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PIC DE LA MIRANDOLE.

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On peut diviser en deux catégories les enfants célèbres par leurs études et par leurs travaux: ceux qui ont eu le bonheur de naître de parents riches, instruits, et qui ont reçu d’eux une éducation soignée, intelligente et progressive; et ceux qui, nés dans la classe pauvre, n’ont dû leur instruction qu’à eux-mêmes, à une volonté forte et constante, à un travail pénible et rigoureux. Je compare les premiers à ces plantes qu’un habile jardinier cultive dans des serres chaudes, avant la saison: il engraisse leurs racines de sucs bienfaisants et générateurs; il concentre sur leurs têtes les rayons vivifiants du soleil, il les défend des insectes nuisibles et de toutes les intempéries. Les seconds ne sont-ils pas, au contraire, comme ces plantes qui naissent dans quelque coin ignoré du jardin, qui poussent d’elles-mêmes de vigoureuses tiges dont la tête dépasse bientôt les herbes qui les entourent, et qui doivent seulement à leur excellente nature, à quelque heureux accident, une croissance précoce qui les fait distinguer et cultiver ensuite avec soin par le jardinier intelligent?

Jean Pic de la Mirandole doit trouver une place honorable parmi les premiers. Tout concourut à le rendre l’enfant le plus extraordinaire de son siècle.

Au dire de ses historiens, un prodige signala sa naissance. Au moment où il entrait dans ce monde, on vit des tourbillons de flamme s’arrêter au-dessus de la chambre à coucher de sa mère, puis s’évanouir bientôt. Pic, son neveu, qui nous a laissé de lui une biographie assez étendue, ajoute:

«Ce phénomène eut lieu sans doute pour prouver que

«son intelligence brillerait comme ces flammes, et que

«lui serait semblable à ce feu; qu’il paraîtrait pour dispa-

«raître bientôt, et étonnerait le monde par l’excellence et

«l’éclat de son génie; que son éloquence serait des traits

«de flamme qui célébreraient le Dieu des chrétiens, qui

«lui-même est le véritable feu inspirateur. On a remar-

«que en effet qu’à la naissance ou à la mort des hommes

«doctes et saints, des signes extraordinaires se sont pro-

«duits, pour indiquer que c’étaient des créatures à part,

«qu’il y avait en eux quelque chose de divin, et qu’ils

«étaient destinés à de grandes choses. Pour n’en pas citer

«d’autres, je ne parlerai que du grand saint Ambroise. Un

«essaim d’abeilles se posa sur sa bouche, s’y introduisit,

«et, en sortant aussitôt, s’envola au plus haut des airs,

«se cacha dans les nues, et disparut aux yeux de ses

«parents et de tous ceux qui étaient présents à ce spec-

«tacle.»

Je n’ai rapporté ces paroles de Pic, sur la naissance de son oncle, que pour donner une idée exacte de l’opinion des contemporains sur cet homme célèbre, sans attacher d’autre importance au phénomène qui les a motivées. Quoi qu’il en soit, il est certain que sa mère en fut vivement frappée et fortement convaincue que son fils était promis à de grandes destinées; aussi veilla-t-elle d’une manière toute spéciale sur son éducation.

Jean Pic, comte de la Mirandole et de Concordia, naquit le 24 février 1463.

A peine le jeune enfant put-il parler, qu’on lui apprit à lire, et à peine sut-il lire dans sa langue maternelle, qu’on lui enseigna les éléments des langues mortes et étrangères.

Il profita au delà de toute espérance des leçons qui lui furent données, car il avait une mémoire prodigieuse. Dès sa plus tendre jeunesse, il lui suffisait d’entendre une seule fois réciter des vers pour pouvoir les répéter aussitôt, soit dans l’ordre naturel, soit en commençant par la fin. Pour être parvenu à cet étonnant résultat, sans doute il fallait que Pic eût reçu de la nature une bien heureuse organisation. Cependant, il est hors de doute que l’exercice précoce auquel on l’accoutuma a puissamment secondé cette prodigieuse facilité. La mémoire, qui est une des plus précieuses facultés de l’homme, est aussi celle qui s’agrandit le plus par l’usage. Les enfants même les plus ordinaires peuvent, par une bonne direction, acquérir une sorte de puissance mnémonique, dont ils sentiront le bienfait toute leur vie.

L’étude était toute la vie de Pic, sa seule passion, sa seule occupation, son seul plaisir; aussi était-il à quatorze ans déjà considéré comme l’un des premiers poëtes et des premiers orateurs de son siècle. A cet âge, il avait déjà composé cinq livres de poésie latine en vers élégiaques, et un autre grand nombre de poésies italiennes. Pic était cadet de sa maison, et, selon la coutume du temps, ses parents le destinaient à l’Église. Élevé dans les sentiments les plus pieux, il entra avec plaisir dans cette carrière; il alla à quatorze ans étudier à Bologne le droit canon. Là il montra cet amour de l’étude et cette intelligence si vaste qui le distinguaient. En fort peu de temps il fut l’élève le plus savant de cette célèbre académie. Il composa un abrégé des Décrétales, avec un si grand discernement, que les professeurs les plus habiles jugèrent que c’était un ouvrage digne de servir à l’éducation de la jeunesse. A peine eut-il appris toute cette science du droit canon, qu’il la jugea si vaine et si creuse, qu’il l’abandonna pour se livrer à l’étude des sciences naturelles. Il se rendit en conséquence à Rome, où brillaient alors des docteurs de grande renommée; mais il eut bientôt dépassé toutes les bornes connues de ces sciences, dans lesquelles il fit aussi d’étonnantes découvertes. Voulant enfin mettre le comble à sa réputation, il annonça qu’il soutiendrait une thèse sur toutes les sciences. Cette proposition phénoménale excita une vive curiosité ; les savants les plus distingués d’Italie s’empressèrent d’assister à cet étrange tournoi intellectuel, où un seul combattait contre tous. Pic répondit victorieusement à neuf cents questions qui lui furent posées dans sa fameuse thèse De omni re. Mais son savoir parut si prodigieux et excita tant de jalousie autour de lui, qu’on l’accusa de sorcellerie et de magie; à cette époque, c’était une accusation terrible et qui pouvait conduire tout droit au gibet ou au bûcher. Pic montra en cette circonstance qu’à un beau génie il savait allier un beau courage: il tint tète à l’orage, répondit à toutes les accusations, et finit par triompher. Cependant toutes ces persécutions, ces haines mesquines, l’avaient dégoûté du séjour de Rome. Il se mit à voyager dans les principales contrées de l’Europe. Il fut reçu à la cour de France par le roi Charles VIII avec toute sorte d’honneurs et de distinctions; il devint même l’ami de ce prince, qui désirait l’attacher à sa personne; mais après sept ans d’absence, il voulut revoir sa patrie.

Pic de la Mirandole avait toujours été non moins remarquable par les qualités du cœur que par celles de l’esprit, et s’était constamment distingué par une modestie réelle, une extrême douceur et une tendre piété. Cependant il avait la parole rapide et la repartie vive; il avait besoin de s’observer beaucoup pour ne pas se laisser aller dans la discussion à quelque vive épigramme. On raconte que, discutant un jour avec un de ces docteurs pédants et pesants dont toute la science se compose de quelques ouï-dire qu’ils n’ont jamais approfondis, comme celui-ci, qui ne le connaissait pas, soutenait, sans donner aucune bonne raison de son opinion, que tous les enfants précoces deviennent des hommes fort ordinaires, Pic, poussé à bout, finit par convenir du fait avec le bonhomme, puis il ajouta: «Je suis convaincu, docteur, que vous avez été un bien prodigieux enfant.» Mais bientôt il se repentit de cette vivacité et s’en excusa.

Pic avait dix-huit ans: il parlait, dit-on, douze ou treize langues; il était théologien et philosophe consommé ; il avait reculé les limites de la physique; il avait remporté tous les prix de poésie et d’éloquence; il était sorti vainqueur de toutes ces luttes de science, fort en usage à cette époque. Parvenu pour ainsi dire au sommet des connaissances humaines, il voulut donner au monde savant un grand exemple de piété. On le pressait de répandre ses poésies, et il allait les livrer au public, quand il vit que ces fruits de sa jeunesse ne seraient peut-être pas sans danger pour ceux qui s’en nourriraient, car il avait donné un caractère de galanterie à ses premiers ouvrages qu’il condamnait fortement: en conséquence, il en fit le sacrifice et les jeta tous au feu. Comme plusieurs de ses amis le voulaient détourner de cette action, lui disant que la poésie s’accommodait de la galanterie, il leur répondit: «Si la poésie ne peut fleurir qu’aux dépens de la chasteté, périsse à jamais la poésie plutôt qu’un instant la chasteté !» Depuis ce moment il s’adonna tout entier à l’étude des livres sacrés; il fit bientôt paraître un traité qui porta le nom d’Heptaples; c’étaient des dissertations sur les sept premiers jours du monde. Cet ouvrage est considéré comme son chef-d’œuvre; il n’avait guère que dix-huit ans lorsqu’il le fit paraître. Ce qu’il fit depuis, dit un de ses historiens, n’a été qu’une suite de semblables merveilles, dont la plus grande était celle d’avoir trouvé le moyen de faire usage de toutes les sciences des gentils, des Arabes et des Juifs, qu’il avait apprises par le secours de douze ou treize langues qu’il savait, et de les faire servir à la théologie, qu’il prétendait perfectionner. Il avait à cet égard formé de vastes projets: il méditait un ouvrage fort important, destiné à combattre et convaincre d’imposture les ennemis de la religion, quand Dieu le rappela à lui.

Pic de la Mirandole était venu passer quelque temps à Florence; il y fut saisi d’un accès de fièvre qui résista à tous les remèdes; il mourut au milieu des sentiments de la plus fervente piété. Il disait voir les cieux entr’ouverts et les anges qui rappelaient chantant d’indicibles cantiques. Il déclara un jour que pendant la nuit précédente la reine du ciel était venue le visiter, en répandant autour de lui les plus merveilleux parfums; qu’elle avait réchauffé ses membres glacés et brisés sous l’effort de la fièvre; qu’elle lui avait promis qu’il ne mourrait pas tout entier. Et tandis qu’il était en proie à la maladie, il croyait la voir se tenant à son chevet, le visage souriant.

Sur ces entrefaites, Chartes VIII, roi de France, ce glorieux ami de Pic, allant à la conquête de ce beau royaume de Naples qu’il prétendait lui appartenir, fit un matin son entrée à Florence. A peine arrivé, il envoya près de l’illustre malade ses médecins avec le titre d’ambassadeurs, pour le visiter et lui donner leurs soins; il les chargea en même temps d’une lettre écrite de sa propre main, dans laquelle il lui témoignait le plus vif intérêt. Pic répondit à ces ambassadeurs: «Messeigneurs, votre art ne

«peut plus m’être d’aucun secours. Je vais quitter la vie.

«et je m’en réjouis. Dites au roi votre maître que je res-

«sens une grande joie du souvenir dont il m’honore. Le

«roi de France est jeune encore, mais il apprendra, par

«mon exemple, que la mort ne connaît pas d’âge. Il

«cherche des triomphes et de la gloire: j’ai eu, dans ma

«vie, bien des couronnes; c’est au moment où je suis

«que je vois la vanité de cette gloire. Un seul royaume

«mérité d être conquis, c’est le royaume céleste; une

«seule couronne est digne des travaux de l’homme, la cou-

«ronne du juste. Allez, messeigneurs, et donnez au roi de

«France ce dernier conseil d’un homme qui l’aime, et qui

«va mourir.»


Puis il les congédia, ne voulant plus penser qu’à son salut. Il expira le jour même. Il avait à peine trente-deux ans. On lui fit des funérailles magnifiques. Charles VIII voulut que toute sa cour y assistât. On remarquait parmi ces grands personnages le chevalier Bayard, qui honorait, sans doute, en lui, bien plus l’homme vertueux que les avant.

La plus grande gloire de Pic n’est pas, assurément, d’avoir réuni en lui seul toutes les connaissances de son temps, d’avoir été aussi savant qu’il était possible de l’être à cette époque, et cela encore fort jeune, puisque, orné de tous les dons de la nature, riche, docte, beau, il sut conserver, au milieu de tous ses triomphes, une vertu sans tache; puisqu il rendit son âme à Dieu aussi pure, aussi belle, aussi innocente qu’il l’avait reçue de lui.

On ne peut s’empêcher de pleurer une mort si prématurée; mais on ne peut non plus s’empêcher de dire qu’il avait assez vécu, puisqu’il était mûr pour l’éternité.

Voici le portrait qu’on nous a laissé de lui:

Pic était d’une beauté remarquable, d’une douce carnation. Sa taille était haute et élancée; son visage était gracieux, d’une blancheur éblouissante, empreinte d’un pudique vermillon. Dans ses yeux respirait la vivacité. Ses -cheveux blonds étaient naturellement bouclés. Ses dents étaient parfaitement rangées et blanches comme l’ivoire.

On lui fit l’épitaphe suivante:

HIC SITUS EST PICUS, CUJUS SI CUNCTA PERISSENT

VIRTUTUM, SEPTEM VIX SAT ERANT TUMULI.

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