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AVIS A LA POPULATION

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Table des matières

«Le 25 août 1914, les habitants de Lunéville ont fait une attaque par embuscade contre les colonnes et trains allemands. Le même jour, des habitants ont tiré sur des formations sanitaires marquées par la Croix-Rouge. De plus, on a tiré sur des blessés allemands et sur l’hôpital militaire contenant une ambulance allemande. A cause de ces actes d’hostilité, une contribution de six cent cinquante mille francs est imposée à la commune de Lunéville. Ordre est donné à M. le maire de verser cette somme en or (et en argent jusqu’à cinquante mille francs) le 6 septembre, à 9 heures du matin, entre les mains du représentant de l’autorité allemande. Toute réclamation sera considérée comme nulle et non arrivée. On n’accordera pas de délai.

«Si la commune n’exécute pas ponctuellemant l’ordre de payer la somme de six cent cinquante mille francs, on saisira tous les biens exigibles. En cas de non-paiement, des perquisitions domiciliaires auront lieu et tous les habitants seront fouillés. Quiconque aura dissimulé sciemment de l’argent ou essayé de soustraire des biens à la saisie de l’autorité militaire, ou qui cherche à quitter la ville, sera fusillé. Le maire et les otages pris par l’autorité militaire seront rendus responsables d’exécuter exactement les ordres sus-indiqués. Ordre est donné à M. le maire de publier de suite ces dispositions à la commune.

«Hénaménil, le 3 septembre 1914.

«Le commandant en chef,

«VON FASBENDER.»

J’ai vu, à Lunéville, de nombreux immeubles détruits par le fer ou par le feu: la mairie, la sous-préfecture (ancien hôtel Brissac), atteintes, croit-on, par les obus français; la cité ouvrière de la faïencerie, rue de Viller; un groupe d’importants immeubles qui formaient un côté de la place des Carmes, derrière la statue de l’abbé Grégoire; un côté presque entier de la rue Castara...

Et certainement j’en oublie beaucoup, car je n’ai pas tout vu. La pauvre ville a beaucoup souffert de l’invasion; mais c’est une cité robuste, qui saura panser rapidement ses blessures.

Nomény est un joli chef-lieu de canton de l’arrondissement de Nancy, situeé au nord de la capitale lorraine, sur la Seille, c’est-à-dire près de la frontière.

Le 20 août, après Mohrange, les Bavarois y pénétrèrent derrière nos troupes en retraite.

Ce malheureux bourg fut le théâtre de scènes terrifiantes, dont j’eus connaissance par un jeune homme qui avait réussi à s’échapper et à gagner nos lignes.

Lorsque les Bavarois arrivèrent, le bourg paraissait vide, car toute la population s’était enfermée dans les caves pour éviter les balles et les obus.

Les portes et les fenêtres furent enfoncées à coups de crosse, et les pauvres gens entendirent des voix rauques crier: «Raous! Dehors!»

Ils sortirent, et ce fut le massacre.

Le feu avait été mis aux quatre coins du bourg, et nombre de maisons flambaient.

Dans cet enfer, les Bavarois s’agitaient comme une bande de démons en hurlant des injures et tuaient sans pitié toutes les personnes qui sortaient des caves ou que le feu et la fumée chassaient de leur maison.

Mon jeune homme, qui avait reçu une balle dans l’épaule et était tombé entre deux cadavres, dans une mare de sang, eut la bonne idée de faire le mort et put, en rampant, la nuit venue, sortir de l’enfer de Nomény.

Il me raconta qu’en passant dans le faubourg de Nancy, il avait vu, à la lueur sinistre des flammes, parmi plusieurs corps étendus sans vie, ceux d’un garçonnet de dix à onze ans et d’une fillette de deux à trois ans. Auprès de ces cadavres, une femme, blessée, hurlait de douleur et demandait la mort à grands cris.

Il avait su, depuis, que les enfants étaient ceux des époux Kieffer et que leur père se trouvait également parmi les victimes.

Un de ses compatriotes lui apprit aussi que, le lendemain, la bataille ayant recommencé, les Allemands avaient emmené une cinquantaine de personnes en première ligne, dans l’espoir, sans doute, d’arrêter ou du moins de gêner le feu des Français.

Nombreuses furent les victimes dans la région qu’a occupée mon régiment, autour de Lunéville, de Crévic et à Grévic même.

Il est peu de villages, de hameaux, de fermes, où les Allemands sont entrés, qui n’ait été le théâtre de quelque crime contre l’humanité.

Bois bouleversé par les lance-bombes.


Il est probable qu’en ravageant tout sur leur passage, en mettant tout à feu et à sang, nos ennemis espéraient affoler les populations, les pousser à demander la paix.

De même que certains tyrans ont régné par la terreur, ils ont voulu vaincre par la terreur.

Ils se sont trompés.

Le carnet de campagne du sergent Lefèvre, 1914-1916

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