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Elle grimpa dans le râtelier.


CHAPITRE III

Table des matières

Rencontre au pied d’une borne.

Miette n’avait pas fait semblant de dormir; l’innocente était bien incapable d’accueillir une idée aussi compliquée que celle-là. Seulement, au moment où ses yeux commençaient à se fermer, elle avait entendu parler de la «patronne», et ce mot avait suffi pour la réveiller complètement. La patronne! cette femme qu’on avait portée en terre le matin, et dont les trois saltimbanques se partageaient les dépouilles, était sa mère à elle, Miette! C’était la seule personne qui lui eût jamais montré de l’affection. Miette se souvenait vaguement d’avoir eu un père, qui s’était tué en tombant, un jour qu’il dansait sur la corde. Depuis ce jour-là, sa mère était restée triste; elle pleurait souvent et se montrait parfois brusque envers Miette. Voltigeur était venu habiter la baraque, pour danser sur la corde à la place du père de Miette; et l’enfant se rappelait que bien des fois, quand on la croyait endormie, ces trois hommes, Voltigeur, Paillasse et Lavocat, avaient cherché querelle à sa mère, qu’il était question d’elle, qu’ils voulaient lui faire du mal, et que sa mère la défendait. La pauvre petite avait toujours eu peur d’eux sans savoir pourquoi, et maintenant elle se trouvait sans défense entre leurs mains! Elle les écoutait; tout à coup elle frémit; elle avait compris ce qu’ils disaient. Miette fut saisie d’une terreur profonde, et, voyant une porte ouverte, elle y courut, et s’enfuit sans regarder derrière elle.

Elle se trouvait dans la cour de l’hôtellerie. Au fond d’une écurie, située de l’autre côté de la cour, elle vit briller une lanterne: elle entra. Au-dessus du râtelier où mangeaient les chevaux, elle aperçut une lucarne dont la vitre était cassée. S’aidant d’une fourche appuyée contre le mur, elle grimpa dans le râtelier, parvint à la lucarne, se pencha, et vit au-dessous d’elle une petite rue sombre où l’on avait rangé des charrettes vides; l’une de ces charrettes, avec sa capote de cerceaux recouverts de toile, montait presque jusqu’à la lucarne. Miette sortit ses petites jambes, les laissa pendre un instant, mesura la distance et sauta. Elle ne se fit pas de mal; elle glissa doucement jusqu’à terre, et reprit sa course, effrayée au moindre bruit, retenant son haleine, et croyant entendre de tous les côtés des pas et des voix qui la poursuivaient. Elle quitta sa rue pour une autre, puis celle-ci pour une troisième, effarée, ne sachant où elle allait, et cherchant seulement à s’éloigner de ses persécuteurs. Cependant la nuit se faisait de plus en plus noire; Miette, brisée de fatigue, ne se soutenait plus qu’à peine. Plusieurs fois, elle tomba, se releva, fit quelques pas encore; enfin, son pied rencontra un caillou qui la fit trébucher. Dans sa chute, cette fois, son front se heurta à une borne de pierre placée contre la porte d’une maison, et la douleur fut si violente, que l’enfant s’évanouit.

Pendant qu’elle gisait là, glacée et mourante, les saltimbanques, croyant qu’elle était sortie par la grande porte du Chêne d’Aaron, la cherchaient sur la place et dans les rues voisines; et Carilès, ayant fumé sa pipe et bu sa chopine de vin de Vallet, prenait congé de l’hôte et se dirigeait vers son logis. Il sifflotait pour se réchauffer, car il avait froid, et une bise aigre s’était levée après le coucher du soleil. Il longea quelques instants les maisons de la place, et prit une rue qui tournait à gauche et s’enfonçait entre les pâtés de maisons situés derrière l’hôtellerie.

«Fait-il noir! se disait-il. Encore si ma pipe n’était pas éteinte, elle m’éclairerait un peu; mais le moyen de la rallumer avec un pareil vent! C’est égal, je ne dois pas être loin de chez moi, et je crois que je peux commencer à tâter les portes, pour reconnaître la mienne... Hein!... qu’est-ce que c’est que cela?»

Cela, c’était le pauvre petit corps de Miette, que le pied de Carilès venait de rencontrer d’une façon-fort inattendue. Carilès surpris recula d’un pas, et chancela; heureusement qu’il se retint, sans quoi il serait tombé sur Miette ou sur la borne, ce qui eût été fâcheux pour la petite fille ou pour lui. Mais il lâcha ses moulins, qui tombèrent à terre. Rentré en possessionelle son équilibre, il s’en vint reconnaître la cause de son accident.

«Un paquet de linge? se dit-il. Non, c’est vivant. C’est bien petit. Un enfant, je crois. Qu’est-ce qu’il peut faire au coin de ma borne? Il ne fait pas un temps à dormir dans la rue. Pauvre petit diable! je vais le réveiller, et je lui ferai cadeau d’un moulin à vent, s’ils ne sont pas tous aplatis.»

Tout en parlant, il avait ouvert sa porte, et, abrité contre le vent, il avait allumé une allumette, pour se rendre compte de la situation. Il vit à ses pieds ses moulins, qu’il ramassa, et, près de la borne, Miette toujours inanimée.

«Tiens! c’est la petite fille de ce soir. Comment a-t-elle fait pour venir de ce côté-ci? Elle s’est fait mal, elle saigne, et elle ne bouge pas plus qu’une morte. Et le fait est qu’elle pourra bien être morte demain matin, si elle reste toute la nuit au froid, sur le pavé. Comment faire? S’il passait quelqu’un dans la rue, il me dirait peut-être où la porter; mais il ne passe plus personne à cette heure-ci. On ne peut pourtant pas la laisser là : je vais voir s’il y a dans la maison quelque femme qui veuille s’occuper de cette petite.»

Et Carilès releva l’enfant, entra avec elle, et ferma la porte.


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