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QUELQUES MOTS SUR LA FAMILLE ABBATUCCI

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Avant de tracer la vie pour laquelle nous avons pris la plume, il est de notre devoir de dire quelques mots sur la famille Abbatucci.

Dans une brochure illustrée, publiée par nous l’année dernière, nous avons tracé, avec tous les détails que nous avons pu donner, les différentes biographies des membres illustres de cette famille. Comme ce volume est une œuvre à part, indépendante de notre premier ouvrage, tout en renvoyant le lecteur à notre précédente biographie, nous indiquerons sommairement les principaux traits et les actes importants qui ont donné aux Abbatucci la célébrité dont ils jouissent.

Vers le commencement du dix-huitième siècle, la famille Abbatucci présenta au conseil supérieur de la Corse ses états de noblesse; il fut prouvé que cette famille était noble depuis plus de deux siècles et qu’elle jouissait de toutes les prérogatives attachées à son ordre.

Nous ne chercherons pas les faits qui ont jadis élevé les Abbatucci à cette position privilégiée. En Corse, comme partout ailleurs, la noblesse venait de l’épée; et cette famille dut son titre à quelque beau fait d’armes. Quoi qu’il en soit, nos souvenirs ne se porteront pas plus loin que le 6 novembre 1726. — A cette époque naquit, a Zicavo, Jacques-Pierre Abbatucci, fils de Séverin Abbatucci et de Rose Paganelli, fille du général Paganelli. Il étudia chez les jésuites, à Brescia, et fit de rapides progrès dans toutes les branches des connaissances humaines. Médecine, droit, littérature, tout devint pour lui un but d’étude, et il prit ses grades dans ces diverses sciences.

Ces vastes connaissances établirent d’abord sa réputation, et le généreux emploi qu’il en faisait dans sa patrie lui valut une grande popularité. Aussi fut-il désigné comme premier conseiller au conseil suprême de la Corse, qui siégeait à Corte.

C’était un esprit souple et varié, un écrivain plein de clarté, de netteté et d’entraînement. Sa parole avait de la vie, de l’harmonie, du mouvement. Il avait un grand talent d’argumentation politique et il serait devenu un grand homme d’État, si les circonstances ne l’avaient rendu homme de guerre.

Il balança souvent en Corse l’influence de Paoli, et ce général en conçut même de l’ombrage. Jacques-Pierre commandait la partie de la Corse dite du delà des monts. Là, il exerçait tout empire sur les esprits, tant son mérite était universellement reconnu.

Toutefois la dissidence ne dura pas longtemps entre Paoli et Abbatucci. A la bataille décisive de Ponte-Nuovo, ils combattirent sous le même drapeau, et les deux généraux associèrent leur patriotisme pour arrêter l’invasion des Français. — La fortune des armes ne récompensa pas leur courage. La France fut victorieuse. Paoli s’embarqua pour l’Angleterre.

Jacques-Pierre Abbatucci demeura en Corse pour soutenir les intérêts de ses concitoyens.

Il jura fidélité à Louis XV, et depuis cette époque son dévouement ne fit jamais défaut à la France.

Sa soumission fut sincère et loyale.

C’est dans cette occasion que Jacques-Pierre Abbatucci fit éclater son habileté, son esprit de prudence et de conciliation. Avec moins d’orgueil et plus de perspicacité que Pascal Paoli, il comprit que tout l’avenir de la Corse reposait dans son alliance avec la France.

Il défendit donc désormais la cause française en Corse, et il en subit toutes les conséquences avec un grand courage et une grande abnégation. Tous ses biens furent saccagés, brûlés, perdus. Le gouvernement de la France, en récompense de son dévouement, le nomma lieutenant-colonel du régiment provincial formé en Corse.

En même temps, il fit constamment partie de l’assemblée des États, dans laquelle il représentait la noblesse.

Plus tard, lors de la révolte de Paoli contre la République, Jacques-Pierre marqua par des actes de grand héroïsme son nouveau caractère de Français. Il offrit son sang et sa fortune à sa nouvelle patrie. Puis, quand la Corse fut tombée au pouvoir des Anglais, ruiné complétement, il vint sur le continent porter honorablement une noble infortune.

La République le dédommagea de ses pertes. J. P. Abbatucci fut nommé général de division à l’armée de Rhin-et-Moselle. Quelque temps après, il combattit sous les ordres du général Bonaparte. Puis, fatigué de la guerre, attristé par la mort de plusieurs de ses enfants, il revint dans cette île de Corse témoin de ses exploits et toute pleine encore de son nom.

Il mourut en 1815.

D’un premier mariage, J. P. Abbatucci n’avait pas eu d’enfant mâle. D’une seconde union, il eut quatre fils:

Jacques-Pierre-Charles-Pascal qui fut consul général; Charles, général de division; Antoine-Dominique, chef de bataillon, et Séverin, lieutenant.

J. P. Charles-Pascal Abbatucci naquit à Ajaccio le 6 décembre 1765. Il fut élevé dans un des meilleurs colléges d’Italie. Laissant ses frères aux émouvantes péripéties de la guerre, il entra dans la carrière politique et se fit remarquer par un esprit très-droit et un caractère très-ferme. — Sa parole avait de l’élégance et de la persuasion. Sa conversation était semée de traits brillants et de reparties fines. — Sa grande qualité était une souplesse merveilleuse qui lui faisait suivre sans entraves les méandres difficiles de l’époque orageuse dans laquelle il vivait. C’est à son habileté que son père dut une partie de la grande influence qu’il exerçait sur la Corse.

J. P. C. P. Abbatucci fut successivement nommé juge de tribunal, avec Joseph Bonaparte, membre du conseil général de la Corse. Il dut se concerter avec Paoli, son parrain, pour déterminer le nombre de troupes que la Corse pouvait fournir à la France, lors de l’expédition de Sardaigne; il fit partie de la députation envoyée par la Corse au-devant des commissaires de la Convention nationale et qui se composait de Napoléon Bonaparte, Mouron, Multédo, Barberi; enfin il combattit avec courage à côté de son père lors de la défection de Paoli.

A Paris, Pascal Abbatucci renouvela avec la famille Bonaparte des liaisons qui dataient de la Corse. Il fut pendant quelque temps le compagnon de lit de Napoléon et de son frère Joseph. — Napoléon était alors commandant, il disait souvent à Abbatucci que son vœu le plus brillant était d’obtenir les épaulettes de général.

A l’établissement du Cousulat, il reçut une mission politique dans la Normandie, la Picardie et les départements de Belgique. Dans cette mission toute de confiance, il fit preuve d’un grand tact, de fine observation et d’une grande habileté. Dès lors il s’éleva rapidement dans la hiérarchie des charges politiques. 11 fut nommé inspecteur des bureaux du ministère de l’intérieur, puis consul général à Trieste. Là, il connut Marmont, le maréchal Bertrand. — Joachim Murât lui donna juridiction consulaire sur les provinces illyriennes, le nomma chevalier de l’ordre de Sicile, et lui envoya la grande médaille d’honneur.

Le premier Empereur lui donna aussi quelquefois des marques publiques de sa bienveillance. Aussi Pascal Abbatucci fut-il constamment fidèle à la cause des Bonaparte. — Il fut le compagnon d’infortune du roi Jérôme.

Après le désastre de Waterloo il le suivit à travers mille dangers et l’accompagna en Wurtemberg où le roi de Westphalie, traité en prisonnier par son beau-père, fut abreuvé d’ennuis et de tourments. M. Abbatucci devint là l’homme de confiance de l’infortuné roi, et nous trouvons, dans une note du Journal de la reine de Westphalie, trois passages qui prouvent combien on comptait sur son absolu dévouement. Nous les extrayons:

«Mon mari demanda alors à mon père la permission de renvoyer M. Abbatucci à Paris, pour réclamer d’un banquier pour un million deux cent mille francs d’objets qui étaient entre ses mains. Mon père refusa, et le roi ne put que faire écrire à son mandataire sur la restitution de ses effets.»

Et plus loin:

«Le 10 au soir, des sentinelles furent posées aux portes de nos appartements. La commission força le cabinet du roi, qui protesta contre cette violence. Une recherche rigoureuse eut lieu; on enleva la cassette qui contenait la somme nécessaire aux dépenses courantes. Depuis ce moment, M. de Brussel donnait tous les mois à M. Abbatucci une somme fixée par mon père et prise sur cette cassette pour l’entretien de la maison.»

Et dans une autre partie:

«L’hiver dernier, M. Abbatucci se rendit à Stuttgardt, et, n’ayant pu pénétrer jusqu’au roi, il parla avec chaleur de ma position à M. Winzingerode et à M. Wellnagel, insistant sur ce point, que, si Sa Majesté n’avait pas la bonté de donner sa garantie pour le payement de la maison de Trieste, une catastrophe était à craindre. Le roi fit répondre à M. Abbatucci: «Je ne crains pas la catastro-

«phe dont vous me parlez; j’en serais même charmé, car cela me

«procurerait le plaisir de revoir ma sœur, que je recevrais les bras

«ouverts.»

Plus tard, l’ancien consul général revint à Paris où il se lia avec toutes les illustrations politiques et littéraires de l’époque.

De tous les fils de l’ancien général Jacques-Pierre Abbatucci, il fut le seul qui se maria. — Il est le père du ministre de la justice dont nous avons entrepris l’histoire.

Le 15 novembre 1771, Charles Abbatucci, le héros de Huningue, naquit à Zicavo. Il manifesta dès son jeune âge une vocation toute particulière pour la carrière des armes. Son premier maître fut son père. Il s’instruisit des différentes sciences qui composaient les grandes connaissances du vieux général. L’intelligence prompte et vive du jeune élève s’empara avec facilité des notions les plus diverses et les plus ardues. — Il embrassait tout: les sciences proprement dites, les arts, l’histoire, la géographie, la topographie; l’artillerie était l’objet de ses constantes études. Il lisait couramment dans leur langue originale Virgile, Homère, Xénophon.

Nous ne suivrons pas ce jeune héros dans les différentes phases de sa brillante et trop courte carrière. Nous avons écrit ailleurs sa vie avec tous les détails qu’elle comporte.

En 1790, il reçut les épaulettes de lieutenant. Il se fit remarquer à l’armée du Nord, sur les bords du Rhin, par son sang-froid et son adresse. Il était alors aide de camp du général Pichegru. — Après la victoire d’Hooglede, les représentants du peuple, pour récompenser le courage, l’intelligence et le patriotisme dont il avait fait preuve, le nommèrent adjudant général, chef de brigade.

Dès lors les hautes facultés de Charles Abbatucci dans ce grade supérieur vont pouvoir se développer. Il se conduit avec éclat à la reprise d’Ypres, au siège de Charleroi, de Vanloo, de Maestricht, de Nimègue et du Fort de Grave.

Après l’expédition de Hollande, par un noble désintéressement, Charles, que ses vertus guerrières appelaient au grade de général de division, refusa ce poste important, parce que son père n’était encore que général de brigade.

C’est là un sentiment exquis dont on trouve peu d’exemples.

Cependant Pichegru prit le commandement de l’armée de Rhin-et-Moselle, et Charles Abbatucci suivit son ancien général. — Il reçut là un poste tout de péril et de confiance. — Marchait-on à l’ennemi, il prenait l’avant-garde; battait-on en retraite, l’arrière-garde revenait de droit à son courage indomptable; il aimait toujours à faire face à l’ennemi.

Nous l’avons déjà dit: l’armée semblait avoir choisi Charles pour son génie protecteur. Sa valeur, son sang-froid, son habileté, sa sollicitude pour le soldat, ne se démentaient jamais. Et, quand l’armée en retraite repassa le Rhin, Abbatucci, debout sur la rive, laissa défiler les bataillons dont il protégeait la marche et quitta le dernier le sol étranger.

Lorsque l’armée française eut franchi le fleuve, le général en chef laissa sous les ordres du général Reynier une division pour garder Huningue, petite ville située sur la rive gauche du Rhin. Le général Charles Abbatucci commandait une brigade de la division Reynier. Il fut désigné pour défendre la tête du pont d’Huningue.

Mémorable défense qui élève Charles Abbatucci au niveau des plus grands héros de tous les temps et de tous les peuples.

Nous avons entendu dire au général Niel que la défense d’Huningue était une des plus belles pages de nos annales militaires.

Il déploya dans cette position à peine tenable les plus brillantes qualités stratégiques et les plus mâles vertus guerrières. A la tête d’une poignée de braves soldats que son courage inspirait, il tint tète et repoussa même les masses incomparablement supérieures des Autrichiens.

L’ennemi fuyait; les derniers coups de feu retentissaient sur les ouvrages reconquis par nos soldats. Charles Abbatucci était victorieux; il pouvait, après ce beau fait, rêver à de splendides destinées.

Un soldat perdu, un blessé oublié par la mort dans les fossés, arrêta cette belle vie au milieu de son triomphe. Le général Charles Abbattucci, blessé mortellement par un coup de feu, tomba dans les bras de son ami le capitaine Foy.

De magnifiques honneurs ont été rendus à la mémoire du général Abbatucci. Les habitants d’Huningue lui élevèrent un monument en marbre. A cette occasion le général Foy écrivait ces lignes mémorables: «C’est le moment de recueillir une cendre héroïque et de consacrer la mémoire d’un général qui fut un homme de génie, soldat intrépide et bon citoyen. »

Ces paroles sont le plus beau et le plus durable monument qui puisse consacrer le souvenir du héros de Huningue.

Mais ces honneurs ne suffisaient pas pour traduire l’admiration et la reconnaissance de la patrie: un nouveau monument a été érigé sur la terre natale. Une statue de bronze, œuvre admirable de Vital Dubray, s’élève sur une des places d’Ajaccio! C’est la noble figure du général Abbatucci. Le statuaire a pris, pour couler le héros, le moment où, sommé de rendre la place qu’il défend, Charles Abbatucci, froissant la lettre du général autrichien, lui crie en montrant la place:

«Gagnez-la.»

Le jour de l’inauguration de ce bronze célèbre, une foule enthousiaste encombrait l’avenue qu’il décore.

Il y a peu de jours, une foule plus recueillie, mais non moins saisie d’admiration, remplissait cette place prédestinée. On portait les cendres du ministre de la justice. La dépouille mortelle du garde des sceaux passait devant l’image de son oncle. Elle semblait venir lui rendre compte de sa vie et lui dire: «Et moi aussi j’ai bien mérité de la patrie.»

Dominique-Antoine Abbatucci naquit à Zicavo en 1773; c’était un caractère ferme et plein d’énergie. Le plus bel avenir s’ouvrait devant lui.

Il assista à la défense de Huningue, il servait en qualité d’aide de camp de son frère.

Capitaine au 4e régiment de dragons, lors de l’expédition d’Egypte, il partit en Afrique et fut nommé chef de bataillon à son arrivée à Alexandrie. — Il voulut rejoindre immédiatement son corps. Chargé de faire une reconnaissance, il fut entouré pendant la nuit par une nuée de Mameluks; en vain essaya-t-il de former le carré pour se défendre: aucun Français n’échappa à la mort. Abbatucci Antoine avait alors à peine vingt-deux ans.

Bonaparte fit inscrire son nom sur la colonne de Pompée.

Séverin fut le quatrième fils de J. P. Abbatucci; il naquit, en 1775, à Zicavo. C’était encore une nature d’élite taillée en héros. Ses études furent très-brillantes, — il embarrassait ses professeurs.

Encore enfant, il combattit avec un rare courage, à côté de son père et se distingua au siége de Calvi. Séverin eut le bras fracassé par une bombe. Quelque temps après il reçut le grade de lieutenant et se rendit sous les murs de Toulon.

Il y trouva la mort.

Il avait dix-huit ans!

La vie d'Abbatucci, garde des sceaux, ministre de la justice

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