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L’encrier brisé et la robe perdue!


CHAPITRE IX

Table des matières

A quelque chose malheur est bon.

Carilès marcha d’un pas rapide jusqu’à une avenue bien connue de lui. Cette longue avenue, qu’on appelle du nom gracieux de la Ville-aux-Roses, est bordée de maisons basses, toutes blanches avec des volets verts, et le long desquelles règne une étroite plate-bande, toujours fleurie et soignée avec amour par les habitants de chaque maison. C’est à qui aura les plus belles fleurs: beaucoup de rosiers, qui portent leur bouquet vermeil à la hauteur des fenêtres; et au pied des rosiers la terre disparaît sous les touffes de réséda ou d’héliotrope. Le vent vous apporte des bouffées de parfums, et les enfants jouent en liberté entre les deux grilles qui ferment les extrémités de l’avenue: on ne se croirait jamais dans une grande ville. Carilès avait de nombreux clients dans les familles qui habitaient la Ville-aux-Roses; et, d’une grille à l’autre, du plus loin qu’on l’apercevait, ces mots: «Voilà le père Carilès!» couraient plus vite que le vent.

Il avait déjà parcouru près de la moitié de l’avenue et fait une assez bonne recette; lorsqu’il arriva devant une maison où il ne manquait jamais de s’arrêter; quatre enfants! et des enfants peu fortunés, à qui on n’achetait ni poupée somptueuse, ni coûteux cheval à bascule! c’était une rente pour Carilès.

Quatre enfants, c’était quatre moulins, pour peu que le marchand fût resté une semaine sans paraître. Or il y avait juste huit jours que Carilès n’avait mis le pied dans la Ville-aux-Roses. Aussi lança-t-il, vingt pas avant d’arriver à la maison, les notes les plus aiguës de son flageolet, et prit-il sa voix la plus tentatrice pour chanter son refrain:

Pleurez, pleurez, petits enfants,

Vous aurez des moulins à vent!

On entendit dans la maison un grand bruit de petits souliers, et trois têtes blondes se montrèrent à la fenêtre. Ces trois têtes blondes se retournèrent d’un air effaré, au tapage qui se fit derrière elles: la chute d’une table, et peut-être bien un son de vaisselle cassée.

«Pauline! s’écria une voix de femme, est-il possible! l’encrier brisé et ta robe perdue!

— Maman... je suis bien fâchée... répondit une voix d’enfant dans laquelle on sentait des sanglots. J’ai voulu courir à la fenêtre... pour voir Carilès... et j’ai accroché le tapis de la table... Je ne sais pas comment j’ai fait...

— Je ne le sais pas non plus; mais voilà bien du dégât causé par ton étourderie. Va ôter ta robe, et apporte-moi de l’eau chaude pour laver par terre.

— Je vais tâcher de laver ma robe, maman, dit la petite toute honteuse.

— C’est inutile; l’encre ne s’en va pas au lavage. Ote ta robe, ou tu vas mettre de l’encre à tous les meubles.»

Il y eut un moment de silence. Pauline changeait de vêtements en soupirant. La mère, tout en continuant de repasser pour le lendemain dimanche trois chemises d’homme en miniature, songeait aux moyens d’économiser sur la dépense du mois de quoi remplacer la robe tachée, une si bonne robe de laine qui aurait pu faire tout l’hiver! et Carilès, debout devant la fenêtre, attendait. Les trois garçons lui dirent tristement tout bas:

«Pauline a taché sa robe... c’est cher, une robe neuve... maman ne pourra pas nous acheter de moulins aujourd’hui.»

Une idée traversa le cerveau de Carilès. Quelle bonne idée! Pauline n’était guère plus grande que Miette... Allons, un peu d’audace, père Carilès!

«Madame... madame... dit-il timidement à la jeune mère, est-ce qu’elle est tout à fait perdue, la robe de la petite demoiselle?

— Ah! c’est vous, père Carilès! Mon Dieu, oui; tout le devant est plein de taches, et la jupe n’est pas assez large pour qu’on enlève le morceau. C’est une robe bonne pour le chiffonnier.

— Oh! alors, madame, reprit Carilès en faisant tourner un moulin entre ses doigts en manière de contenance, si vous vouliez me donner la préférence, je vous l’achèterais bien, moi!

— Est-ce que le métier ne va plus, père Carilès, que vous voulez vous faire revendeur de vieilles nippes?» demanda avec étonnement la jeune femme.

Les trois garçons éclatèrent de rire à cette idée, en répétant: «Le père Carilès qui veut se faire chiffonnier! » Pauline n’aurait pas demandé mieux que de rire aussi, mais le remords la maintint dans la gravité qui convient aux coupables.

«Excusez, madame, reprit Carilès, une fois n’est pas coutume, et je n’ai pas envie de changer mon métier. Que diraient les petits enfants! C’est, voyez-vous, que j’ai une petite fille, et pas de robe à lui mettre; vous comprenez?

— Vous avez une petite fille! Et depuis quand?

— Depuis hier, madame; c’est toute une histoire: je vais vous la dire, parce que vous êtes bonne, et que vous ne la raconterez pas aux saltimbanques, si vous les voyez.»

Carilès s’accouda sur la fenêtre et raconta l’histoire de Miette. Les quatre enfants l’écoutaient bouche béante, et la mère laissait reposer ses fers à repasser:

«Et voilà !» conclut Carilès quand il eut fini, en poussant un grand soupir, comme un homme essoufflé d’avoir fait un si long discours. Puis il leva les yeux vers la jeune femme, pour voir l’effet de son récit.

Carilès, debout devant la fenêtre, attendait.


Elle souriait doucement, et rien n’était plus joli et meilleur que ce sourire, brillant à travers les larmes qui voilaient ses doux yeux bleus: on eût dit un rayon de soleil après une ondée d’avril. C’était la bonté même que cette petite madame Terrasson, la mère des quatre petits clients de Carilès. Elle n’était pas bien riche: les appointements de son mari, employé dans une grande maison de commerce, suffisaient tout juste à faire vivre la petite famille; mais quand on n’a pas dans le cœur la plus petite pointe d’égoïsme, on trouve toujours moyen de. rendre heureux les gens de chez soi, et même un peu ceux du dehors; et s’il y avait dans l’univers quelqu’un à qui madame Fanny Terrasson ne pensât jamais, c’était sûrement elle-même. Aussi était-elle toujours contente, et trouvait-elle que la vie de ce monde regorge de satisfactions de tout genre. Le pain était cher, mais quelle joie de voir les enfants y mordre de si bon appétit, et de se dire qu’on n’avait pas dépensé un sou chez le pharmacien depuis une époque qui se perdait dans la nuit des temps! Les souliers s’usaient bien vite: cela ne prouvait-il pas que les pieds qu’ils chaussaient étaient alertes? Les pantalons devenaient trop courts avec une rapidité effrayante: bah! en nettoyant sa robe de l’année dernière, la mère de famille pourrait encore s’en contenter, et acheter des vêtements neufs aux garçons. Quel plaisir de les voir pousser comme le blé au printemps! Quels beaux hommes cela ferait un jour! Madame Terrasson, comme toutes les petites femmes, avait un grand dédain pour les petits hommes.

Avec cette disposition à voir toujours le bon côté des choses, elle trottait dès le matin à petits pas, comme une souris, toujours active, soignant ses enfants et son ménage, et faisant réciter la table de multiplication ou les fables de la Fontaine tout en surveillant un roux ou en savonnant du linge. Ses enfants l’adoraient, et comme elle ne leur parlait jamais de la peine qu’elle se donnait pour eux, ils étaient toujours disposés à lui en épargner le plus possible. Ils n’enviaient pas les joujoux des enfants riches: ils savaient que cela coûtait beaucoup d’argent et que maman n’en avait guère. Ils se proposaient de travailler quand ils seraient grands pour la couvrir de soie et de velours; et l’aîné, Georges, ayant un jour dit avec regret: «Oui! mais maman sera vieille dans ce temps-là !» les autres s’étaient fâchés et l’avaient quitté, indignés qu’on pût prévoir une pareille chose.

La jeune femme donc, tout émue, adressa un signe de tête amical au père Carilès.

«Vous êtes un brave homme! lui dit-elle. Je vais vous donner la robe et quelques autres petites choses. Finissez votre tournée dans l’avenue, le paquet sera prêt quand vous repasserez par ici.»

Elle ne lui demanda point ce qu’il comptait faire de l’enfant; il ne lui vint pas même à l’esprit qu’il fût possible de ne pas la garder. Elle alla prendre la robe et se mit à pomper les taches d’encre avec du papier buvard, pour les empêcher de s’étendre, en se disant qu’à quelque chose malheur était bon, et que la maladresse de Pauline profiterait au moins à quelqu’un. Cette pensée lui enleva si bien tout regret, qu’elle se mit à chantonner en ouvrant et en fermant des tiroirs; et Pauline, qui l’observait du coin de l’œil, se crut assez pardonnée pour oser lui apporter silencieusement la moins manchote de ses trois poupées à ressort, qu’elle déposa avec un geste éloquent sur le paquet que faisait sa mère. La mère lui sourit et l’embrassa.

«Voilà pour la petite, père Carilès, dit-elle au marchand qui revenait. J’ai mis avec la robe un tablier qui en cachera à peu près les taches, et puis quelques vieilles chemises qui peuvent encore servir un peu, un jupon, deux paires de bas et des souliers.»

Carilès prit le paquet, mais il ne dit rien: les grandes émotions sont muettes. Seulement, tirant de son étalage quatre de ses plus beaux moulins, — des moulins de deux sous! — il les mit dans les mains des enfants, et s’enfuit en allongeant tant qu’il pouvait ses longues jambes.


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