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CHAPITRE III.

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BON PAPA ET SA PETITE-FILLE.

M. de Beaucourt, père de Mme de Sannois et, par conséquent, grand-père de Mlle Suzanne, était un beau vieillard, encore solide et presque alerte, toujours correctement tenu, toujours rasé de frais, aux cheveux encore nombreux, mais, hélas! argentés par le temps. Le nez bourbonnien était d’un dessin vigoureux; la bouche bonne et souriante; et l’œil pur, très clair, avec des tons de jeunesse, indiquait une longue vie bien vécue.

Quand M. de Beaucourt entendit frapper à sa porte, il reconnut bien vite à quel visiteur il allait avoir affaire.

Mais cela ne l’empêcha point, s’amusant de cela tous les matins, de prendre une grosse voix pour demander:

— Qui est là ?

— Mlle Suzanne! répondit-on.

— Ah! c’est encore Mlle Suzanne qui vient tourmenter son pauvre grand-père.

— Mais non! Mais non! cria Suzanne.

— Comment? mais non! Ce n’est pas Mlle Suzanne.

— Mais si! mais si! je suis Suzanne.

— Que disiez-vous donc alors?

— Je disais: Mais non, je ne viens pas pour te tourmenter.

— Et pourquoi, mon Dieu! venez-vous?

— Pour te demander quelque chose.

— De quoi s’agit-il?

— Ouvrez, monsieur bon papa, dit Suzanne en tâchant d’enfler sa petite voix à l’unisson de celle de son grand-père, ouvrez et vous le saurez!

Cette fois, bon papa ne résista pas à cet ordre donné avec une gentillesse si drôle; il ouvrit.

Suzanne lui sauta d’abord au cou, et puis elle s’installa tranquillement à sa place habituelle, qui était les genoux de son grand-père.

— Bon papa, dit-elle, tu vas me dire pourquoi il neige?

M. de Beaucourt prit un grand air étonné et, tout heureux de taquiner doucement sa chère petite «Zazanne», comme il l’appelait, il répondit fort sérieusement:

— Pourquoi il neige?... mais, je n’en sais rien.

— Ah!... ah!... fit Suzanne consternée, en joignant les mains. Tu n’en sais rien, toi qui sais tout. Est-ce possible?

Et, comme elle le regardait bien en face, elle s’aperçut qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire.

— Oh! dit-elle alors en affectant beaucoup de gravité, oh! monsieur bon papa, je crois que vous venez de faire un gros mensonge, et vous savez que c’est fort vilain de mentir!

Et, changeant d’accent, elle ajouta, très caline:

— Oh! j’étais bien sûre que tu le savais, pourquoi il neige. Dis-le-moi, bon papa, et je serai bien sage, tu verras!...

M. de Beaucourt ne put s’empêcher de rire de bon cœur.

— Eh bien, oui, répondit-il, je veux bien te l’apprendre, mais c’est assez difficile à expliquer et je crains bien...

— Tu crains que je ne comprenne pas? dit Suzanne. Essaye toujours, bon papa!

— Eh bien, il neige parce qu’il fait froid.

Une stupéfaction profonde envahit la jolie figure de Suzanne.

Après un silence, elle dit:

— Mais, bon papa, c’est justement ce que Louisette m’a répondu!... Est-ce que tu n’en saurais pas plus long qu’elle?...

— Rassure-toi, car je crois bien que la femme de chambre ne sait pas pourquoi il fait froid. Tandis que...

— Tu le sais, toi, bon papa! s’écria Suzanne en frappant joyeusement des mains. Eh bien, dis-le-moi, pourquoi il fait froid.

— Mais, non, non, pas maintenant; cela nous entraînerait beaucoup trop loin. Je vais tâcher seulement de répondre à ta première question en t’expliquant pourquoi il neige.

— J’écoute bien, dit Suzanne en prenant son petit air attentif.

— Tu as vu souvent de l’eau sur le feu, n’est-ce pas? et tu as remarqué que des vapeurs s’en échappaient et formaient comme un nuage qui montait vers le plafond.

— Oui.

— Eh bien, toute l’eau qui se trouve à la surface de la terre laisse constamment échapper des vapeurs semblables.

— Sans qu’il y ait de feu dessous?

— Sans qu’il y ait de feu.

— Mais on ne les voit pas.

— Tu as raison. On ne les voit pas ordinairement, mais, quand elles s’élèvent dans l’air et qu’elles arrivent dans un milieu plus froid que la terre, elles se réunissent, se resserrent, se pressent les unes contre les autres, et deviennent visibles. Me comprends-tu?

— Oui, bon papa.

— Alors, dis-moi comment on appelle ces vapeurs devenues visibles.

— Des nuages.

— Très bien! s’écria bon papa, enchanté de la sagacité de sa chère Suzanne.

Cependant on peut voir, en certains cas, ces vapeurs au moment où elles se dégagent de la terre. Lorsque, par un soir d’été, on se trouve sur une montagne, on aperçoit, à mesure que la température se refroidit, d’épaisses vapeurs qui se forment sur les rivières, les ruisseaux, les prairies humides. Alors, si le vent s’élève, il emporte dans les hautes régions de l’air ces vapeurs qui sont maintenant des nuages. Pressés en sens divers par les courants d’air qui passent là-haut, ces nuages changent constamment de formes, et tu as pu en observer toi-même de fort bizarres.

— Oh! oui, cet été, s’écria Suzanne, j’en ai vu un qui ressemblait à l’un des dromadaires du Jardin d’Acclimatation, et un autre qui avait tout à fait une tête d’homme, mais ça n’a pas duré longtemps. Ils se sont changés en une masse blanche qui ne signifiait plus rien.

— Il faut que tu saches encore que les nuages affectent trois aspects caractéristiques qui permettent de les classer sous les noms de cirrus, cumulus et stratus.

Les cirrus se composent de filaments déliés dont l’ensemble rappelle tantôt un pinceau, tantôt une chevelure crêpelée, tantôt un réseau délicat.

Le cumulus, qui est un nuage d’été, se montre sous la forme d’un globe ou d’un demi-globe. Quelquefois ces globes s’entassent les uns sur les autres et forment ces gros nuages qu’on voit accumulés à l’horizon avec l’apparence de hautes montagnes blanches.

Enfin le stratus est une bande qui se forme ordinairement au coucher du soleil et disparaît à son lever.


Mais ce sont les cumulus qui prêtent le plus par leurs formes changeantes à notre imagination. C’est dans le contour de ces nuages que nous croyons voir des arbres, des montagnes, et, comme tu le disais toi-même, des hommes et des animaux.

— Et ils sont hauts, bon papa, bien hauts?

— Leur éloignement de la terre est très variable. Quelques nuages rasent le sol tandis que d’autres peuvent s’élever à cinquante kilomètres.

Il y a aussi des nuages presque constamment aux sommets des montagnes; ils proviennent des vapeurs, qui s’élèvent de la plaine et qui se condensent, se resserrent dans l’air plus froid, car, à mesure que l’on s’élève, la chaleur diminue.

Dans les pays montagneux, les aspects souvent fantastiques des nuages ont fait naître des idées absurdes chez les populations et ont inspiré des sentiments de frayeur qui n’ont aucune raison d’être, comme tu le penses bien.

— Parbleu! dit Suzanne, comment peut-on avoir peur des nuages! Mais, dis, est-ce que c’est grand, un nuage?

— Il en est de dimensions énormes qui ont plus de trente kilomètres de largeur et qui ont une épaisseur de mille mètres. A côté d’eux, il en est d’autres qui n’ont que quelques mètres.

— Ce sont des nuages bébés, dit Suzanne.

Cette réflexion fit voir à M. de Beaucourt que sa petite-fille l’écoutait avec attention.

C’est pourquoi il reprit:

— Si je t’ai parlé des nuages, c’est que ce sont eux qui produisent la neige aussi bien d’ailleurs que la grêle et que la pluie.

Lorsque l’air, déjà froid, où flottent ces vapeurs, se refroidit encore, elles se resserrent davantage, elles se condensent selon l’expression scientifique, et se transforment en petites gouttes d’eau assez pesantes pour vaincre la résistance qu’oppose l’air à leur chute et pour tomber sur la terre.

— C’est la pluie! dit Suzanne.

— Parfaitement! c’est la pluie. Et si ces gouttes d’eau traversent en tombant des courants d’air très froids, elles se gèlent et deviennent ces petites boules de glace qu’on nomme la grêle.

A ce moment, la neige recommençait à tomber au dehors en larges flocons.


— Et ça? murmura Suzanne, en étendant la main vers la fenêtre et revenant à sa première question.

— Nous y voici. Que l’air qui entoure les nuages se refroidisse extrêmement, et, alors, les nuages se gèleront et se transformeront en une véritable petite poussière de glace que son poids entraînera vers la terre. Cette petite poussière de glace...

— C’est la neige! dit Suzanne impatiente.

— Oui, c’est la neige.

Suzanne réfléchit quelques minutes et dit tout à coup:

— Mais à quoi ça sert-il, les nuages?

Le bon papa, habitué au caractère de sa chère petite-fillette, ne sourcilla pas, et répondit tranquillement:

— Les nuages servent, en été, à tempérer l’ardeur du soleil; en hiver, ils s’opposent au trop grand refroidissement de la terre en s’interposant comme un voile entre notre monde et les espaces célestes qui déverseraient sur nous leur température toujours froide. Enfin ils produisent la pluie, et c’est là une chose importante, car, sans la pluie, notre sol se dessécherait, les plantes se faneraient, les animaux mourraient, et notre fin, à nous tous, arriverait bientôt.

— Alors, dit Suzanne, c’est un moyen que le bon Dieu a trouvé pour arroser la terre.

M. de Beaucourt sourit à cette naïve explication.

— Je m’étonne, dit-il, que tu ne me demandes pas: Et la neige, à quoi sert-elle?

— Sois tranquille, bon papa, répliqua Suzanne sans se déconcerter, j’allais te le demander.

— Eh bien, la neige est très utile; mais oui, très utile, répéta M. de Beaucourt en voyant Suzanne ouvrir ses grands yeux: d’abord, elle trempe la terre mieux encore que la pluie; elle contient des substances qui pénètrent dans le sol et servent à faire pousser les plantes; elle détruit une foule d’insectes nuisibles, et elle empêche le froid de descendre trop profondément dans la terre.

— Oh! dit Suzanne, elle est froide, et elle empêche le froid de faire du mal à la terre!

— Mais oui, elle joue le rôle d’un épais manteau qui soustrait le sol au refroidissement que lui ferait subir la température de l’air extérieur. Elle est froide, comme tu le dis, mais elle préserve la terre d’un froid plus grand. Elle lui est donc d’une utilité incontestable.

— C’est juste! murmura Suzanne. Maintenant explique-moi, ajouta-t-elle, ce que c’est que le froid et pourquoi il fait froid.

— Ah! dit le grand-père, laissez-moi un peu respirer, petite curieuse. D’abord, il est l’heure d’aller déjeuner.

En effet, le valet de chambre venait annoncer que le repas était servi.

— Eh bien, ce sera pour le dessert! dit Suzanne en prenant son bon papa par la main et en l’entraînant vers la salle à manger de l’hôtel.


Les pourquoi de mademoiselle Suzanne

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