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Ouvrez-moi cette petite bouche.


CHAPITRE VI

Table des matières

Fin du malentendu.

Carilès ne s’attendait pas à produire un tel effet, et il fallait bien que Miette ne l’eût pas regardé, pour le traiter en Croquemitaine. Il grelottait un peu, faute de lévite, mais il avait l’air de bonne humeur, réjoui qu’il était par l’idée de faire avaler à la petite fille le bon lait chaud qui fumait dans son petit pot. Il le posa sur la table, alla refermer la porte, et prit son écuelle et son pain dans l’armoire.

«Allons, la petite, allons, le petit oiseau farouche, dit-il, n’ayons pas peur: Carilès ne mange pas les petits enfants. Avons-nous bien dormi? Avons-nous faim ce matin? La mère Gauvreau faisait chauffer son lait: aux premiers arrivés la bonne crème! La voilà bien épaisse sur le petit pot. Venez manger la bonne soupe, mignonne! »

Miette, aux accents de cette voix bienveillante, avait senti ses craintes se calmer un peu. Elle ôta ses bras de dessus ses yeux, et détourna un peu la tête...

Mais à ce moment Carilès ouvrait son couteau pour couper le pain, et le couteau de Carilès était fort grand; il n’en avait qu’un, et comme il s’en servait pour couper dans la campagne les baguettes au haut desquelles il perchait ses moulins à vent, on comprend qu’il lui fallait un couteau solide. Miette crut sa dernière heure sonnée, et, folle d’épouvante, ne voyant nulle issue pour s’enfuir, elle vint se jeter aux pieds de Carilès en criant:

«Oh! mon bon monsieur! je vous en prie, ne me faites pas de mal! je ne vous ai rien fait!»

Carilès fut tout ému. Il ne comprenait pas très-bien, mais il voyait que la petite avait peur de lui, et cela lui faisait de la peine; il n’était pas habitué à faire peur aux enfants.

«Du mal! reprit-il. Que veut-elle dire? Ah! ce sont les hommes d’hier soir qui lui ont fait venir ces idées-là. Est-ce que tu me prends pour un saltimbanque, petite?

» Je suis le père Carilès, le marchand de moulins à vent, et tous les petits enfants rient quand ils me voient. Je t’ai trouvée cette nuit à moitié morte dans la rue, et je t’ai prise pour te faire revenir. Allons, n’aie pas peur de moi.

— Ils ne sont pas avec vous derrière la porte? demanda Miette encore inquiète.

— Qui?

— Lavocat, et puis Voltigeur, et puis...

— Ah! les saltimbanques: j’y suis. Eh non! ils n’y sont pas. Est-ce que je connais des gredins pareils, moi? Je les ai entendus hier soir au Chêne d’Aaron, où je buvais chopine, et je les ai vus se lever en colère pour courir après toi. Mais ne crains rien, ce n’est pas ici qu’ils viendront te chercher. Allons, c’est fini, ce chagrin? Ne pleurons plus, et mangeons la soupe. Ouvrez-moi cette petite bouche, et houp!»

Tout en parlant, il avait coupé des tranches de pain et les avait mises dans l’écuelle: il les avait arrosées de lait chaud; il avait pris sa cuiller de fer.

Puis il avait soufflé sur la cuillerée de soupe pour la refroidir; et sur ce «houp!» il l’introduisit dans la bouche que Miette venait d’ouvrir comme par instinct.

Après la première cuillerée, une seconde, une troisième: Miette avait grand’faim. Carilès riait de bon cœur; il y avait longtemps qu’il ne s’était tant amusé. Il prit un tel plaisir à ce jeu, qu’il ne s’arrêta que quand l’écuelle fut vide.

«Voyez-vous, comme elle avait faim, la pauvre brebis! dit-il en caressant de sa grosse main la tête de Miette. On sera sage à présent, on n’aura plus peur, n’est-ce pas? Il faut que j’aille voir si la mère Gauvreau a encore du lait chaud pour mon déjeuner.

— C’est votre déjeuner que j’ai mangé ? s’écria vivement Miette.

— Eh non! puisque tu l’as mangé, c’est bien le tien, repartit Carilès en riant. Mais il en faut un autre pour moi, et je vais le chercher.»

Les yeux de l’enfant se remplirent de larmes. Elle prit la grosse main rugueuse de Carilès et l’embrassa.

«Je vous aime bien! lui dit-elle.

— A la bonne heure! Je savais bien que ça viendrait. Et pourquoi est-ce que tu m’aimes, à présent?

— Parce que vous vous êtes privé pour moi. Personne n’a jamais fait cela, pas même maman; elle me soignait bien, mais elle me faisait ma part, toute petite, et elle ne m’aurait pas laissé prendre une bouchée de plus.

— Pauvre petite! c’est qu’elle n’était pas riche, sans doute.

— Et vous, êtes-vous riche ou pauvre?»

Carilès fut un peu embarrassé. Miette n’avait pas mis de malice dans sa question, et l’idée ne lui vint pas, à lui, d’en mettre dans sa réponse; seulement il n’avait pas d’opinion faite là-dessus, et il trouvait difficile de s’en improviser une. A la fin, il reprit, en enfilant, pour sortir, les longues manches de sa lévite:

«Dame! Je ne sais pas trop. Vois-tu, je ne suis pas riche, puisque je n’ai pas beaucoup d’argent; mais je ne suis pas pauvre non plus, puisque je n’ai besoin de rien.»

Miette leva sur lui de grands yeux étonnés. Elle n’était pas habituée à cette philosophie à l’égard de l’argent. Toute petite, au lieu du chant d’une nourrice, c’était le tintement des petites pièces et des gros sous qui avait bercé son sommeil. Chaque soir on comptait la recette auprès du grabat où elle s’endormait, et, après l’addition, c’étaient des lamentations sans fin sur la dureté des temps et sur la cherté de la vie. Généralement, cela finissait par des querelles. Aussi ce vieillard, qui était gai et de bonne humeur quoiqu’il n’eût pas beaucoup d’argent, paraissait-il à Miette un être extraordinaire.

«Allons, lui dit Carilès, en riant de la mine qu’elle faisait, reste tranquille pendant que je vais chercher mon déjeuner. J’irai jusqu’à la place Bretagne pour voir si les gens d’hier soir y sont encore; il ne faudra pas que tu sortes avant qu’ils soient partis.»


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