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CHAPITRE VI.

Table des matières

UNE LETTRE QUI VIENT DE LOIN.


Mais, à peine était-on assis dans le salon, qu’un domestique entra qui apportait une lettre.

A la vue de l’enveloppe surchargée de timbres, Mme de Sannois eut une exclamation de bonheur.

— C’est de votre père! dit-elle à Paul et à Suzanne.

Ceux-ci s’approchèrent, très émus.

Mme de Sannois rompit l’enveloppe.

M. de Sannois écrivait:

«Ma chère femme,

«J’apprends à l’instant que ma mission est terminée et que je vais enfin être rappelé auprès de toi, auprès de mes chers enfants.

«Je n’ai pas besoin de vous dire quelle est ma joie. Vous la comprenez et certainement vous la partagez.

«Au moment où vous recevrez cette lettre, je serai, sans doute, au milieu de l’Océan...»

A ces mots, Mme de Sannois s’arrêta.

Elle se souvenait de ce que son esprit avait entrevu, tout à l’heure, du vaisseau battu par une effroyable tempête!

Est-ce que ce pressentiment néfaste allait se réaliser? Est-ce qu’à cette heure même M. de Sannois n’avait pas à lutter contre la fureur de l’ouragan et la colère des flots? Et sortirait-il vainqueur de ce terrible combat?

Suzanne avait compris la pensée de sa mère.

Elle vint l’embrasser en disant:

— Mais, petite mère, il n’y a pas de danger. C’est toi-même qui me l’as dit.

Le grand papa et Paul firent bonne contenance en affectant une sécurité qu’ils n’avaient point, et s’efforcèrent d’écarter de l’esprit de Mme de Sannois ces sombres présages.

Mme de Sannois reprit sa lecture:

«J’espère être à Paris à la fin de janvier ou dans les premiers jours de février. Si un retard se produisait, qu’il ne vous donne pas d’inquiétude. Mon vaisseau a fait ses preuves; il est à l’abri des surprises des éléments et il me ramènera sain et sauf dans ma chère France.

«Qu’il me tarde de revoir ma petite Suzanne, toujours curieuse, n’est-ce pas? et mon brave savant de Paul et le digne M. de Beaucourt!

«Embrasse tout ce cher monde, ma bien-aimée femme, je te donne pour cela un crédit illimité de baisers.»

On suppose que Mme de Sannois s’acquitta avec bonheur de cette tendre commission envoyée de si loin. Chacun avait les yeux humides, et cependant Mlle Suzanne aperçut tout de même plusieurs lignes ajoutées au bas de la lettre.

— Il y a encore quelque chose! dit-elle.

— En effet, dit Mme de Sannois, je n’ai pas encore lu le post-scriptum.

Les quelques lignes ajoutées par M. de Sannois disaient:

«Paul me parle longuement dans sa dernière lettre d’une demoiselle Thérèse de Montlaur. Je crois deviner le doux projet qu’il forme, mais il est très important que je sache si Mlle de Montlaur appartient à une famille du même nom dont un des membres était enseigne de vaisseau en 1855.»

Le mot «très important» était souligné.

Ce post-scriptum causa un grand étonnement dans la famille.

M. de Sannois connaissait donc les Montlaur? Quel intérêt urgent avait-il à faire prendre ce enseignement?

Le père de Suzanne n’agissait jamais à la légère. Il fallait donc que les détails qu’il demandait à connaître eussent à ses yeux une réelle gravité.

Paul avait aussitôt été envahi par l’inquiétude.

Il voyait déjà un obstacle insurmontable s’élever devant l’union qu’il rêvait.

L’été précédent, Mme de Sannois, Suzanne et M. de Beaucourt avaient été passer la saison à Dieppe.

Paul allait chaque semaine, du samedi au lundi, retrouver sa famille, et chaque fois son départ lui semblait plus pénible.


C’est qu’en effet, en quittant Dieppe, il s’éloignait de la présence d’une jeune fille de seize à dix-sept ans, jolie à ravir, avec ses superbes cheveux blonds, ses yeux pleins de douceur, son nez fin aux ailes mobiles et ses lèvres roses, qui lui disaient si aimablement bonjour quand il arrivait là-bas.

Mme de Sannois avait rencontré sur la plage une de ses anciennes amies de pension qu’elle avait, depuis de longues années, perdue de vue.

On s’était reconnu et on avait bien vite retrouvé les traces de l’amitié d’autrefois.

L’amie de Mme de Sannois était la mère de Mlle Thérèse de Montlaur. Elle était veuve depuis plusieurs années.

En voyant les sentiments de respectueuse affection que Paul éprouvait pour Thérèse, les deux mères s’étaient regardées, comme deux augures, car elles avaient souri! Ne devaient-elles point sourire à l’idée du mariage de ces chers enfants qui semblaient si bien faits l’un pour l’autre?

Suzanne, qui avait adoré tout de suite sa nouvelle grande amie, n’avait pas peu contribué à l’échange de cette sympathie naissante.

Elle avait remarqué bientôt, la petite rusée, de quel air son frère Paul regardait Thérèse, et elle avait bien deviné que cet air-là ne déplaisait point à la personne intéressée.

Chaque lundi, elle voyait son frère partir de plus en plus triste, et cette tristesse lui faisait de la peine.

Un jour que Paul s’en allait prendre le premier train, il trouva Suzanne déjà levée.

Il l’embrassa en la chargeant d’embrasser pour lui leur mère et leur grand-père.

Suzanne lui dit d’un petit ton malicieux:

— Tu n’oublies personne?

— Que veux-tu dire? demanda Paul très étonné ; non, je n’oublie personne.

— Ah! dit Suzanne, et tout tranquillement, sans paraître y prendre garde, elle ajouta: — Eh bien, moi, j’embrasserai aussi Thérèse.

Paul fit semblant de ne pas comprendre et s’en alla vite pour n’avoir pas à répondre.

Mais Suzanne savait ce qui lui restait à faire.


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