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LE DUC DE BOURGOGNE,

Table des matières

LOUIS-FRANÇOIS-XAVIER DE FRANCE.

Rien ne peut se comparer aux manifestations de la joie publique à l’occasion de la naissance de Louis-François-Xavier, duc de Bourgogne, que celles qui avaient éclaté, un siècle auparavant, lorsque naquit à Versailles cet autre duc de Bourgogne, qui fut le père de Louis XV. La foule alors s’était portée jusque dans les appartements de madame la dauphine, sa mère; des feux de joie avaient été allumés dans les cours du château, et l’on y jeta les lambris et les parquets destinés à la grande galerie. Et quand Bontemps vint se plaindre de tels désordres à Louis XIV: «Qu’on les laisse se réjouir, répondit le roi, nous aurons d’autres parquets!»

Ces deux ducs de Bourgogne devaient avoir des destins semblables: naître, croître rapidement en vertus et en science, pour bientôt disparaître!

Le jour qu’on suppléa les cérémonies du baptême au jeune duc de Bourgogne, le dauphin, son père, se fit apporter le registre de la paroisse où était inscrit son nom, et le lui montrant suivi et précédé de celui des fils de quelques obscurs artisans, il lui dit: «Vous le voyez, mon en-

«fant, aux yeux de Dieu, les conditions sont égales, et il

«n’y a de distinctions que celles que donne la vertu. Vous

«serez estimé plus grand que ces enfants, mais ils seront

«plus grands que vous devant Dieu, s’ils sont plus ver-

«tueux.»

Ces idées, qu’enseignent la religion et la raison, étaient alors généralement assez méconnues pour qu’il ne fût pas inutile de les enseigner solennellement à celui qui était le petit-fils de Louis XV, et qui devait monter sur le trône naguère occupé par Louis XIV. M. le duc de Bourgogne garda un continuel souvenir de cette grave leçon. On vit bien, par les efforts qu’il fit pour devenir un homme savant et vertueux, qu’il voulait mériter le rang suprême qu’il tenait du hasard et de la naissance. M. le duc de La Vauguyon fut son gouverneur. On commença à l’instruire, pour ainsi dire, au sortir du berceau. Il avait, au reste, un désir naturel d’apprendre; il voulait tout connaître; il faisait mille questions sur les objets qu’il voyait, et l’on avait ordre de le satisfaire. Il nous paraît à propos de dire dans tous ses détails la méthode suivie pour l’instruction de M. le duc de Bourgogne.

Dès l’âge de quatre ans, pour donner un aliment à l’extrême activité de son esprit, on lui faisait des lectures lentes et suivies; on répondait à toutes ses questions, puis on lui montrait des gravures représentant les faits racontés; on les expliquait minutieusement. On parvint ainsi à lui donner des notions succinctes sur les principales sciences, et notamment sur l’histoire. On s’aperçut bientôt qu’il avait un goût décidé pour les sciences exactes: on lui avait parlé de mathématiques, de géométrie; il voulut avoir une définition de celte science, ensuite il demanda qu’on lui en enseignât les premiers éléments. On crut devoir accéder à ce désir, encore bien qu’il n’eût pas atteint cinq ans. Il était admirablement bien organisé pour ces études, car il y fit des progrès extraordinaires. Ses maîtres lui donnaient toutes les définitions bien exactement, et lui laissaient le plaisir de résoudre seul les problèmes, ce à quoi il parvenait toujours. La joie du succès lui faisait oublier toutes les difficultés vaincues pour y parvenir; de cette manière on lui rendit agréables des études naturellement ardues et pénibles; aussi disait-il qu’il allait jouer quand venait l’heure de ses leçons de mathématiques. Aucune science ne lui offrait plus d’attraits; de la théorie il passa bientôt à la pratique.


«Ce fut, dit M. de Pompignan, qui a écrit son histoire, dans le printemps de l’année 1757 qu’il fit à Meudon ses premiers essais de géométrie pratique.» C’était plaisir de le voir, la règle, l’équerre, le compas à la main, opérer comme un arpenteur consommé. Madame la dauphine aimait surtout à voir son fils prendre cet exercice, où il montrait une intelligence et une grâce infinies; il faut bien se rappeler qu’il n’avait encore que six ans.

Si l’on avait concentré toutes ses facultés sur cette seule science, il n’est pas douteux qu’on en eût fait une petite merveille; mais M. le dauphin avait le sens trop droit pour ambitionner un tel résultat: il voulait, avec raison, que son fils, destiné à gouverner un jour, eût des connaissances saines, mais ordinaires, sur toutes choses, et non pas de merveilleuses en une seule science. Le plan d’éducation suivi pour ce jeune prince embrassait en effet les principales connaissances humaines, et il eut tant d’application, qu’à l’âge de neuf ans, où il mourut, il savait déjà la géographie, les mathématiques, l’histoire; il avait une connaissance suffisante des principaux ouvrages écrits sur l’art militaire, et il les comprenait avec une facilité et une promptitude véritablement étonnantes.

Cependant M. le dauphin voulait bien moins faire de son fils un savant qu’un bon citoyen. Aussi son éducation morale fut-elle plus soignée encore que son instruction scientifique. Ainsi on habitua de bonne heure le jeune prince à tenir une sorte de registre, sur lequel, jour par jour, il inscrivait lui-même le compte-rendu de ses occupations, de ses pensées, de ses actions, et même de ses fautes. Souvent on lisait au prince ce qu’il avait fait de bien ou de mal: ce moyen si ingénieux et si simple de lui rappeler ses fautes le porta à s’en corriger; et souvent, au moment de mal faire, il se retenait par la crainte seule d’avoir à s’accuser lui-même, et de faire connaître ainsi la mauvaise action qu’il aurait commise. Fatigué un jour de l’humeur brusque de son frère, le duc de Berri, il prit son journal, et pria son sous-gouverneur d’en lire quelques passages. Dans un article où le prince avait été assez maltraité, le lecteur baissa la voix et semblait vouloir passer outre: «Allez, allez jusqu’au bout, monsieur, je crois m’être corrigé de ce défaut-là.» Ce fut ainsi qu’il avait imaginé de faire sentir au duc de Berri ses torts, sans être obligé de s’en plaindre à personne.

L’histoire rappelle une foule de circonstances dans lesquelles se firent remarquer sa docilité, son respect et son amour pour le roi, le dauphin, et particulièrement la dauphine, sa mère; son horreur pour le mensonge et pour les flatteurs dont il ne pouvait manquer de se trouver fréquemment entouré. Quelqu’un lui donnant des éloges qui sentaient l’adulation: «Vous me flattez, dit-il, et je n’aime pas qu’on me flatte. Le soir, en se couchant, il dit à son gouverneur: «Ce monsieur me flatte, prenez garde à lui.» Il était désireux de l’estime publique. Un jour qu’on l’entretenait de la maladie de Louis XV à Metz, et qu’on lui disait que ce fut à cette occasion qu’il reçut le surnom de Louis le bien aimé : «Ah! s’écria-t-il, que le roi dut être sensible à tant d’amour! et que je l’achèterais au prix d’une pareille maladie!» Combien furent nombreux les actes de bienfaisance et les privations qu’il s’imposait pour augmenter ses aumônes! Nous citerons entre autres l’anecdote suivante: le jeune prince désirait depuis longtemps une petite artillerie; on lui en avait trouvé une charmante du prix de cent louis; l’argent était prêt, et il se disposait à en faire l’acquisition, quand on parla devant lui du malheur d’un brave officier qu’une réforme subite venait de placer dans une position très-misérable et de laisser sans ressources. «Allons, s’écria aussitôt le petit duc de Bourgogne, plus d’artillerie!» Et à l’instant même, il fit porter au brave capitaine la somme destinée à l’acquisition par lui tant désirée.

Une vivacité naturelle jetait parfois notre jeune héros dans des écarts qui allaient jusqu’à l’emportement: dès qu’il s’en apercevait, il se hâtait de réparer sa faute et n’hésitait pas à se reconnaître coupable.

Ses reparties étaient toujours vives et spirituelles. On raconte qu’à l’âge de cinq ans, apprenant l’histoire de France dans des conversations familières avec son précepteur, il parut tout glorieux d’entendre dire qu’il y avait une longue suite de soixante-six rois depuis Pharamond jusqu’à son aïeul Louis XV; il paraissait croire que c’était une seule et même filiation. M. le duc de La Vauguyon crut devoir lui dire que l’on n’avait pas de preuves que les rois de la troisième race descendissent de la première, ni même de la seconde. «Au moins, monsieur, s’écria-t-il, je descends de saint Louis et de Henri IV!»

Ce jeune prince était né pour être brave. Il avait témoigné le désir de voir faire l’exercice aux chevau-légers. On lui donna le simulacre d’un combat et d’une attaque, avec un feu tout aussi vif et aussi terrible que dans les actions les plus chaudes. Lorsque le feu et le bruit commencèrent, il appuya les mains sur son front pendant toute la première décharge, sans dire un mot; ensuite il les retira, et avec sa gaieté ordinaire, il dit au duc de La Vauguyon: «J’ai voulu m’essayer, et je n’ai point été étonné du tout.»

Le duc de Brissac, qu’il aimait et qu’il estimait beaucoup, lui dit un jour: «Monseigneur, à votre première campagne, je demande d’être votre aide de camp. — Non, répondit-il, monsieur le duc, vous serez alors maréchal de France, et vous me donnerez des leçons.»

Il était surtout bon, dans toute l’acception du mot: il aimait mieux un grand mal pour lui qu’un petit pour les autres. Sa bonté fut la cause de sa mort.

Le jeune duc de Bourgogne courait et jouait d’aussi bon cœur qu’il étudiait. Descendant un jour avec trop de vivacité l’escalier de son appartement, il fit une chute très-grave et éprouva des douleurs très-aiguës au genou droit; mais, craignant d’alarmer sa mère et de faire réprimander les personnes commises à sa garde, il dissimula sa souffrance et ne se plaignit pas. Le mal ignoré fit de rapides progrès, un abcès survint, et il fallut lui faire une douloureuse opération. Avant qu’on y procédât, le prince voulut examiner les instruments qui allaient servir. «Allons, dit-il ensuite avec toute la fermeté d’un homme fait, je dois souffrir, afin de me guérir et de consoler ma tendre mère.» Après l’opération, qu’il supporta avec un courage qui ne se démentit pas, son père et sa mère le couvrirent de baisers; il les serra sur son cœur, pleura avec eux, et dit au dauphin: «Papa, si je pleure, c’est de joie au moins!»

A partir de ce moment, notre jeune et intéressant enfant ne put recouvrer une parfaite santé. Les espérances que successivement on eut de son rétablissement furent déçues. Sa plus grande inquiétude était pour ses études; il ne cessait de demander ses livres et les leçons de ses maîtres. On ne peut oublier ce billet touchant qu’il écrivit au dauphin, son père, se servant d’un crayon, à défaut d’encre et de plumes, qu’on avait soin d’éloigner de lui:

«Cher papa, je commence à mieux me porter. Je vous

«demande une grâce, vous m’aimez trop pour me la refu-

«ser: permettez-moi de continuer mes études. J’ai grand’-

«peur d’oublier le peu que je sais, et il y a beaucoup de

«choses que je désire apprendre.»

Affligé des ordres qui avaient supprime ses exercices classiques, il demanda à voir ses maîtres. «Ce n’est point, disait-il, pour prendre des leçons, mais j’aurai la satisfaction de les entendre parler des choses qu’ils m’ont apprises. »

Le mal fit de nouveaux progrès, une fièvre lente le consumait, bientôt toute espérance de le sauver fut perdue. Il se préparait de lui-même à sa fin, qu’il sentait devoir être prochaine. Quand vint le moment fatal, il dit à l’évêque de Limoges, qui l’assistait à ses derniers instants: «J’ai du courage, monsieur, j’ai fait le sacrifice de ma vie.» Ayant demandé son gouverneur, il lui dit: «Adieu, mon bon ami. Je vous remercie bien tendrement de vos soins. Consolez mon papa et ma chère maman.»

Ce fut ainsi qu’expira, dans sa neuvième année, cet auguste enfant qui avait donné de si grandes et si justes espérances.

Cette mort fit une grande sensation. Les philosophes jetèrent les hauts cris, et Diderot en accusa assez ouvertement le duc de La Vauguyon, disant que le duc de Bourgogne avait été la victime de son héroïque vertu, et que son gouverneur lui avait inspiré une piété trop vive. Étrange accusation! Sans doute cette mort prématurée fut tristement déplorable; mais, quand on songe que cet ange devait monter sur le trône où régna Louis XVI, ne doit-on pas regarder comme une récompense de ses vertus que Dieu l’ait appelé si tôt à lui?


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