Читать книгу Vies des enfants célèbres de tous les temps et de tous les pays : Panthéon de la jeunesse - Julien Caboche - Страница 6

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FRANCESCO MICHELI.

Table des matières

Vers l’an 1664, il y avait à Tempi, petite ville au nord de la Sardaigne, une famille qui vivait heureuse au dedans, considérée au dehors; c’était celle d’un riche charpentier nommé Micheli. Micheli avait une épouse qui à une vertu sévère joignait tout le charme des plus heureuses qualités; belle et bonne, elle concentrait toutes ses affect ions sur son mari, son fils Francesco Micheli et deux petites filles qui annonçaient déjà, par la douceur de leur caractère et la vivacité de leur esprit, qu’elles ressembleraient à leur mère. Francesco, déjà industrieux, économe, aimant le travail, promettait aussi un digne successeur à son père, le meilleur artisan du pays. Rien ne semblait devoir troubler cette touchante félicité, quand une catastrophe épouvantable vint réduire toute cette famille à la misère. La plus jeune des deux sœurs s’avisa un jour d’attacher à la queue d’un chat un paquet d’allumettes enflammées; l’animal effarouché prit la fuite, et se précipita dans les ateliers du charpentier, allumant sur son passage les copeaux épars; en une minute le feu avait tout envahi. Micheli s’élance au milieu des flammes pour sauver ses deux filles, tandis que son épouse arrache à une mort certaine le petit Francesco. Les enfants furent sauvés, mais la pauvre mère eut la figure, les mains, les pieds brûlés. Elle resta mutilée et percluse pour le reste de ses jours; le malheureux Micheli trouva la mort au milieu des flammes, en voulant arrêter les progrès de l’incendie. Hélas! Dieu permet souvent que des malheurs imprévus tombent sur les familles, même les plus vertueuses, pour donner une preuve que rien n’est stable en ce monde, et que ceux-là sont bien imprudents qui placent leur félicité dans des choses périssables!

Toute cette famille éplorée fut donc réduite à aller chercher un asile dans une chaumière de la campagne voisine; quelque temps ils y vécurent des débris de leur ancienne prospérité, quelque temps encore des secours que n’osèrent pas leur refuser leurs anciens amis et leurs parents; mais c’est une bien triste nécessité que d’en être réduit à vivre des libéralités d’autrui. Sans doute il y a des âmes généreuses qui s’attachent au malheur, mais ce n’est que l’exception. Le jeune Francesco entourait sa mère infirme de soins, d’attentions de tout genre; mais il ne pouvait empêcher que souvent elle ne manquât du strict nécessaire. Il se révoltait à l’idée de ne devoir qu’à la pitié son existence et celle de sa chère famille, et il se sentait humilié de recevoir ce qu’il ne gagnait pas. Il résolut donc de faire tons ses efforts pour se tirer d’une si mauvaise situation, et pour se créer une indépendance dont il pressentait tout le prix, quoique bien jeune encore. C’est à peine si Francesco avait douze ans. Or, il avisa qu’il y avait beaucoup d’oiseaux de différentes espèces aux alentours du village qu’ils habitaient. Il fabriqua avec des osiers une grande volière; puis, au retour du printemps, il commença la chasse aux oiseaux; il grimpait aux arbres pour les dénicher, il leur tendait des piéges. Bientôt sa volière se trouva pleine; c’étaient des pinçons, des fauvettes, des roitelets, des linots, des merles, des mésanges, des ramereaux, des geais, des tourterelles, tout le peuple ailé des airs. Il cherchait les graines que ces oiseaux préfèrent et leur en donnait; il leur préparait des nids, il planta au milieu de sa volière de petits arbres où ils pussent se reposer; il étudia leurs mœurs, leurs habitudes, pour satisfaire tous leurs besoins. Bientôt cet industrieux enfant eut une belle et nombreuse collection de toutes espèces d’oiseaux; alors lui et ses sœurs, auxquelles il avait appris son nouveau métier, et qui le secondaient de toutes leurs forces, se mirent à fabriquer de petites cages en osier, qu’ils portaient pleines d’oiseaux tous les dimanches au marché de Suffari, ville voisine de leur habitation. Ils gagnaient peu, mais ce peu ils ne le devaient qu’à leur travail, et, en s’imposant de grandes privations, les pauvres enfants trouvaient encore avec ce peu le moyen d’offrir à leur mère de petites douceurs qui comblaient la bonne femme de joie et de bonheur. Francesco avait trop d’industrie et de courage pour se contenter de ce strict et rigoureux nécessaire; il était possédé par une louable ambition, celle de ne devoir qu’à lui seul le bonheur de sa mère et de ses sœurs. Il vivait au milieu de ses oiseaux: les observant sans cesse, il remarqua bientôt que l’habitude est chez eux comme chez nous une seconde nature, que l’instinct chez les animaux est assez puissant pour obtenir de leur éducation des résultats extraordinaires; il résolut en conséquence de faire une petite ménagerie d’animaux savants; aux uns il apprenait à siffler des airs charmants, à se taire ou à chanter à la parole, aux autres à se livrer à certains jeux sur des bâtons disposés dans les cages. Enfin il imagina une chose à cette époque entièrement inouïe: il prit une chatte angora fort jeune, il l’éleva au milieu des oiseaux, il l’instruisit à se laisser donner par eux des coups de bec et à leur servir de piédestal; il imagina aussi de faire battre ses oiseaux contre la chatte; alors les pinçons, les fauvettes, les mésanges fondaient sur Blanquette (c’était le nom de cette chatte) en escadrons pressés, chantant, criant, sifflant et becquetant à l’envi. D’abord la chatte faisait bonne contenance; mais bientôt elle prenait la fuite, puis revenait simulant la colère; les oiseaux s’enfuyaient alors en poussant des cris de désespoir. Enfin, au signal accoutumé, tout ce bruit cessait, la chatte s’asseyait au beau milieu de la volière, s’y secouait, s’y léchait, s’y grattait avec une dignité parfaite, et les petits combattants ailés, perchés cà et là, modulaient leurs plus douces chansons.

Ce spectacle si nouveau d’ennemis acharnés vivant ensemble si paisiblement et si joyeusement, attira une grande foule, et partant beaucoup d’argent au petit Francesco. Outre le bénéfice qu’il retirait des spectateurs qui venaient voir son intéressante ménagerie, il vendait encore fort cher des oiseaux auxquels il avait appris mille choses surprenantes. Enfin cet industrieux enfant était parvenu à son but, de pouvoir, par ses propres moyens, non-seulement vivre honorablement, mais encore procurer à sa mère tous les secours dont elle avait si grand besoin. Cependant il ne s’en tint pas à ce premier succès: son biographe nous raconte qu’il enseigna à des perdreaux différentes évolutions militaires. Il en prit dix, tous du même nid; après les avoir bien apprivoisés, il attela les uns à de légers canons et les habitua à les traîner assez régulièrement; il en affubla d’autres de petits costumes, et les arma de sabres. Ces artilleurs de nouvelle espèce manœuvraient d’une façon tout à fait comique autour du petit canon, au commandement de Francesco. La ligne droite et la ligne gauche allumaient à un brasier qu’on leur présentait de petites mèches, et, mettant le feu au canon, elles entendaient sans broncher le bruit de la détonation: elles restaient impassibles et fixes comme de vieux canonniers. Plus tard il perfectionna son invention à ce point que la bande de ses perdreaux se séparait en deux: partie faisait le service du petit canon, partie, armée de petits sabres, se précipitait sur les artilleurs; ceux-ci prenaient la fuite; mais bientôt après ils chassaient à leur tour les assaillants, reprenaient leur canon et tiraient sur les fuyards, dont quelques-uns tombaient raides, quelques autres s’enfuyaient au plus vite clopin clopant, criant et gémissant comme s’ils étaient bien grièvement blessés; mais tout à coup Francesco faisait un roulement de tambour: alors vaincus et vainqueurs, morts et blessés, se relevaient, voltigeaient ensemble et jouaient à qui mieux mieux.

Parmi ces étonnantes perdrix il s’en trouvait une plus surprenante encore que toutes les autres; et si le fait ne nous était attesté par un homme grave et sérieux, l’abbé Repéronci, nous hésiterions à le donner comme certain. Cette perdrix miraculeuse avait nom Rosoletta; elle suivait son maître ni plus ni moins qu’un chien; quand Francesco sortait, elle venait à l’instant se poser sur son épaule, et l’accompagnait en volant, si c’était à la ville, de maison en maison; si c’était à la campagne, d’arbre en arbre. Quand il arrivait qu’elle perdait de vue son jeune maître, un coup de sifflet de celui-ci la ramenait soudain. Mais ce n’est pas tout encore: Francesco était parvenu à se faire un aide de Rosoletta pour l’éducation des autres oiseaux; elle remplissait auprès de lui le rôle du chien auprès du berger; quelque oiseau indocile venait-il à s’égarer, Rosoletta d’un coup d’aile le ramenait au bercail; quelque étourdi dérangeait-il ses camarades, soudain il recevait de Rosoletta l’avertissement préalable, qui était suivi de la correction en cas de récidive.

On raconte que Micheli avait élevé un fort joli chardonneret avec une attention toute particulière; son éducation était terminée; Micheli allait le vendre un bon prix, quand l’élève, qui préférait la liberté des champs à la plus magnifique prison, profitant d’un moment d’inattention de son maître, prit soudain la fuite. Micheli était profondément désolé de cette perte; en vain il cherchait de tous côtés, en vain il l’appelait matin et soir; cinq jours s’étaient écoulés, et il avait tout à fait perdu l’espérance de retrouver jamais son fugitif, quand le sixième jour, au matin, il vit Rosoletta chassant d’arbre en arbre un oiseau qui criait et cherchait en vain à s’échapper. Quel ne fut pas son étonnement quand il reconnut dans le fuyard son gentil chardonneret, qui, voyant que toute espérance de liberté lui était désormais ravie, vint tout honteux se poser près de la porte de la volière, redemandant sa place bien malgré lui! Rosoletta triomphait: chantant victoire, battant des ailes, elle s’en vint becqueter Francesco en signe de joie.

Francesco Micheli était parvenu au comble de ses vœux; il vivait heureux, aimé ; il procurait à sa mère, à ses sœurs, une existence honorable et aisée, quand le malheur vint frapper encore cette estimable famille, éprouvée déjà par de si grandes infortunes. Francesco cueillit un jour des oronges, espèce de champignons excellents qu’on trouve en quantité dans le Midi; il ne sut pas distinguer les bons d’avec les mauvais, et comme parmi ces champignons il y en a de vénéneux, lui et sa sœur cadette furent empoisonnés.

Pendant trois jours que dura l’agonie de l’infortuné Micheli, sa mère et sa sœur aînée n’étaient pas les seuls êtres qui se désolaient à son chevet: la plupart des oiseaux élevés par ses soins, et qui l’aimaient beaucoup, voltigeaient autour de son lit; les uns se tenaient tristement blottis, les autres s’agitaient en vains efforts, quelques-uns poussaient des cris lugubres; presque tous ne prirent aucune nourriture tant que dura sa maladie. Francesco vit bientôt que son état était tout à fait désespéré ; il ne pouvait se consoler de laisser sa mère, sa sœur et ses chers oiseaux sans soutien. Il répétait sans cesse: «Que va donc devenir ma bonne mère, ma pauvre sœur? que vont devenir mes chers petits oiseaux?» Malgré ses horribles souffrances, Francesco ne cessa de s’occuper des êtres qui lui étaient chers; il s’enquérait à chaque instant de sa sœur, qui souffrait les mêmes tortures que lui. Enfin cet excellent fils, cet enfant plein de courage et d’industrie, mourut à peine âgé de quatorze ans. Sa perdrix Rosoletta donna surtout les marques du plus vif désespoir. On assure qu’au moment où l’on mit son maître dans le cercueil, elle voltigea tout autour, poussant des cris plaintifs, et finit par s’y poser. Vainement on l’en écarta à diverses reprises, elle revenait toujours; semblable à ce chien du vieux soldat, devenu historique, elle suivit le convoi funèbre, accompagna Francesco à sa dernière demeure, et ne le quitta plus jamais que pour aller chercher quelque nourriture. Tant qu’elle vécut, elle vint chaque jour se percher et dormir sur la gouttière d’une chapelle donnant sur le cimetière, appelé encore aujourd’hui le Cimetière du petit Oiseleur.



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