Читать книгу Vies des enfants célèbres de tous les temps et de tous les pays : Panthéon de la jeunesse - Julien Caboche - Страница 14
TURENNE.
ОглавлениеOn trouve dans l’enfance de presque tous les grands hommes des pronostics de leur mérite futur: celui-ci, qui fut un grand peintre, dessinait presque au sortir du berceau; celui-là, qui fut un poëte, faisait des vers contre vent et marée, au lieu d’auner le drap ou de peser le sucre dans le comptoir paternel. Le vicomte de Turenne, encore enfant, montra bien, par plusieurs actions, ce qu’il serait par la suite.
Il répétait sans cesse qu’il voulait être soldat; mais il était d’un tempérament si faible, qu’on ne croyait pas qu’il pût embrasser ce parti, et on ne s’en cachait pas en sa présence. Pour faire cesser cette opinion et prouver qu’il saurait supporter vaillamment les fatigues de la guerre, il mettait en pratique cette maxime qui lui fut familière par la suite, que, dans les circonstances difficiles, il faut agir et non raisonner.
Il prit, sans en rien dire à personne, la résolution de passer la nuit sur les remparts de Sédan, dont M. le duc de Bouillon, son père, était gouverneur. Le soir venu, on chercha partout le jeune vicomte; le chevalier de Vassignac, qui était son précepteur, se désespérait; on imputait à sa négligence la disparition du fugitif. La nuit était déjà bien avancée, et la plus grande inquiétude régnait au château. M. de Vassignac se démenait en tous sens, parcourant la ville, les rues, places et carrefours, quand on vint lui apprendre qu’on avait vu M. de Turenne sur les remparts de la ville, couché sur l’affût d’un canon. Notez que le froid était des plus rigoureux, qu’il était tombé la veille une grande quantité de neige. En effet, on le trouva dormant d’un profond sommeil, et on eut beaucoup de difficultés à le mener coucher au château: sa résolution était, disait-il, de passer la nuit à la belle étoile, comme les soldats. M. de Turenne pouvait avoir neuf ans quand il fit cette équipée.
Le jeune Turenne n’était pas ignorant des belles-lettres, il les cultivait même avec goût et avec fruit; de tous les auteurs, il préférait ceux qui retracent la vie des grands hommes de l’antiquité, et il les lisait avec une admiration passionnée. Un officier en visite chez Mme la comtesse de Bouillon s’avisa de lui dire un jour que l’histoire de Quinte-Curce, dont il faisait tant de cas, n’était vraisemblablement qu’un roman, où le plus grand nombre des laits étaient controuvés; le jeune Turenne soutint le contraire; l’officier ne voulut pas départir de son opinion, la dispute s’échauffa; la duchesse de Bouillon, pour voir ou iraient les choses, se mettait du côté de l’officier, excitant par la l’ardeur de son fils. Turenne se vit forcé de battre en retraite; mais quand il vit l’officier seul, il le provoqua en duel; on convint d’un rendez-vous pour le lendemain; le vicomte sortit pour aller, disait-il, à la chasse, et s’y rendit armé jusqu’aux dents. L’officier l’y joignit bientôt: les épées tirées, les combattants allaient fondre l’un sur l’autre, quand la duchesse de Bouillon parut, disant à son fils qu’elle voulait lui servir de second, puis elle l’embrassa et lui fit faire la paix avec l’officier.
M. de Turenne était bien loin cependant d’être querelleur ni mauvaise tête: on ne lui connut que ce projet de duel dans toute sa vie. On n’a peut-être jamais vu tant de modération unie à tant de bravoure.
Il était un jour au spectacle dans une loge où entraient deux jeunes gens qui ne voyaient pas pourquoi M. de Turenne, beaucoup moins bien habillé qu’eux, ne leur céderait pas la place de devant qu’il occupait, et cherchèrent à la prendre. Turenne croyait avoir de bonnes raisons pour la garder; l’un de ces étourdis, pour se venger du refus qu’il leur en fit, jeta le chapeau et les gants du maréchal sur le théâtre. Un jeune homme s’empressa de les rapporter, avec l’air le plus respectueux. Les impertinents, voyant à qui ils avaient affaire, s’enfuyaient confus, quand Turenne les retint en disant: Restez, messieurs, restez; en nous arrangeant, il y aura assez de place pour nous trois.
Un homme commit un jour la sotte indiscrétion de lui demander comment il avait perdu la bataille de Rhétel. Turenne lui répondit avec une simplicité magnifique: Je l’ai perdue par ma faute. Lui, le plus grand capitaine de son temps!
M. de Turenne naquit dans la religion réformée. Le cardinal de Richelieu, qui prévoyait ce que serait un jour le vicomte, lui offrit, lorsqu’il était tout jeune encore, une de ses plus proches parentes en mariage; mais le cardinal aurait voulu que le jeune vicomte fît abjuration, sans toutefois la lui imposer; Turenne, s’apercevant de cela, refusa nettement une si belle alliance. Plus tard, le cardinal Mazarin lui fit entendre que le roi rétablirait en sa faveur la charge de connétable, si lui-même n’y mettait obstacle par la religion qu’il professait. L’offre de la première charge de la couronne ne fut pas capable de lui faire quitter la religion calviniste, tant qu’il la crut la meilleure, comme nulle considération ne put le retenir quand il fut persuadé du contraire. Il abjura quand il fut parvenu au comble de la gloire, et qu’on n’aurait pu imputer son changement à aucun calcul indigne.
Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, naquit en 1611; il était second fils du duc de Bouillon, prince souverain de Sedan. En allant choisir une place pour dresser une batterie, il fut tué d’un coup de canon en 1675. Il n’y a personne qui ne connaisse les détails de cette mort qui jeta la France dans la consternation.