Читать книгу La vie d'Abbatucci, garde des sceaux, ministre de la justice - Jean de La Rocca - Страница 10

Premier mariage de J. P. C. Abbatucci. — Son second mariage. — Sa nomination de procureur royal. — Sa nomination de conseiller à la cour de Bastia — Son amitié avec M. Troplong. — Le procès Viterbi. — Naissance de trois enfants. — Sa nomination à la cour d’Orléans.

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Cette réputation que s’était tout d’abord acquise le jeune étudiant de Pise s’agrandit tous les jours. La famille Abbatucci était considérable par ses ancêtres; le nouveau rejeton promettait d’en continuer l’éclat.

Les meilleures maisons de Corse briguèrent alors l’honneur d’une alliance. Mais, là où la plupart des hommes ambitieux ne voient qu’une question de position ou de fortune, Jacques-Pierre-Charles ne vit qu’une question de bonheur.

La femme, de nos jours, est devenue une associée. Abbatucci chercha une compagne.

A quelques lieues de Zicavo, dans l’arrondissement de Sartène, on trouve le joli village de Petreto. Il est bâti sur le flanc d’une chaîne de hauteurs, et domine une belle et fertile vallée.

Là vivait une noble famille, importante par la fortune et par le nom. C’était une branche des Colonna.

Mais ce qui constituait, aux yeux du jeune Abbatucci, le plus brillant titre des Colonna de Petreto, c’est qu’elle renfermait parmi ses membres une belle jeune fille dont la vue l’avait séduit tout d’abord.

C’était une jeune fille de taille moyenne, brune, magnifique spécimen du type corse. Elle avait de grands yeux, pleins d’éclairs, adoucis par une naïveté toute chaste.

La demande d’Abbatucci fut agréée par la famille Colonna, et le mariage eut lieu.

Ce mariage, si plein de charmantes promesses de bonheur, ne fut qu’un avant-goût du doux plaisir d’aimer. La mort vint briser ce lien tressé de fleurs, et par cela même peut-être trop fragile.

Madame Abbatucci mourut en couches au mois d’octobre 1813.

Les âmes fortes ont des sources inépuisables de courage.

A ce coup de foudre, Abbatucci opposa la fermeté de son cœur. — La douleur plia seulement cette nature munie d’admirables ressorts et qui se redressait toujours après un moment d’abattement.

Le souvenir des beaux jours qu’il avait passés dans ce premier mariage rendait cher à Abbatucci le nom des Colonna.

En 1815, il épousa en secondes noces Euphrasie Colonna d’Istria, parente éloignée de sa première femme. Cette union lui présenta un bonheur plus constant, et, en 1810, il eut un premier fils, Charles Abbatucci, aujourd’hui conseiller d’État.

Jacques-Perre-Charles avait désormais un héritier de son nom et des qualités brillantes dont ce nom a toujours été accompagné.

En même temps que la fortune lui accordait la faveur d’un rejeton, un honneur important couronnait son mérite: il fut nommé, en 1816, chef du parquet de Sartène. Il avait alors vingt-quatre ans.

C’était le plus jeune des magistrats de la Corse; et cependant il brillait parmi eux par son savoir et sa vive intelligence. Il avait le jugement sur, l’esprit droit, le trait vif, la parole facile et élégante.

A ces facultés qui rehaussent l’homme public M. Abbatucci joignait toutes les éclatantes qualités de l’homme du monde. Sa taille était bien prise, gracieuse; ses traits, nobles et réguliers, étaient empreints d’une gravité affable. Il était aimable, liant. Sa conversation était choisie, instructive, spirituelle. Tous ces dons, qui faisaient l’apanage de l’esprit et du cœur de M. Abbatucci, étaient universellement connus. Et c’est ce qui explique cette promotion prématurée au poste de procureur du roi, pour lequel il eut besoin d’obtenir une dispense d’âge.

Dans la difficile charge qu’on lui confiait, M. Abbatucci développa toutes les ressources de sa précoce habileté et de ses heureuses dispositions pour les affaires publiques. Du reste, il appuyait son intelligence et son esprit d’un grand fond de science. Il avait à cet âge une connaissance approfondie du droit; il trouvait avec une merveilleuse facilité tous les points de la législation qui pouvaient éclairer une cause et dénouer la difficulté par une solution équitable. Son esprit souple et vaste embrassait l’ensemble et savait ne pas négliger les détails.

Son grand art était d’apporter la lumière dans un sujet. Ennemi des ambages ou des malentendus, il cherchait tout d’abord à élucider une question, persuadé que la connaissance d’une cause renferme en elle le jugement.

Cette manière de distribuer la justice lui rendait plus facile une tâche rendue très-ardue par la position qu’il tenait en Corse. — M. Abbatucci avait les sympathies de tous ses concitoyens; son cœur, naturellement ouvert aux affections, lui créait partout des amitiés. Il arrivait souvent alors qu’un ami se présentait à la barre où il portait l’accusation. En cette occurrence délicate, beaucoup eussent failli par excès de condescendance ou par crainte exagérée de paraître partial.

Le jeune procureur savait rester juste sans sévérité ni faiblesse.

Cette conduite, pleine de tact et de sagesse, valut tous les éloges à M. Abbatucci. — En récompense de ces premiers services, il fut nommé, en 1819, conseiller à la cour royale de Bastia.

Le jeune magistrat avait à cette époque vingt-sept ans. Il portait encore une fois dans ce poste important une grande jeunesse, mais un profond savoir.

Il arrivait tout jeune homme à ces hautes charges de la magistrature réservées à l’expérience de l’âge mûr. En outre, à la cour de Bastia, il trouva parmi les conseillers ses collègues des hommes d’un grand mérite comme savoir et comme intelligence. — Tels étaient Olivetti, Marcellesi, Susini, Ceccaldi, Belgodere, Arrighi, etc., etc.

Et pourtant Abbatucci prit tout d’abord dans le sein de cette compagnie une autorité et une prépondérance que son âge ne devait pas lui faire espérer.

Les grandes qualités n’attendent pas les années pour se produire. Et un enfant de génie est capable de grandes choses.

Condé à vingt ans dérouta la science des vieux généraux; Victor Hugo, à seize ans, était, selon le mot de Chateaubriand, un enfant sublime.

Abbatucci, à vingt-sept ans, était le conseiller le plus éclairé de la cour de Bastia. — Dans ce poste moins éclatant, mais tout aussi difficile, c’étaient les dons de la nature qui avaient le pas sur la longue méditation des affaires.

Il y a de ces jeunes vues qui s’élèvent d’emblée à des hauteurs où l’on n’arrive qu’à force d’études et de réflexions.

A Bastia comme à Sartène, Abbatucci se fit remarquer par les grâces de sa personne, les côtés brillants de son esprit, les qualités aimables de son caractère. Il était l’ornement des salons de la haute société. Ses dîners rassemblaient l’élite de la population de Bastia. On vantait sa magnificence. Et ce grave magistrat de vingt-sept ans savait trouver ces charmantes manières, ces délicatesses du sentiment, ces côtés agréables de l’esprit, qui ont tant d’attrait pour les femmes et pour les hommes d’élite.

A Bastia, M. Abbatucci lia une amitié fondée sur une parité de qualités de cœur et d’intelligence.

Des amitiés, c’est là la plus certaine et la plus durable.

L’amitié qu’on porte à un homme est un sentiment de haute considération pour son mérite. Quand ce sentiment ne repose pas sur de réelles qualités de celui qui l’inspire, il n’a d’appui que l’illusion, et il fait bientôt place, quand l’illusion se déchire, à une sorte d’attachement banal et sans dignité, qui n’a de racine que dans l’habitude. Le cœur est étranger à cette liaison, parce que l’estime en est bannie; l’esprit n’y prend aucune part, parce que la considération est absente.

Il est de nombreux exemples de ces étroites et indissolubles amitiés de grands esprits.

Horace adressait tous ses vœux au vaisseau qui emportait son ami, qui emportait Virgile; Racine, Boileau, Molière, unissaient leur cœur et leur pensée.

Jacques-Pierre-Charles Abbatucci unit sa pensée et son cœur à la pensée et au cœur de M. Troplong.

M. Troplong avait d’abord succédé à Abbatucci dans la charge de procureur impérial à Sartène. — Il fut ensuite nommé substitut, puis avocat général à la cour de Bastia.

C’est là que ces deux grands esprits se lièrent. Cette amitié devint très-étroite. Les deux amis allaient, après les audiences, sur les promenades, sur les places, à travers les forêts d’oliviers qui entourent la ville. Là ils échangeaient leurs pensées, leurs sentiments. Ils entamaient de longues conversations sur les littératures, sur les législations des peuples. Ils débattaient des questions de droit, se transmettaient leurs lumières; ils parlaient sans doute d’avenir, et peut-être entrevoyaient-ils les magnifiques destinées auxquelles ils étaient l’un et l’autre appelés.

Sans doute ils ont dû se rappeler plus tard ces doux sentiments des jeunes années et ces discussions et ces rêves de feu qui brûlent les fronts marqués du sceau du talent. Ils ont dû évoquer ces espoirs réalisés, ces grandes ambitions satisfaites, les deux amis, quand ils se sont rencontrés aux sommités où les a élevés l’Empereur.

Ils ont été tous deux les éclatantes lumières de la magistrature. Ils occupaient tous deux les plus grandes charges de l’État.

Arrivés, l’un au ministère de la justice, à la présidence du Conseil des ministres, à la garde des sceaux; l’autre, à la présidence de la Cour de cassation, ce suprême tribunal, à la présidence du Sénat; ils ont dû regarder en arrière et se dire en se pressant la main: «Là-bas nous nous sommes trouvés, de là-bas nous sommes sortis; ici nous nous retrouvons, ici nous sommes montés. Notre cœur et notre esprit ne s’étaient pas trompés. Nous devions nous aimer parce que nous connaissions notre valeur.»

Cette époque de la vie de M. Abbatucci est marquée par des travaux littéraires intéressants. Les deux buts élevés vers lesquels il a toujours tendu, la gloire et la liberté, inspirent la prose et les vers qu’il a écrits. Nous citerons une ode d’une mâle éloquence sur la mort d’Annibal, et quelques beaux passages d’une ode à Mirabeau.

La vie d'Abbatucci, garde des sceaux, ministre de la justice

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