Читать книгу Théâtre de marionnettes - Laure Bernard - Страница 10
ОглавлениеJONATHAN, SAMUEL.
JONATHAN.
Souverain pontife Samuël, le roi, mon père, m’envoie vers vous pour savoir quelle est la volonté de l’Éternel, et pourquoi il a retiré sa faveur de dessus son peuple.
SAMUEL.
Allez, Jonathan, retournez vers Saül, auquel vous donnez à tort le nom de Roi. L’Eternel l’avait élu, pour lui obéir et gouverner son peuple avec sagesse, Saül a méconnu les ordres du Seigneur, et le Seigneur l’a rejeté.
JONATHAN.
Nous offrirons par vos mains des sacrifices pour apaiser la colère céleste.
SAMUEL.
Obéir, vaut mieux que sacrifier. Les holocaustes ne rachètent pas les vices auxquels on n’a pas renoncé. J’ai long-tems pleuré et prié pour que Saül eût le cœur touché en faveur du peuple, et qu’il rentrât en grâce devant le Seigneur. Le tems de la clémence est passé ; je n’ai plus à transmettre que l’annonce de la vengeance divine.
( Le Grand-Prêtre rentre dans le temple. )
JONATHAN seul.
▫Comment aller porter ces tristes paroles à mon père? Déjà le malin esprit s’est emparé de lui. Il souffre de grandes douleurs dans son corps, et semble parfois ne plus être en possession de sa raison.
( Jonathan s’en va. )
SCÈNE DEUXIÈME.
Un changement de décoration à vue représente le village de Bethléem. Plusieurs habitans, d’un aspect vénérable, parcourent la place publique et se parlent d’un air effrayé.
HABITANS, SAMUEL, ISAI, ELIAB,
ABINADAB, DAVID.
UN ANCIEN.
Avez-vous entendu annoncer la grande nouvelle?
UN AUTRE VIEILLARD.
Sans doute, le pontife arrive à Bethléem; mais nul ne sait s’il vient pour notre bien ou pour notre malheur.
UN ANCIEN.
Où est le tems où Samuël, plein de force et de sagesse, gouvernait à lui seul le peuple d’Israël; depuis que nous avons un Roi, tous les malheurs fondent sur nous.
SECOND VIEILLARD.
Samuël nous l’avait prédit en cédant à nos vœux. La royauté devait nous perdre.
UN ANCIEN.
Les jeunes gens méprisent l’expérience des vieillards. Ils souhaitaient un chef pour les conduire à la guerre, comme en ont les autres peuples. Tous les avertissemens du pontife ont été inutiles pour changer leur volonté.
SECOND VIEILLARD.
Il faut avouer que les fils de Samuël avaient soulevé de grands mécontentemens par leurs injustices.
UN ANCIEN.
Saül vaut-il mieux que Joël ou Abéja?
SECOND VIEILLARD.
Hélas non! Mais combien est grande la détresse d’Israël!
(Une foule de juifs arrivent sur le théâtre.)
PLUSIEURS VOIX.
Voici le pontife! que le Seigneur nous bénisse par son organe!
SAMUEL.
Peuple de Bethléem, bannissez toute crainte, la mission dont je suis chargé tournera à votre gloire. — C’est parmi vous que je dois choisir un nouveau roi.— Nous allons prier en commun et faire un sacrifice, car vos offrandes seront agréables à Dieu, et avant que le soleil se couche, je saurai quel est celui que le Seigneur a nommé pour occuper la place dont Saül s’est rendu indigne. ( Samuël s’adressant à un des anciens. ) Soyez attentif à rassembler tous les hommes de la tribu, car le sort peut tomber sur le plus faible aussi bien que sur le plus puissant, si telle en est la volonte divine.
(Le pontife s’en va pour accomplir le sacrifice; le
peuple le suit dans un respectueux silence. )
Entr’acte de quelques instans,
( Isaï, un des principaux habitans de Bethléem,
reparaît sur la scène entouré de six de ses fils.)
ISAÏ.
Mes fils, Samuël a déclaré que la royauté appartiendrait à l’un de vous; je vous ai donc appelés pour vous présenter au Pontife et le prier de désigner celui qui est destiné au dangereux honneur de remplacer Saül.
ÉLIAB.
Je ne vois point mon jeune frère David.
ISAÏ.
Eliab, sa présence est inutile pour ce qui va se passer. David est le plus faible d’entre vous et le dernier né. Il ne saurait être compté pour quelque chose. Je l’ai donc envoyé, comme à l’ordinaire, paître les brebis. Qu’en pensez-vous Abinadab?
ABINADAB.
David est habile à jouer de la harpe, il a la parole douce, mais son âge l’a jusqu’ici exempté de faire ses preuves de courage et de force: mon père a bien raison de ne pas l’appeler aujourd’hui.
SAMUEL. (Il revient sur la place publique et s’assied
sur un banc de pierre. )
Maintenant, dit-il, que le Seigneur a daigné mettre son esprit en moi, je vais reconnaître celui que je dois sacrer roi. Isaï et ses fils sont ils ici?
ISAÏ.
Nous nous sommes rendus à votre commandement.
(Ils s’avancent et passent l’un après l’autre
devant Samuël. )
SAMUEL.
La parole du Seigneur ne trompe pas, et cependant aucun de ceux-ci n’est désigné pour la royauté. Isaï, est-ce là toute votre famille?
ISAÏ.
J’ai encore un fils; mais il est bien jeune: sa taille est petite; néanmoins, si vous souhaitez de le voir, je puis le faire venir, car il est près d’ici à garder nos troupeaux.
(On entend les sons d’une harpe; tout le monde
écoute dans un respectueux silence. )
SAMUEL. (d’un ton inspire.)
Celui que le Seigneur a choisi arrive en ce lieu, il n’est pas besoin de l’aller chercher, il se rend de son propre mouvement à la volonté de l’Eternel.
( David entre en tenant sa harpe. A la vue du peuple assemblé il reste frappé d’étonnement; puis, reconnaissant le Pontife, il s’approche vers lui et se prosterne à ses pieds. )
SAMUEL. ( Il impose les mains sur la tête du berger. )
Peuple d’Israël, voilà votre roi, le Seigneur a retiré son esprit de Saül: David a hérité de la parole divine.
DAVID.
Quel changement s’opère subitement en moi! Tout à l’heure j’étais faible et paisible, et me voilà rempli d’une force surnaturelle pour combattre les ennemis du peuple de Dieu, et soutenir la gloire des enfans d’Israël.
Ici le rideau redescendit peu à peu sur la scène, et les enfans purent faire éclater leur joie et questionner à loisir sur ce théâtre si beau, si complet dans ses décorations et sa troupe; quelle main dirigeait les marionnettes? quelle voix, changeant à chaque instant ses modulations, parlait si à propos à leur place? Toute la famille était rassemblée, il fallait donc qu’un étranger se fût chargé de ce soin. — Wilhelm, le plus curieux d’entre les jeunes Goëthe, profitant de l’obscurité qu’on avait faite dans la salle, afin que la pompe du théâtre resplendît sans rivalité, se glissa tout doucement de sa place contre le rideau et appliqua un œil indiscret contre un trou pratiqué dans la toile, mais en cachant la lumière par ce mouvement, il dénonça son action, et M. Goëthe rappela vivement à sa place l’impatient Wilhelm.
— Ne peux-tu pas attendre qu’on soit prêt? lui dit-il.
— J’avais peur qu’on ne nous donnât pas la fin de l’histoire, répondit Wilhelm.
— Qu’as-tu vu? demandèrent à l’enfant ses frères et sœurs.
— Le palais du roi. Saül est sur son trône, entouré d’officiers et de gardes. La salle est en marbre et de riches tapisseries la décorent. La reine et les princesses, ainsi que les autres personnages, ont des costumes éblouissans.
M. Goëthe, qui avait écouté cette description, ne put retenir un éclat de rire.
— Et toutes ces magnificences, dit-il, tiennent entre les deux portes.
— Oh! papa! s’écria Wilhelm, pourquoi nous rappeler que ce sont des marionnettes?