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VIII – Oranthe

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Vous ne vous êtes pas couché cette nuit et ne vous êtes pas encore lavé ce matin?

Pourquoi le proclamer, Oranthe?

Brillamment doué comme vous l’êtes, pensez-vous n’être pas assez distingué par là du reste du monde et qu’il vous faille jouer encore un aussi triste personnage?

Vos créanciers vous harcèlent, vos infidélités poussent votre femme au désespoir, revêtir un habit serait pour vous endosser une livrée, et personne ne saurait vous contraindre à paraître dans le monde autrement qu’échevelé. Assis à dîner vous n’ôtez pas vos gants pour montrer que vous ne mangez pas, et la nuit si vous avez la fièvre, vous faites atteler votre victoria pour aller au bois de Boulogne.

Vous ne pouvez lire Lamartine que par une nuit de neige et écouter Wagner qu’en faisant brûler du cinname.

Pourtant vous êtes honnête homme, assez riche pour ne pas faire de dettes si vous ne les croyiez nécessaires à votre génie, assez tendre pour souffrir de causer à votre femme un chagrin que vous trouveriez bourgeois de lui épargner, vous ne fuyez pas les compagnies, vous savez y plaire, et votre esprit, sans que vos longues boucles fussent nécessaires, vous y ferait assez remarquer. Vous avez bon appétit, mangez bien avant d’aller dîner en ville, et enragez pourtant d’y rester à jeun. Vous prenez la nuit, dans les promenades où votre originalité vous oblige, les seules maladies dont vous souffriez. Vous avez assez d’imagination pour faire tomber de la neige ou brûler du cinname sans le secours de l’hiver ou d’un brûle-parfum, assez lettré et assez musicien pour aimer Lamartine et Wagner en esprit et en vérité. Mais quoi! à l’âme d’un artiste vous joignez tous les préjugés bourgeois dont, sans réussir à nous donner le change, vous ne nous montrez que l’envers.

Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

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