuple, pour les hommes faits, pour les personnes affligées. Mais, sortons de ce cadre restreint pour embrasser l’immense horizon des livres de piété que chaque jour les presses catholiques enfantent , et nous serons alors douloureusement frappés de la fécondité fastidieuse et de la stérile abondance de la librairie mystique. Quand j’ouvre ces catalogues innombrables de nos éditeurs catholiques, je suis à la fois honteux et triste: vous voyez là d’immenses cargaisons de «Trésor des âmes,» et je vous assure que ce n’est rien moins que des trésors; il y a des «Codes de la vie spirituelle, » et quels codes! D’autres s’intitulent: «l’Ame éclairée, l’Ame embrasée; «d’autres: «le Pain vivant, Délices des âmes pieuses, Petites fleurs, Bouquet de myrrhe, Bouquet de roses, etc., etc.» Hélas! ces étiquettes sont souvent trompeuses: à part quelques bluettes, vous ne trouvez, dans cette immensité de manuels, de livres de dévotion, ni délices ni parfums. C’est d’une pauvreté désolante; c’est d’une mysticité vide et creuse; c’est mal écrit, sans style; bien plus, c’est sans doctrine, sans idée et dénué de corps; vous n’y trouvez ni nouveauté ni conception; des vieilleries qui ennuient, un verbiage qui fatigue: voilà la physionomie de ces petites choses que chaque jour voit éclore en menus volumes. Il faut en remuer par centaines avant de trouver quelques miettes pour l’esprit et pour le cœur.

A quoi tient, monsieur, cette situation? Je le dirai sans détour: souvent ces compositeurs de petits livres n’ont pas assez de talent; ils manquent complétement de cette originalité qui constitue une individualité intellectuelle bien tranchée; mais bien souvent aussi ils n’ont pas une faculté, qui est une des plus importantes, selon moi, savoir: le génie de l’onction et du cœur. M. Alfred Nettement nous a donné un petit livre sur la Semaine sainte; qu’on lise cet intéressant opuscule, et l’on comprendra sur quoi portent mes observations: M. Nettement a su donner une forme agréable à son pieux ouvrage; c’est qu’il est homme de talent, il est poëte. Voilà les «Heures sérieuses, les Heures pieuses, d’un jeune homme et d’une jeune femme,» par M. Charles Sainte-Foi; les Lettres sur la vie chrétienne, par le P. Lacordaire; l’Eucharistie, de Mgr Gerbet. A la bonne heure! ces petits livres sont substantiels; le goût y trouve du style, et il n’y a pas seulement un cliquetis de mots; il y a des pensées et des sentiments élevés. J’en dirai autant de quelques autres livres qui en valent la peine, et dans lesquels l’onction est jointe à l’idée. Ah! monsieur, appelons de nos vœux une réforme dans cette voie des publications mystiques: le catholicisme y gagnera; car trop souvent les fiers rationalistes indiquent avec ironie la pauvreté de nos livres de dévotion, comme un thermomètre du développement moral des populations catholiques. Ne laissons pas croire au monde que nous n’avons à offrir à nos troupeaux que d’insipides et maigres pâturages. Ayons des livres à la fois plus nourris, plus profonds, plus véhéments, plus doux: tout cela se peut sans qu’il soit nécessaire d’être tous «des poëtes des idées de l’infini.» Il y va d’ailleurs de l’hygiène des âmes; il s’agit de leur dépérissement ou de leur florissante santé. — Mais une objection se présente naturellement; il semble que les ouvrages de religion pratique ne sont pas susceptibles d’ornements littéraires, et l’on revient à la sentence du législateur du Parnasse:

De la Religion les mystères terribles

D’ornements égayés ne sont pas susceptibles.

On fait de ceci une question de convenance, et l’on a raison, monsieur, mais il n’y a qu’à s’entendre. L’intérêt ou l’attrait que je réclame pour nos livres mystiques, ne doit pas consister, selon moi, dans un simple artifice de surface, dans une tournure cicéronienne donnée aux phrases. Je ne demande pas non plus que l’on sacrifie aux idoles profanes, aux contorsions des romanciers, aux fadaises de cette littérature emmiellée de patchouly; non, je sais le mot de David et de saint Paul: Omnes dii gentium dœmonia, les statues des mondains sont des démons. Non! ce que je réclame à grands cris est tout intime et profond; je veux dans les livres pieux un certain feu, un accent d’honnête chrétien, un ton ému et pénétré ; je veux qu’on y sente un homme qui a beaucoup exploré, observé, qui a touché à beaucoup de rives, et qui, dans son livre, laisse son âme gémir, chanter, prier, pleurer, espérer en Dieu. Quant à ce qui est purement forme de style, je ne veux «ni trop de fleurs ni trop de sable, «je demande un langage élégant et sobre. Je citerai, en exemple, la manière de dom Guérenger dans ses livres sur la liturgie.

Hélas! monsieur, il faut le dire, une masse de petits livres se glissent dans la circulation justement à la faveur de leur médiocrité. Le public sérieux n’y prend pas garde, et grâce au silence, ces publications insignifiantes font leur chemin. C’est là une triste situation, qu’un tribunal du talent et un système de douanes pour l’esprit devraient empêcher. Mais allez établir, si vous le pouvez, un tribunal du talent. Sans compter encore que les livres absurdes trouvent de la complicité dans une certaine classe de lecteurs, vous le dirai-je, monsieur? nous convenions avec un homme de sens des trois conditions de succès lucratif en matière de publications. Il faut, disions-nous, pour faire une bonne affaire d’argent et de vogue, 1° des livres bêtes; 2° des livres courts; 3° des livres à bon marché ; recette infaillible, attendu que malgré la civilisation les esprits pesants ont été et seront en majorité. Monsieur, une situation est bien déplorable quand on peut la formuler de la sorte. On étonnerait bien des gens s’ils savaient à quel nombre fabuleux d’exemplaires ont été débitées telles productions incontestablement médiocres et plates. Sans doute que la platitude rencontre du niveau et de l’écho.

Mais revenons au résultat de mes propres tentatives, puisque j’ai prévenu devoir dans ces lettres user de la liberté de parler de mes œuvres intellectuelles; j’ai eu le bonheur de provoquer, sur mes propres livres, des appréciations qui me sont chères à bien des titres; quoique je ne sois, sous le rapport de la renommée, qu’un homme du lendemain, un inconnu, perdu «dans un recoin ignoré de toutes les géographies,» de douces et nobles paroles sont venues m’apporter tout à la fois des sympathies flatteuses et d’utiles leçons dans ce pauvre petit recoin. Je termine en vous demandant la permission de reproduire quelques extraits de ces appréciations qui me regardent personnellement: la paternité d’auteur a ses faibles et son amour-propre comme les paternités du sang.

Un de mes collègues, monsieur, et qui est mon ami, me demandait des nouvelles de mon grand ouvrage, Le Christianisme et la Vie pratique paru il y a quelques mois. Ardent et impétueux, il aurait voulu que ce livre fût déjà acclimaté dans le public et qu’il eût une grande place au soleil. Ce collègue voyait les choses à travers le prisme de son amitié impatiente; car je n’ai pas à me plaindre des retardements de la publicité ; les ouvrages sérieux ne s’infiltrent que lentement dans la circulation populaire. Mais enfin, mon ami n’en persistait pas moins dans ses pieuses et amicales objurgations; il semblait m’accuser de ne pas avancer en chemin, sous le rapport du positivisme d’auteur; il trouvait que j’étais un flâneur intellectuel, que je me balançais entre ciel et terre, comme l’hirondelle, sans gagner du terrain: il m’appelait presque un talent méconnu, une renommée ébauchée, une intelligence gaspillée, un génie incompris. Prenez garde, me disait-il d’un ton plaintif, n’allez pas manquer de mettre la main sur cette chose fantasque et fragile appelée l’avenir; les années marchent, l’âge vient, et on laisse passer cette époque solennelle de l’existence où un homme doit quitter le port et aborder le grand océan des choses et des renommées littéraires. Si l’on manque d’à-propos, il n’est plus temps, vous devez vous résigner, loin des élévations sociales, à naviguer humblement le long des côtes comme une petite barque de pêcheur.

Je remercie cet ami de me tendre sa main et de me donner ses conseils pour me préserver du naufrage de mon avenir prétendu; mais, dans mes humbles aspirations, mon avenir ne dépasse pas de beaucoup un présent qui est assez satisfaisant pour mes mérites, si j’en ai. A travers les ronces et les épines de la carrière d’auteur que je commence, il m’est venu déjà assez de regards reconnaissants et sympathiques, pour m’encourager à continuer ma course et mon entreprise. M. Guizot m’a écrit, à sa manière haute et digne, des choses qui me flattent et me touchent: «Nous nous sommes rencontrés, dit-il, dans cette hauteur où les rapports touchent plus que les dissidences.»

J’ai été très-sensible aussi au jugement porté d’une manière identique par deux publicistes, l’un à Paris, l’autre à Lyon. Un des anciens collaborateurs de M. Proudhon écrivait dans un journal de Paris : «Si nous voulions caractériser le fond et la forme de l’ouvrage de M. l’abbé Duclos nous dirions, en empruntant l’expression de Pascal, que c’est «la religion rendue sensible au cœur, dans une parole simple, vraie, lumineuse sans sécheresse, imagée sans recherche, vivante sans effort, nourrie d’une science forte, et surtout d’une onction douce, pure et pénétrante. Nous ne connaissons aucun écrit plus propre à ramener au christianisme la foule des esprits imbus de préventions anti-religieuses... Rattacher la religion à tout, la montrer partout, telle est la nature propre du talent de M. Duclos, et comme le cachet de son seing intellectuel.» L’écrivain lyonnais commence par classer ma méthode: «Ce que Chateaubriand avait fait pour l’imagination, ce que tant d’illustres écrivains ont fait pour la raison, M. Duclos le fait pour le cœur. Cependant, qu’on ne s’y trompe pas, la raison et l’imagination ont ici une ample moisson à recueillir. » Le critique expose ensuite l’objet et le but de mon livre, et il ajoute: «Il fallait, pour atteindre ce but, une grande connaissance du cœur humain et de la religion divine, afin d’établir entre ces deux objets comme une sublime équation. L’auteur le fait toujours avec ce talent qui vient du cœur... Nul doute que cet ouvrage ne prenne rang parmi les meilleures apologies de la foi à notre époque.»

Il est des coïncidences et des unanimités de suffrage qui donnent le courage et la patience d’attendre que la glace de certaines indifférences soit fondue. Je me méfierais de quelques encouragements s’ils étaient solitaires, je pourrais les attribuer à une bienveillance fortuite; mais un heureux accord me rassure et me fait compter sur le temps. J’ai eu des lignes approbatives du baron de Fontête dans le Correspondant, de M. de Laurentie dans l’Union, et j’ai lu dans un journal universitaire, l’Athenœum français, qu’on y désignait mon ouvrage par ces mots; «C’est un des meilleurs guides qui puissent nous apprendre à régler notre vie et à la conduire au but que lui assigne non-seulement la religion, mais la philosophie.» Je peux dire aussi que plus d’un évêque m’a tendu la main, et à côté des évêques, des laïques de cœur et d’esprit ont salué mon œuvre, ils y ont reconnu «une forme attachante, un style souple, parfois un doux reflet de poésie, quelque chose de sympathiquement mélancolique;» ils ont dit que

«je mets la sublime doctrine aux prises avec les faits, avec le cœur de l’homme;» ils ont ajouté que «mon livre est essentiellement actuel,» qu’il n’y a point «d’ouvrage religieux plus au courant.»

Il est temps, monsieur, d’en finir avec ces apothéoses de moi-même par moi-même; mais je vous condamne encore à subir la confidence du sentiment du P. Lacordaire, bien que son opinion ne soit qu’un regard jeté furtivement sur mon ouvrage. L’illustre dominicain me donne des conseils, et je lui reconnais trois fois le droit de m’en donner, au nom de son talent, de son expérience et de sa sainteté. «Je ne puis dire avoir lu tout votre livre, me dit-il, à cause de mes occupations qui sont très-diverses et très-pressantes. Cependant je l’ai pratiqué, et sans le juger dans son ensemble, il m’a paru écrit avec feu, ingénieux dans ses aperçus, très-divers et très-ondoyant de style, ce qui veut dire que vous ne suivez pas une argumentation de longue haleine, mais que vous allez un peu par bond ou soubresaut, en promenant votre lecteur dans mille sentiers qui s’entrelacent les uns aux autres.» — Suivent après cela quelques observations critiques, et le P. Lacordaire qui ne me connaît aucunement condescent à me dire: «Je penche à croire que vous avez du talent.» Vous voyez, monsieur, que le P. Lacordaire n’est pas seulement éloquent; il est fin aussi, et il mêle à l’encens de ses jugements quelques grains de prudence pour ne pas compromettre, dans une appréciation hâtée, la majesté de son génie. Remercions-le toujours du regard qu’il a laissé tomber sur les feuillets du Christianisme et Vie pratique, et vous, monsieur, pardonnez-moi d’avoir toujours tenu en scène ma personnalité tout le long de cette lettre. Je me borne, en terminant, à renouveler une observation qui me paraît importante, c’est la discrétion à mettre dans la critique des livres nouveaux. Cela demande un esprit large et une plume prudente. Sans cela on risque de placer la question d’art avant la question de morale. Un livre ne doit pas seulement se juger au point de vue d’un strict puritanisme en matière littéraire, il faut voir, avant tout si un livre, dans l’ensemble de ses lignes principales, est apte à servir la bonne cause. Empêcher de naître un bon livre serait commettre une mauvaise action.

La Saison d'hiver à Paris

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