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III
DÉSIR DE FILLE.–LA VIERGE ET LE FAISEUR DE MIRACLES

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Table des matières

Mon oncle m’enseignait le latin, et j’apprenais avec une facilité qui ravissait cet excellent homme: il m’aimait comme si j’eusse été son fils! la bonne Marie avait pour moi les soins d’une mère, et, déjà, Augustine et moi nous nous aimions assez tendrement pour nous trouver fort heureux de n’être pas frère et sœur.

Mon éducation religieuse n’était pas négligée; car l’époque approchait où je devais faire ma première communion, en même temps qu’Augustine et une vingtaine d’autres enfants du village. Ce grand jour était ardemment désiré, surtout par Augustine; elle devait avoir des souliers de satin une belle robe blanche, et de longues barbes de dentelles à son bonnet. Une chose la tourmentait pourtant: c’était la crainte de ne pouvoir obtenir que sa mère lui achetât une croix à la Jeannette, parure très recherchée dans le pays, et après laquelle elle soupirait depuis longtemps.

–Toutes les autres filles en auront, me dit-elle; je serais la seule à qui cela manquerait, et j’en mourrais de chagrin.

–Pauvre petite!… mais ta mère et mon oncle sont si bons! ils ne te refuseront pas cela.

–Mais s’ils me le refusaient?

–Eh bien! alors cela me regarderait; j’en ferais mon affaire. Ma chère Augustine, tu auras une croix à la Jeannette, je le jure sur ma tête!…

–Toi, mon Robert? où donc trouverais-tu assez d’argent?

–Je ne sais. qu’importe!… on ne sait pas ce qui peut arriver, ne parle de cela à personne, et sois tranquille.

Il n’en fallut pas davantage pour rendre la pauvre enfant bien joyeuse; car ce n’était pas la première fois que je me donnais des airs de protecteur, et je lui avais toujours tenu parole.

Cependant le jour de la cérémonie approchait, et il paraissait plus difficile que jamais d’obtenir le bijou tant désiré; la robe blanche, le bonnet et le reste avaient absorbé les économies de la bonne Marie; de son côté, le curé avait fait argenter le crucifix et les chandeliers du maître-autel; il s’était donné une étole neuve, un surplis de mousseline, et sa bourse était vide. Pour comble de malheur, le casuel ne donnait pas depuis quelque temps; il semblait que les habitants de Doudeauville eussent renoncé à se marier, à mourir et à faire des enfants.

Augustine n’avait point d’inquiétude, car elle comptait sur moi; mais il s’en fallait de quelque chose que je partageasse la tranquillité qu’elle me devait. Que faire? à qui s’adresser?

–Il doit pourtant y avoir un moyen, me disais-je en me frappant le front; il ne s’agit que de le trouver. Parbleu! je le tiens!

Je le tenais, en effet. Chaque soir, le vieux Paturin, qui cumulait les fonctions de sacristain, de sonneur et de palefrenier, car c’était à ses soins que, depuis quinze ans, était confié Gris-Gris, la monture ordinaire de mon oncle lorsqu’il était appelé à quelque distance du village; chaque soir, dis-je, Paturin venait remettre les clefs de l’église à Marie, qui les accrochait dans la cuisine; or, ma chambre était voisine de cette cuisine dont l’une des fenêtres donnait sur le jardin. Je saisis d’un coup d’œil tout le parti que je pouvais tirer de cette réunion de circonstances.

A minuit, les clefs étaient entre mes mains; j’avais sans peine escaladé le mur du jardin, et j’entrais résolument dans l’église. Je pénètre dans la sacristie, où je m’empare des autres clefs qui m’étaient nécessaires; puis, à la clarté d’un bout de cierge que j’ai allumé à la lampe du chœur, me voilà visitant le tronc de la Vierge, le tronc des pauvres, le tronc pour l’entretien de l’église, et mettant chacun d’eux à contribution; la Vierge était la plus riche, aussi fut-elle la plus maltraitée.

–Bonne Sainte Mère de Dieu, lui dis-je, vous avez été repeinte à neuf, il n’y a pas trois mois; vous avez un trousseau superbe, et votre poupon a des jaquettes de rechange; vous ne devez donc pas être bien fâchée que je fouille un peu à votre boursicot.

La Vierge ne répondit rien, et je lui pris tout, en raison du proverbe: Qui ne dit rien consent. Quant aux pauvres, je partageai avec eux; et comme l’église me parut très solide et passablement badigeonnée, je pensai qu’elle pourrait bien attendre à l’année suivante, et je ne lui laissai rien.

Deux heures après, toutes les portes avaient été refermées avec soin; les clefs étaient à leur place ordinaire, et je galopais, sur Gris-Gris, sur la route du bourg voisin. Il faisait à peine jour quand j’arrivai à la porte de l’unique orfèvre du pays. Je frappe à coups redoublés; le marchand met le nez à la fenêtre, puis il se décide à m’ouvrir, et, en quelques minutes, le marché est conclu.

Comme j’étais heureux en retournant au presbytère! Comme je jouissais du bonheur qu’allait éprouver Augustine!… Sots, qui m’avez tant calomnié, étais-je donc né méchant? Dans le cours de ma vie, j’ai toujours fait peu de cas du droit de propriété; j’ai violé vos lois, et, en vérité, plus j’y pense, plus je suis persuadé que c’était bien là ce que j’avais de mieux à faire. J’en suis fâché pour vous; mais le monde, ce que vous appelez la société, n’est qu’une société de fripons; je nie l’honnête homme; avec votre organisation sociale, l’honnête homme n’est pas possible. Vous voulez tout posséder, donc vous êtes tous plus ou moins fripons; vous ne volez pas tous de la même manière, mais, tous, vous volez plus ou moins légalement: entre vous et moi, il n’y a pas, moralement, l’épaisseur d’un cheveu, et quand j’y regarde de près, je crois que je vaux mieux que vous.

Longtemps avant que personne fût réveillé au presbytère, Gris-Gris était à l’écurie, et j’étais dans ma chambre; là, j’écrivis, en déguisant mon écriture avec le plus grand soin, cette lettre:

«Monsieur le curé,

«Veuillez, je vous prie, remettre le bijou ci-inclus à la fille de votre gouvernante, et permettez que je ne me fasse point connaître, afin que ce léger bienfait ait quelque prix.»

Je pliai cette épître dans laquelle je plaçai la précieuse croix; puis je mis l’adresse; et, dès que j’eus l’occasion de sortir, je revins tout de suite sur mes pas, et je présentai le paquet à mon oncle, qui l’ouvrit en présence d’Augustine et de sa mère. Dieu sait quelle fut la surprise de chacun, et la joie de ma jeune amie; on pense bien aussi que les questions ne manquèrent pas de m’assaillir; mais j’avais fait mon thème d’avance. Je répondis qu’un homme, arrivant à la porte du presbytère au moment où j’en sortais, m’avait remis ce paquet et avait aussitôt disparu. Mon oncle et la gouvernante n’avaient aucune raison pour douter de ma véracité; ils se contentèrent de faire, sur cet événement, des conjectures à perte de vue. Mais Augustine ne s’en tint pas là.

–Comment as-tu donc fait, mon bon Robert? me dit-elle lorsque nous fûmes seuls.

–Je me suis adressé à la Sainte Vierge, ma chère Augustine; je l’ai priée de nous venir en aide et elle a écouté ma prière.

–Je ne comprends pas… C’est donc sur un miracle que tu comptais?

–Et tu vois que je n’avais pas tort d’y compter, puisqu’il est opéré.

–Ah! méchant, tu ne me dis pas toute la vérité.

–La vérité, mon cher petit ange, c’est que je me crois capable d’opérer des miracles pour te faire plaisir. Mais, je t’en prie, ne parlons plus de cela.

Pour toute réplique, ma gentille compagne jeta ses bras autour de mon cou et m’embrassa dix fois de suite; j’ai fait, dans ma vie, bien des miracles de ce genre, qui ne m’ont pas été si bien payés. Quel heureux temps! tout était pour moi joie, plaisir, bonheur1Aussi, comme il a passé vite!

Cependant Augustine, forte de la protection d’un thaumaturge, était devenue quelque peu exigeante. Après la croix à la Jeannette, ç’avait été une épingle d’or, puis une robe d’indienne à la mode: tout cela lui était parvenu par la même voie. Enfin, elle me déclara un jour qu’elle mourait d’envie d’avoir des boucles d’oreilles. Que faire? ma boîte à miracles était vide; la Sainte Vierge n’avait plus le sou; j’avais vendu les meilleures jaquettes de l’Enfant Jésus. Le temps s’écoulait; le miracle ne se faisait point, et déjà, plusieurs fois, j’avais surpris Augustine pleurant en cachette. Je n’y tins plus. Un matin, jour de marché au bourg, j’enfourchai Gris-Gris; deux’ heures après je revenais à pied: Gris-Gris était devenu la propriété d’un maquignon; mais j’avais en poche les boucles d’oreilles d’Augustine, et le reste m’inquiétait peu.

Le présent arriva à son adresse par la même voie que ceux qui l’avait précédé; mais tout ne fut pas joie au presbytère ce jour-là: à huit heures du matin, Paturin arrivait, tout effarouché, déclarer qu’il venait de trouver l’écurie ouverte et le cheval absent.

–Tu n’avais donc pas bien fermé la porte, lui dit mon oncle.

–A double tour, monsieur le curé; ce qui n’empêche pas que je viens de la trouver toute grande ouverte, comme si l’on s’était servi de la véritable clef; car la serrure est demeurée en bon état. Ah! dame!… si je tenais le gueux qui a fait le coup!… Damné gas!… Paturin n’est pas devenu manchot, et il s’en apercevrait, dà!… Voler une si brave bête qu’a porté plus de trois cents fois le bon Dieu en croupe1. Foi d’homme, je serais capable de faire un malheur!

–Mon Dieu, dit mon brave et digne oncle en levant les yeux au ciel, mon Dieu, que votre volonté soit faite!.. Paturin, nous devenons vieux, mon ami, et il faut nous en réjouir; car le monde marche depuis quelque temps dans une mauvaise voie, et le Seigneur semble vouloir appesantir sa main sur nous. J’ai ouï-dire que les choses vont mal à Paris: d’abord ces gens qui se sont mis en tête de faire la loi à tout le monde ont déclaré qu’ils ne voulaient plus de privilèges, et il n’y avait pas grand mal à cela; mais les voici maintenant qui ne veulent plus de nobles ni de rois, et l’on assure que, bientôt, ils ne voudront plus ni Dieu, ni prêtres. Beaucoup d’ecclésiastiques ont déjà quitté la France, et, peut-être, serai-je forcé, moi-même, d’aller mourir sur une terre étrangère. En présence de si grandes calamités, je ne saurais m’affliger d’une faible perte, d’un petit malheur domestique qui n’atteint que moi. N’en parlons donc pas davantage, mon vieil ami. J’avoue que je regrette Gris-Gris, bon vieux serviteur, si intelligent, si dévoué! Qu’en feront les misérables qui me l’ont enlevé? Comment le traiteront-ils?… Pauvre Gris! Il me semblait que nous devions mourir tous deux dans ce village où j’ai vécu de si longues années, dont tous les habitants nous aimaient, moi, à cause du peu de bien que j’ai fait, lui, à cause des services qu’il rendait à leur vieil ami. Et qui sait maintenant où nous irons mourir l’un et l’autre!

Deux grosses larmes roulèrent sur les joues du vieillard; cela me fit mal; mon cœur se serra, et, pour la première fois, je maudis la coquetterie des femmes. Mais ce ne fut qu’un nuage bientôt dissipé par un mot, une caresse d’Augustine: elle était si gentille, si douce, et nous nous aimions tant!

Mémoires de Robert-Macaire

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