Читать книгу Théâtre de marionnettes - Laure Bernard - Страница 8

POURQUOI J’AI FAIT UN THÉÂTRE DE MARIONNETTES.

Оглавление

Table des matières

Un souvenir tout maternel m’y engageait. J’ai dirigé un de ces théâtres pendant tout un hiver, il y a près de douze ans, et mon auditoire était bien reconnaissant de mes soins. Ce n’est donc pas sans quelque expérience des difficultés matérielles de l’exécution des pièces que j’ai disposé les scènes de ce théâtre.

Une maladie de langueur s’était emparée de ma fille aînée, alors bien jeune; il fallait multiplier les distractions autour d’elle, pour l’arracher à ses livres qu’elle aimait avec ardeur et qui lui fatiguaient la tête. Les poupées n’étaient pas très en faveur. D’ailleurs, une certaine petite sœur, de trois ans et demi plus jeune, voulait toujours s’emparer de la grande poupée, aussitôt qu’il en paraissait une, et la malade la lui cédait avec une résignation qui lui laissait de longues tristesses. Il me vint un jour l’heureuse inspiration d’avoir un théâtre de marionnettes; mais je le voulais d’une si belle dimension que je n’en pus pas trouver dans toute la ville du Havre, qui répondît à mes vues ambitieuses. Des amis vinrent à mon secours. On assembla des feuilles de carton, on peignit des intérieurs, des forêts, des parcs, des villages; nous avions même une tour dont la porte s’ouvrait, et qui avait une fenêtre grillée en fil de fer. En peu de jours il n’y eut plus qu’à s’occuper du mobilier et du personnel du théâtre. Ma chère petite malade s’intéressait déjà vivement au résultat de tant d’apprêts. Nous ne sortions plus, son père et moi, sans revenir les mains pleines d’acteurs au fil d’archal, de boîtes de ménageries, bergeries, de petits meubles de bois, de canapés et de fauteuils dorés; nous découvrions partout avec une sagacité merveilleuse, ce qui pouvait servir à orner le précieux théâtre. Un public de six ou sept amies de ma fille, attendait avec une vive impatience la première représentation. Je n’étais pas moins pressée de mon côté, d’entrer dans mes fonctions de directrice de marionnettes. Le premier jour où tout fut prêt, j’établis mon théâtre sur une table entre les rideaux de soie d’une alcove; une rampe de petites bougies placées dans des flambeaux d’étaim, excita tout d’abord la joie et l’admiration des enfans. Placée dans un fauteuil, entourée d’oreillers, vêtue d’une longue robe de moleton blanc, ma chère enfant me souriait avec une reconnaissance qui me pénétrait d’espoir. Je sentais que j’avais trouvé un moyen inépuisable pour la distraire: l’arracher à sa mélancolie, c’était la sauver; ces marionnettes me rendaient bien heureuse.

Ce que nous avons joué ce soir-là, je ne me le rappelle pas bien, la splendeur qu’atteignit dans la suite mon théâtre, a tellement obscurci ses débuts, que je n’ai plus de souvenirs bien distincts que pour les représentations les plus saillantes de ces soirées. Il me souvient seulement d’un incident très-fâcheux. Mes marionnettes étaient prises au sérieux, on s’était fait à voir en elles des personnages, lorsque la bonne de ma seconde fille s’avisa de ramener dans ma chambre la petite importune qu’il était l’heure de coucher. A peine a-t-elle vu briller mes princes et mes princesses, qu’elle se débat pour quitter les bras de sa bonne, arrive droit au théâtre, et, passant sur la scène sa petite main, qui parut gigantesque aux assistans, elle emporta princes et princesses, et ne demandait plus qu’à se sauver avec eux. Le public était outré ; moi, je riais de la malice d’une entant qui avait à peine deux ans, et je ne me sentais guère le courage de changer son triomphe en larmes. Elle serrait étroitement mes héros contre sa poitrine, et, favorisée par sa bonne, elle voulait les emporter; je lui montrai un polichinelle et un arlequin, gens rejetés de notre personnel, et j’obtins mes prisonniers par échange. L’enfant congédiée, la paix se rétablit, l’illusion brisée se renoua peu à peu, et la pièce s’acheva au contentement général. Avant de se séparer, il fut convenu que chaque soir on retrouverait chez moi le même plaisir. J’ai tenu parole.

De nouvelles inventions, des surprises multipliées maintenaient à propos l’intérêt des représentations. On s’était si bien persuadé que c’était là un véritable spectacle, des personnages de chair et d’os que je pouvais réaliser toutes les scènes imaginables. On pleurait à fendre le cœur, lorsque les pièces étaient lamentables, les esprits s’ouvraient aussi facilement à la gaîté ; mais j’ai été une fois moi-même effrayée de la profonde horreur que causa le mystérieux cabinet de la Barbe-Bleue. Isaure venait de succomber à sa curiosité, elle ouvre la porte, j’enlève la décoration qui cachait ce réduit: sept marionnettes, ayant au cou un cordon blanc qui servait à les attacher avec une épingle à la muraille, figuraient les sept victimes du redoutable mari. A cette vue, on jette des cris d’effroi, les spectatrices tombent les unes sur les autres en se bouchant les yeux, il fallut interrompre la représentation pour calmer les mortelles frayeurs d’un auditoire qui se refusait du reste à perdre son illusion théâtrale. Toutefois, je devins prudente dans le choix de mes pièees.

On nous envoyait souvent de Paris des renforts pour la troupe. Cela ne suffisait pas à nos inventions dramatiques; les oripeaux ce convenaient pas toujours à nos pièces, alors j’habillais moi-même mes acteurs: des morceaux de velours, de soie, de laine, se façonnaient en robes du matin, en costumes de paysannes. Ces surprises étaient toujours accueillies avec une grande faveur, et à la fin de la pièce on demandait ordinairement l’acteur ou l’actrice pour se la passer de main en main.

Nous abordions tous les sujets, parce que nous savions les reproduire sous des formes propres à l’esprit de notre auditoire. Chaque pièce nouvelle jouée sur le théâtre de la ville était aussitôt copiée, ou, pour mieux dire, arrangée pour nos marionnettes; l’Opéra de la Neige a été imité d’une manière tout-à-fait supérieure. Un petit tilbury, autrefois jouet à ressort, perdit son cheval et son conducteur; privé de ses roues, il figura un traîneau, et la princesse s’en servit pour sauver son frère proscrit par Charlemagne. Elle traîna elle-même le char à travers une pluie de papier blanc qui couvrait déjà le parc royal.

Une autre fois, pour rendre la laideur de la fée Urgèle sensible, au milieu de la laideur commune à toutes les marionnettes, on appliqua un masque de linge sur la figure de l’actrice qui représentait cette fée. Ma fille en fut si vivement frappée qu’il fallut interrompre la pièce pour lui faire toucher la redoutable fée, bien grande en tout comme le doigt.

On donna le Chaperon Rouge au Havre. J’assistai à l’une des premières représentations. Durant tout le spectacle je n’eus qu’une seule pensée, celle d’en reproduire, avec le plus d’effet possible, les scènes féeriques sur mon théâtre. Dès le lendemain, j’habillai moi-même deux chaperons, deux ermites, un Alain et un prince, les autres préparatifs demandèrent plusieurs jours, et de nombreuses additions à nos décorations. On voyait bien que j’étais gravement préoccupée; le mystère respecté par mon public promettait néanmoins quelque fête inattendue. Le matin de la représentation, j’envoyai le programme du spectacle chez les amies de ma fille, et je lui annonçai à elle-même qu’elle allait voir le Chaperon-Rouge, fidèlement imité sur celui du théâtre du Havre.

Le Songe, en effet, était une merveille! Le Chaperon endormi était là sur le devant de la scène. Tout-à-coup, la décoration du fond se soulève et remonte, et à mesure qu’elle disparaît on découvre, à travers une gaze verte, une salle de palais resplendissante de fleurs, de vases d’argent; des guirlandes faites avec les fleurs les plus délicates, lient entre elles des colonnes de marbre. Un autel d’albatre, débris d’un vase cassé, est surmonté de flambeaux. L’ermite est là, il marie l’un à l’autre le plus beau des princes et le petit Chaperon-Rouge. Le jeune couple est agenouillé sur des coussins de velours. Une cour brillante est rangée derrière eux. Que c’est beau! s’écrie mon auditoire. Quel palais magnifique! Tout cela sera au Petit-Chaperon, dit ma fille, comme elle va être riche!

Au dernier acte, lorsque le faux ermite voulait faire dire au Chaperon un secret qu’elle avait promis de garder, le coup de théâtre fut également heureux, l’escabeau de bois, la table, la chaise, disparurent attirés par des fils noirs qui dépassaient de mon côté, et le palais remplaça assez à propos l’intérieur de la cellule.

Un changement de résidence interrompit ce plaisir, qui a laissé des traces profondes dans la mémoire de mes jeunes amies.

Moi, dont l’enfance n’a pas été choyée pour ses plaisirs, je me rappelle combien nous nous estimions heureuses, ma sœur aînée et moi, pendant un séjour d’une année à Rennes, de monter les soirs d’hiver, chez des demoiselles qui avaient établi des ombres chinoises dans un grenier, jonché de pommes et de marrons. Un devant de cheminée, percé carrément au milieu pour y coller un papier huilé, était tout le théâtre; des cartes découpées formaient les arbres et les maisons; pour les personnages, trop heureuses si nous avions des images à deux sous la feuille pour les prendre là ; à défaut de cette ressource, on coloriait des figures informes, produit du talent des plus habiles, et si je les critique de souvenir, je sais bien qu’à ces soirées je ne les voyais que sous l’aspect convenu d’avance.

Dans ce même tems-là, nous voyions aussi quelquefois, sur la place publique de Rennes, des théâtres ambulans aux personnages de cire, féeries émanées du ciel; pour moi, qui sortais d’un couvent où j’étais entrée avant d’avoir quatre ans, et qui n’en comptais pas plus de huit alors, avec quels élans de tendresse je considérais le jeune Sauveur exposé tout nu à sa naissance sur la paille de la crèche. Que la Vierge, assise en présence des mages entre un bœuf et un âne, me semblait touchante; c’était le Nouveau Testament, le livre où j’appris à lire, réalisé pour moi. Et les douze apôtres, hauts d’une coudée, et remplissant exactement le théâtre, qu’ils étaient imposans dans leurs simples tuniques! tandis que le Christ, la tête environnée d’une auréole, vêtu d’une robe blanche recouverte d’un manteau bleu de ciel, aux étoiles d’or, les instruisait.

Que de fois, par la suite, lorsque j’étais en pension à Paris, je rêvais à mes ombres chinoises, et à ces figures de cire; j’y pensais d’autant plus que je n’osais pas en parler; les souvenirs de famille de mes compagnes, n’ayant aucun rapport avec les modestes aventures de la vie que la Providence m’avait faite.

Depuis que j’écris pour les enfans, j’ai toujours eu un vif désir de faire paraître un théâtre de marionnettes; mais les censeurs des livres adressés à la jeunesse crient déjà si haut contre les contes, que c’est une grande témérité à moi de m’exposer à faire tomber entre leurs mains un livre du genre de celui-ci.

J’en demande pardon à leur grave expérience; mais il me semble qu’il est du devoir de l’enseignement de développer tontes les facultés inhérentes à l’organisation humaine; en abandonner une partie, ce n’est pas la détruire, mais bien la livrer à son propre essor. Si la Providence a voulu que la fiction charmât l’enfance, si elle l’a douée d’une imagination mobile et crédule, c’est pour ouvrir une large voie à l’instruction morale et religieuse. Cultiver les sensations du cœur, les diriger par des exemples vers la piété, le respect filial, le désintéressement, la charité fraternelle, faire valoir le bien à ses yeux, lui inspirer l’horreur du mal, tout cela entre dans la fiction; mille développemens d’intelligence en ressortent, ne peuvent même arriver que par là ; ce point de vue me semble rehausser le genre que l’on veut proscrire; aussi, tant que les livres amusans auront des lecteurs, j’espère qu’il se trouvera de bons esprits assez amis de l’enfance pour se consacrer à en écrire.

Ce qui est important, à mon sens, c’est de ne pas méconnaître la portée des jeunes intelligences, de se confier assez en leur perspicacité quand on les intéresse par le cœur, pour ne pas fausser les idées que l’on veut mettre à leur portée. On doit, au contraire, chercher à faire progresser l’esprit tout en l’amusant.

N’ayant rien écrit que dans ce but, j’espérais bien que des pièces de marionnettes, affranchies de la trivialité habituelle à ce genre, serait un ouvrage accueilli avec quelque confiance par les lecteurs de mes autres livres. Et, cependant, j’hésitais à le publier, lorsqu’un livre de Goëthe m’est tombé entre les mains. Puisque Goëthe, lui aussi, a pris plaisir à des jeux de marionnettes; puisque dans la maturité de sa vie, il parle, avec une rare vivacité, de souvenirs qui s’y rattachent, je ne crains plus d’offrir à la génération moderne un délassement qui a charmé l’enfance d’un grand poète.

On m’a souvent demandé d’écrire un théâtre pour les jeunes personnes, j’ai refusé toutes les propositions qui m’ont été faites à ce sujet, parce qu’il n’est pas dans mes principes d’éducation de faire jouer la comédie à des enfans. Mettre en scène des jeunes filles, c’est s’exposer à développer étrangement leur assurance et leur vanité, c’est faire naître en elles des sentimens de rivalité qui, à coup sûr, ne tournent pas au profit de leur raison. Et puis encore, que leur faire représenter qui soit à la fois en rapport avec leur âge, convenable et attachant?

Le théâtre des marionnettes n’a aucun de ces inconvéniens, et il est, au contraire, une mine inépuisable: histoire, féerie, comédie, mélodrame, tragédie même, tout peut y être joué et mis à la portée d’un jeune auditoire. Depuis huit jusqu’à quatorze ans, on ne croit pas déroger en ayant un théâtre parmi ses jouets, et si l’on en a fait peu de cas, c’est souvent faute de savoir lui donner une direction intelligente; je serai heureuse de venir en aide à cette détresse; mais si j’apprenais que mes marionnettes ont pu encore une fois réveiller la langueur d’une jeune malade, bien chère à sa mère, je serais trop payée de mes soins.

Théâtre de marionnettes

Подняться наверх