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VI
SERVICE D’AMI

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Je dormais encore, lorsque, au point du jour, on frappa à ma porte. J’ouvris en me frottant les yeux.

–Que diable voulez-vous à cette heure? dis-je à un jeune homme qui entrait pendant que je me remettais au lit.

–Comment, Robert, tu ne me reconnais pas?

–Eh! c’est toi, mon pauvre Bertrand? Que viens-tu donc faire à Paris?

–Oh! il y a longtemps que j’y suis. Tu te souviens, sans doute du jour où ton oncle, le curé, me fit monter dans le coche pour retourner à Rouen; j’avais le cœur bien gros, et je ne fis pas d’abord attention aux gens qui étaient près de moi. Mais, bientôt, une douleur que je ressentis au côté, vint faire diversion à mon chagrin, et je m’aperçus qu’elle m’était causée par la double 1sacoche en cuir qui ceignait les reins de mon voisin, espèce de gros fermier qui dormait comme une marmotte. Cette masse inerte, suivant les mouvements de la voiture, menaçait à chaque instant de m’écraser; mais c’était surtout cette diablesse de sacoche qui me faisait un mal horrible.

Dame! Robert, tu sens bien que lorsqu’on souffre, il est permis de chercher à se soulager. Je tirai donc tout doucement mon couteau de ma poche, et je fis à la ceinture de cuir une incision assez large pour livrer passage à mes doigts; au bout d’un quart d’heure, mon voisin me faisait beaucoup moins souffrir, et j’avais une trentaine d’écus dans mon mouchoir. Le soir, tout le monde mit pied à terre pour monter la côte de Fleury; je profitai de l’occasion pour gagner au large, et je passai le reste de la nuit dans un fossé; puis, au point du jour, je me rapprochai de la route afin de prendre place dans la diligence de Paris, au conducteur de laquelle je fis une histoire dont il voulut bien se contenter, moyennant un pourboire honnête.

–Oh! oh! messire Bertrand, voilà un début qui promet. Peste! mon garçon, je ne t’aurais pas cru de cette force, toi qui ne savais que trembler et pleurer.

–Eh! eh! Robert, la peur a son prix; n’en disons pas de mal, je lui ai dû quelquefois de bonnes inspirations.

–Si elle t’a enrichi, je te permets la reconnaissance.

–Enrichi, non, car je suis pauvre comme Jo; mais j’ai eu de bons moments. Arrivé à Paris, je me logeai dans un taudis où l’on me vola la moitié de mon argent; je mangeai le reste avec la valetaille des environs, et quand je n’eus plus le sou, je devins le jockey d’une espèce de marquis de contrebande qui me céda à une danseuse. Il y a deux ans, j’étais le valet de chambre de la déesse Raison.

En dernier lieu j’entrai au service d’un médecin célèbre, dont la femme avait une passion toute particulière pour l’étude de l’anatomie. Je montrai du goût pour la science ; la dame me prit en amitié ; mais voilà qu’à la quatrième leçon, le docteur, que nous croyions à l’extrémité de Paris, tombe comme une bombe dans la chambre à coucher où nous expérimentions. Je suis sur le pavé depuis ce temps-là.

Hier, en passant devant cet hôtel, j’ai cru te reconnaître au moment où tu montais en voiture, et me voici.

– Et que veux-tu faire maintenant ?

— Dame! je sais servir à table, panser un cheval, conduire un cabriolet.

– Ah! Bertrand, Bertrand!... tu me fais de la peine, ma parole d’honneur. Quelle bassesse de sentiments!…..

Voyons, Bertrand, voulez-vous être mon ami?

– Je serai tout ce que tu voudras ; ce n’est pas moi qui t’ai abandonné.

A ces mots, Bertrand essuya les larmes qui venaient le tomber sur ses joues.

– C’est que tu sens bien, mon garçon, que je ne puis pas être l’ami d’un laquais, et je ne vois pas pourquoi tu n’abandonnerais pas cette abjecte profession.

– Mon Dieu ! je ne demande pas mieux.

– Pourquoi ne serais-tu pas riche? pourquoi, au lieu de servir des imbéciles, ne serais-tu pas servi par eux?

– Voilà précisément ce que je me suis dit cent fois, et à tout ce pourquoi, je n’ai pas trouvé un parce que satisfaisant, sinon les gendarmes, la prison, et tout ce qui s’ensuit.

–La peur, toujours la peu!… Ecoute, nous deviendrons riches, nous mènerons joyeuse vie, et je me charge de tout. Cela te convient-il?

–Et il n’y aura pas de gendarmes?

–Que le diable t’emporte!

–C’est que, vois-tu, c’est plus fort que moi; il y a antipathie; le gendarme est ma bête noire, et c’est bien naturel. Sans gendarmes la vie .serait si bonne, elle coulerait si doucement!… Je crois que ces animaux-là ont été créés tout exprès pour métamorphoser le paradis terrestre en enfer.

–Bah! est-ce qu’il n’y a pas des pièges pour toutes les méchantes bêtes?

–Ne t’y fie pas, Robert, le gendarme a la vie dure.

–Eh bien! que t’importe, puisque je me charge de tout… Je ne mets à notre association qu’une seule condition: c’est que tu m’obéiras aveuglément.

–Je te le promets.

–Tu me le jures?

–Devant Dieu et devant les hommes!

A peine Bertrand eut-il prononcé ces dernières paroles, qu’une idée me traversa subitement le cerveau.

–Parbleu! m’écriai-je en m’élançant hors du lit, c’est mon bon génie qui t’envoie à moi ce matin… Tu sais conduire un cabriolet, dis-tu?

–Parfaitement.

–Vite, vite, nous n’avons pas un moment à perdre; courons chez un loueur de voitures.

Je fus habillé en un clin d’œil, et j’entraînai Bertrand.

Un quart d’heure après, nous arrêtions, avec un cabriolet, à dix pas de la porte de mon adversaire.

–Ecoute, Bertrand, tu vois bien cette porte cochère, la seconde à gauche?

–Je la vois.

–D’ici à une heure, un jeune homme sortira de cette maison: c’est un grand brun… D’ailleurs, je te le montrerai. Dès qu’il paraîtra, je mettrai pied à terre; tu le suivras au pas d’abord; puis, quand il aura assez d’avance, tu partiras au galop, et tu lui passeras sur le corps... A midi, je t’attendrai chez moi pour déjeuner.

–Diable, mais si j’allais le tuer?

–Si tu me rends ce service-là, je te compte cinquante louis au dessert.

–Mais on m’arrêtera.

–Ce n’est pas probable: la rue est large, et pendant que l’on s’occupera du blessé, tu seras déjà loin. D’aileurs, l’excuse est toute prête: ton cheval s’est emporté; il a pris le mors aux dents.

–Tu es donc l’héritier de cet homme-là!… Alors, il vaudrait mieux.

–Oh! oh! notre ami, vous avez la mémoire courte: c’est de l’obéissance que je vous demande, Bertrand, et non des conseils.

Le pauvre garçon ne répliqua point; la soumission était chez lui une vertu innée, et cela était fort heureux pour moi qui avait de la volonté pour deux.

Nous n’attendîmes pas longtemps; le terrible champion qui devait me mettre une balle dans la tête parut bientôt, et à peine eut-il fait vingt pas que le cheval le renversait, et qu’une des roues du cabriolet lui cassait les jambes. Tandis que l’on secourait le blessé, et que Bertrand disparaissait avec la rapidité de l’éclair, je m’acheminais tranquillement vers le lieu du rendez-vous, où l’un des amis de mon adversaire vint m’apprendre l’accident qui était survenu à ce dernier.

On se fit de part et d’autre force civilités; on témoigna toutes sortes de regrets de ne pouvoir se brûler la cervelle à jour fixe; puis, chacun se retira, et je retournai chez moi, où Bertrand m’attendait.

–Commandant, dis-je à Arnold que je rencontrai dans l’escalier, je déjeune avec un ancien ami, voulez-vous être des nôtres?

–Vous ici, à cette heure, Robert! Vous n’êtes donc pas allé à la porte Maillot?

–J’en viens, mon cher maître.

–C’est incroyable!… Et Saint-Géraud?

–On vient de le porter dans son lit, et dans le cas où vous voudriez le charger de quelque commission pour l’autre monde, je crois que vous feriez bien de vous hâter.

Le déjeuner fut long et joyeux. J’éludai adroitement les questions du commandant qui voulait absolument savoir comment les choses s’étaient passées sur le terrain; et, ce jour même je changeai d’hôtel afin de n’être plus en contact avec cet homme qui, maintenant, me faisait pitié: il me rappelait la fable du corbeau qui se croit l’égal de l’aigle. Et puis, que pouvais-je attendre de lui, désormais? Cela est de l’ingratitude, de l’égoïsme, dira-t-on. Eh! vraiment oui, ce n’est cela que parce que ce quel’on nomme égoïsme, ingratitude, constitue la nature de l’homme: tout le reste n’est qu’hypocrisie, chimère ou faiblesse. Ce n’est pas là la morale évangélique, c’est a morale de Robert Macaire, et ce n’est pas ma faute, à moi, si l’amour de soi est inné dans le cœur de l’homme.

Grâce à la puissance de l’exemple, Bertrand se forma comme par enchantement; il oublia sans effort les mœurs de l’antichambre, prit les manières convenables au nouveau rôle qu’il devait jouer, et il lui suffit de très peu de temps pour acquérir tous les talents nécessaires pour me seconder, et, même, pour voler de ses propres ailes. Quel heureux temps! la fortune nous souriait sans cesse; il est vrai que nous étions toujours prêts à la corriger quand elle s’avisait de nous tourner le dos. Table excellente, femmes divines, fêtes, plaisirs de toute espèce, enfin rien ne nous manquait de ce qui constitue les délices de ce monde.

–Eh bien! mon ami, disais-je un jour à Bertrand, je t’ai promis joyeuse vie, et tu vois que je tiens parole. J’espère que tu es content?

–Trop content, Robert; il me semble que nous sommes trop heureux pour que cela puisse durer.

–Que le diable emporte le poltron?… Au moins tu ne crains pas les gendarmes maintenant?

–Au contraire, mon ami, je les crains plus que jamais quand je songe à tout ce qu’ils pourraient me faire perdre.

–Bertrand, vous êtes bête comme une oie!…

–Dame! ça n’est pas ma faute. J’ai des pressentiments: on n’est pas maître de ça.

–Tais-toi, butor, et fais monter du Champagne.

C’était toujours, en pareil cas, l’ultima ratio, et Bertrand ne répliquait pas.

Mémoires de Robert-Macaire

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